L’entrée de troupes burundaises au Sud-Kivu annonce la prochaine mise en place de la force militaire régionale sous mandat la communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) pour pacifier le Congo. L’arrivée de cette nouvelle force vient se rajouter aux nombreux dispositifs militaires existants présents dans la région, sans succès pour l’instant.

Une armée de plus sur le sol congolais. Un contingent burundais s’est officiellement déployé le 15 août dans la plaine de la rivière Ruzizi, dans sa province du Sud-Kivu. Le Burundi est le premier pays contributeur à fournir des troupes dans le cadre de la force régionale décidée par les chefs d’États de la Communauté des États de l’Afrique de l’Est (EAC) pour « traquer tous les groupes armés étrangers et locaux ». Les soldats burundais seront placés sous commandement congolais et devront être rejoint par les troupes kényanes, ougandaises et tanzaniennes. Pour le moment, on ne connait pas encore le nombre exact de soldats déployés par Bujumbura, mais ce que l’on sait, c’est qu’ils devront coopérer au sein d’opérations conjointes avec les Forces armées de République démocratique du Congo (FARDC).
Une superposition d’opérations militaires
La décision de l’envoi de troupes régionales était intervenue en juin denier, en pleine crise sécuritaire, alors que la rébellion du M23 venait de s’emparer de la ville frontière de Bunagana. Devant l’impuissance de l’armée congolaise et des casques bleus de la Monusco à éradiquer la rébellion, le président Tshisekedi n’avait d’autres solutions que de se tourner vers ses voisins. Le problème est que l’arrivée de la force régionale vient se superposer avec un certain nombre d’autres dispositifs militaires déjà engagés sur le sol congolais.
Il y a tout d’abord l’opération de maintien de la paix de l’ONU, la Monusco, actuellement composée de 14.000 soldats indiens, pakistanais, indonésiens ou sud-africains… mais aussi de troupes tanzaniennes avec plus de 1.000 hommes, que l’on retrouvera au sein de la force régionale. Le territoire congolais accueille aussi, de manière officielle, des soldats ougandais depuis novembre 2021 pour lutter contre les ADF. Des troupes ougandaises qui devraient également faire partie du contingent de l’EAC.
Une force pour soutenir les FARDC
Si les soldats burundais n’ont jamais été formellement invités par Kinshasa avant cet été, de nombreuses sources locales avaient dénoncé fin 2021 l’envoi clandestin de forces spéciales burundaises pour traquer les rebelles RED-Tabara au Sud-Kivu. Des opérations toujours démenties par Bujumbura et Kinshasa. Enfin, reste l’épineuse question de l’armée rwandaise, membre de l’EAC, mais que la RDC et l’ONU accusent de soutenir en hommes et en armes les rebelles M23 au Nord-Kivu. Leur présence dans le contingent de la force régionale a été exclue, mais Kinshasa continue de dénoncer l’aide de Kigali à la rébellion. Au final, l’Est du Congo accueille déjà une vingtaine d’armées étrangères et d’opérations militaires diverses… sans avoir réussi à réduire la violence dans la région.
La question est donc de savoir si la nouvelle force régionale de la communauté des Etats de l’Afrique de l’Est pourra venir à bout du complexe imbroglio sécuritaire congolais ? Le gouvernement de Kinshasa espère que ce nouveau dispositif viendra renforcer son armée pour venir à bout de l’insécurité, et principalement du M23. Une position qui laisse dubitatives les organisations de la société civile quant au résultat escompté. Il faut dire que les multiples interventions extérieures n’ont jamais réussi à mettre fin durablement à l’insécurité au Congo.
« Surmilitarisation et cacophonie opérationnelle »
Au final, ce qui est présenté comme « une solution » par le gouvernement congolais semble faire partie du problème. Comme le dénonce le mouvement citoyen Lucha, au moins trois sur sept pays membres de l’EAC « sont impliqués depuis plus de deux décennies dans l’agression et la déstabilisation de la RDC », en citant notamment le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Ensuite, toutes les armées de la communauté des États d’Afrique de l’Est sont déjà présentes sur le sol congolais, sous une forme ou une autre (Monusco ou opérations spéciales). Enfin, les pays contributeurs risquent de se focaliser uniquement sur les groupes armés qui menacent leur pouvoir, en plus de défendre leurs intérêts au Congo. C’est notamment le cas de l’armée ougandaise, censée combattre les ADF, mais sans résultat, et qui en ont profité pour consolider fortement leurs routes commerciales d’approvisionnement en bois et matières précieuses. Idem pour le Burundi concernant la lutte contre les RED-Tabara. Quid de la centaine d’autres groupes armés ?
Le prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, fustige lui aussi ce recours aux armées extérieures et suggère de mettre fin à l’externalisation de la sécurité par des Etats « déstabilisateurs ». « Quelles seront les règles d’engagement de la nouvelle force régionale ? Quel est son mandat, ses objectifs et la durée de sa mission ? » s’interroge le célèbre gynécologue. Le Pôle Institut, un think tank congolais installé à Goma, dénonce lui aussi l’envoi de cette force qui risque « d’accentuer une surmilitarisation de l’Est de la RDC qui, depuis des décennies, n’a jamais produit les effets escomptés ». Cette nouvelle opération militaire risque d’aboutir « à une cacophonie opérationnelle », selon Joël Baraka Akilimali, l’auteur du rapport – à lire ici.
Une clarification indispensable
Le Pôle Institut s’interroge enfin sur la nécessité de clarifier les relations entre la force régionale et les opérations militaires en cours comme « Sokola 1 et 2 » ou « Ushujaa » ou avec la Monusco. Sans compter que cette nouvelle force sera dirigée par un commandement kényan. Quel sera le rôle pour l’armée congolaise dont les rapports du Bureau conjoint des droits de l’homme de l’ONU démontre qu’elle est aussi responsable de la violence contre les civils ? Autant de questions, pour l’instant, sans réponse, qui méritent une importante clarification de la part des autorités congolaises « pour éviter à la RDC et à ses populations de nouveaux abus autour d’une opération militaire de trop » conclut le rapport du Pôle Institut.
Christophe Rigaud – Afrikarabia.