Les résultats provisoires des élections législatives montrent que l’Assemblée nationale sera très largement dominée par Félix Tshisekedi. Ces résultats rebattent toutefois les cartes du paysage politique congolais, tant dans le camp présidentiel que dans celui de l’opposition.
Après une victoire écrasante à la présidentielle, avec plus de 73% des voix, Félix Tshisekedi s’offre désormais un raz-de-marée aux élections législatives. L’Union sacrée, sa plateforme présidentielle, devrait obtenir plus de 430 députés sur les 500 sièges de l’Assemblée nationale. Au sein de l’Union sacrée, c’est l’UDPS, le parti de Félix Tshisekedi, qui se taille la part du lion avec 69 élus, auxquels il faut rajouter 140 députés alliés. La première surprise vient de la deuxième force de la plateforme qui est attribuée à l’UNC de Vital Kamerhe, avec 38 députés et à ses partenaires, Code et AB20, qui font grimper le groupe de l’ancien directeur de cabinet de la présidence à environ 70 élus. Ce bon score replace Vital Kamerhe dans la course après ses déboires judiciaires de 2020. Le patron de l’UNC redevient un poids lourd du camp présidentiel. Il faut dire qu’avant de passer par la case prison, l’ancien président de l’Assemblée nationale s’était allié à Félix Tshisekedi pour les élections de 2018 et devait occuper, en cas de victoire, le poste le Premier ministre, ce que la cohabitation avec le camp Kabila, majoritaire au Parlement, n’avait pas permis de concrétiser. Avec cette bonne performance aux législatives, Vital Kamerhe peut donc espérer retrouver un poste à sa mesure : la Primature ou, plus plausible, le perchoir de l’Assemblée nationale.
Les ambitions de Bemba… et Kamerhe
La deuxième surprise des législatives réside dans le très faible score du MLC de Jean-Pierre Bemba. Avec seulement 19 députés, le chairman ne représente que la quatrième force politique au sein de l’Union sacrée, après l’AFDC du président du Sénat, Modeste Bahati. Pourtant, le patron du MLC avait mouillé la chemise pendant la campagne pour soutenir la réélection de Félix Tshisekedi. Le positionnement du MLC dans l’équipe gouvernementale sera sans doute revu à la baisse. Certains voient d’ailleurs en Jean-Pierre Bemba un futur candidat pour la prochaine présidentielle de 2028, Félix Tshisekedi ne pouvant briguer un troisième mandat. Le chairman du MLC pourrait même y affronter Vital Kamerhe, qui a toujours fait de la magistrature suprême son objectif ultime. Félix Tshisekedi devrait tout de même avoir les coudées plus franches à l’Assemblée pour son deuxième mandat. En campagne, le président-candidat avait fustigé les députés qui lui avaient « compliqué la tâche ». Cette fois, le chef de l’Etat aura des marges de manoeuvre plus grandes, même si l’Union sacrée reste un attelage politique très composite, avec de nombreux alliés à récompenser. La composition du nouveau gouvernement sera donc tout aussi délicate à doser, d’autant que 28 membres de l’actuel gouvernement ont été élus député. A noter la non-réélection d’Augustin Kibassa, le ministre des PT-NTIC et l’homme de la très contestée taxe RAM. Il faudra également surveiller les nombreux contentieux électoraux qui commencent à émerger au sein de l’Union sacrée : il y avait 23.000 candidats députés en lice le 20 décembre. La composition de la nouvelle Assemblée nationale pourrait être retardée.
L’opposition à la peine
Du côté de l’opposition, le second mandat de Félix Tshisekedi risque de ressembler à une longue traversée du désert. Seuls 27 députés de l’opposition ont été élus. Les camps de Martin Fayulu et Joseph Kabila seront absents de la chambre basse pour cause de boycott. Et dans le camp Katumbi, des caciques du mouvement comme Francis Kolombo ou Hervé Diakiese, le porte-parole d’Ensemble, n’ont pas été élus. Le mouvement katumbiste devra se contenter de la présence de 22 élus comme Christian Mwando ou Gratien Iracan pour porter la voix de l’opposition. Aucun candidat de l’ACRN du prix Nobel Denis Mukwege n’a été élu. Les opposants pourront sans doute compter sur les voix de deux anciens Premier ministres, Augustin Matata Ponyo, et Adolphe Muzito, que cette élection remet en selle. Pourtant, il ne faut pas oublier que le scrutin du 20 décembre a été émaillé de nombreuses irrégularités : matériels de vote qui n’a pas été déployé à temps, scrutin repoussé de plusieurs jours dans certains territoires, bourrage d’urnes, achats de voix… Malgré un scrutin chaotique, les missions d’observation électorale ont estimé que l’ampleur de la fraude et la forte avance de Félix Tshisekedi sur ses concurrents ne pouvaient remettre en cause la réélection du président sortant. La commission électorale (CENI) a toutefois annulé les votes de 82 candidats aux législatives nationales pour fraude. La volte-face de la CENI sur les irrégularités des élections législatives et des provinciales a toutefois jeté une lumière crue sur le désordre généralisé du 20 décembre. L’opposition s’est même étonnée que les fraudes relevées sur le vote des députés n’aient aucune incidence sur la présidentielle, alors que le scrutin se déroulait le même jour et avec le même bulletin de vote. Mais encore une fois, le score stratosphérique de Félix Tshisekedi, avec plus de 73%, reste le meilleur argument du camp présidentiel pour couper court à toute velléité de contestation.
Christophe Rigaud – Afrikarabia