La Seychelles International Bank (SIB), créée par l’escroc italien Florio Fiorini, a participé à l’une des plus grandes arnaques financière du XXe siècle contre le Crédit Lyonnais, un établissement de rang mondial. La banque française a failli mourir, comme le relevait dès 1992 l’ancien ministre François d’Aubert. Elle été sauvée de justesse aux frais des contribuables français, raconte son ex-président Jean Peyrelevade dans un livre qui vient de paraître.
Ce lundi 21 novembre 1988 à 18 h 15, un appel téléphonique fait clignoter le poste de Mme Hubert, hôtesse standardiste au Conseil général [NDLR : devenu Conseil départemental] de la Mayenne[i]. Elle s’apprête à rentrer à son domicile et appréhende d’affronter dans quelques minutes des conditions météorologiques extrêmes. Une vague de froid s’est abattue depuis deux jours sur la France. A Saint Raphaël, au bord de la Méditerranée, la neige commence à tomber et formera un manteau blanc de 4 cm d’épaisseur le lendemain matin. La température descend à -4° à Marseille, -2° à Ajaccio, du jamais vu fin novembre. Dans sa résidence proche du Luberon, Maxime Ferrari, l’ex-numéro 2 des Seychelles, frissonne. Il se prend à rêver à son cher archipel où la température avoisine 25 degrés. Le froid n’épargne pas Laval, petite capitale régionale située aux confins de la Bretagne et de la Normandie.
Un appel téléphonique qui déclenche tout…
Mme Hubert passe la communication à François d’Aubert, maire de Laval, conseiller général, député. Cet énarque qui a commencé sa carrière comme magistrat à la Cour des comptes est connu comme un père-la-rigueur qui surveille attentivement la dépense publique, et comme un souverainiste avant l’heure. Il raconte : « L’homme qui m’appelle au téléphone est un vieil ami, cinéphile passionné, chef d’entreprise établi et bien introduit et informé. Et il est tout simplement scandalisé par ce qui se trame autour de Pathé. […] De l’Italien en question je n’ai ce soir là aucune idée. »
Surgit le nom de Giancarlo Parretti…
François d’Aubert l’apprendra bien vite : Cet Italien, Giancarlo Parretti, tout comme son acolyte Florio Fiorini, est un affairiste choyé par des lieutenants de François Mitterrand, et déjà l’un des symboles d’un socialisme de plus en plus dévoyé. Son offensive pour s’emparer de la société Pathé, l’un des joyaux de l’industrie cinématographique française, est appuyée par le Crédit Lyonnais, une banque française nationalisée dont les rênes viennent d’être confiées à Jean-Yves Haberer, lui-même un des agents de la « Mitterrandie ».
… et celui de Jean-Yves Haberer…
Pathé est une entreprise pionnière du cinéma français, un fleuron du secteur audiovisuel. Qu’elle puisse se retrouver « vampirisée « par des capitaux d’origine douteuse, apportés par des personnages sans foi ni loi » dit François d’Aubert, a tout pour le hérisser. Le député de droite n’a peur de rien ni de personne, fût-il le monarque républicain. En février 1984, pour avoir mis en cause François Mitterrand, il a été brièvement privé de son indemnité parlementaire, un criant déni de démocratie[ii].
… et aussi le « vice-président » des Seychelles Mario Ricci…
Pour empêcher la prise de contrôle de Pathé par des forbans de la finance, François d’Aubert se fait « parlementaire enquêteur ». Un rôle rare, qui lui vaudra bien des désagréments mais qui lui permettra, parmi bien d’autres surprises, un intéressant point de vue sur les turpitudes de l’oligarchie seychelloise : le président Albert René et sa clique, au premier rang de laquelle le « vice-président » Mario Ricci.
A une époque d’avant internet et où les médias français sont presque tous phagocytés par l’Elysée, la détermination longtemps solitaire du maire de Laval va l’amener à soulever des montagnes. En tirant sur le fil d’Ariane de l’affaire Pathé, il découvre comment une bande d’aigrefins plus ou moins liée à la Mafia et à la Loge P2 a pris pied aux Seychelles. De là, elle tisse sa toile dans le monde des médias et de l’industrie cinématographique avec l’appui de politiciens dévoyés. Et finance ses acquisitions grâce aux énormes lignes de crédit ouvertes par le Crédit Lyonnais, via sa filiale Le Crédit Lyonnais Bank Nederland (CLBN), et accessoirement par d’autres banques.
Une bande d’aigrefins plus ou moins liée à la Mafia et à la Loge P2
Impossible de résumer ici « Argent Sale, enquête sur un krach retentissant », livre de presque 600 pages que François d’Aubert publie en janvier 1993[iii]. Ce best seller est le résultat de ses recherches personnelles[iv], puis du début des investigations de la commission d’enquête parlementaire anti-mafia dont il préside les travaux en 1992 (deux ans plus tard, il deviendra rapporteur de la commission d’enquête sur l’énorme scandale du Crédit lyonnais).
Les premières informations glanées par François d’Aubert en disent déjà long sur le tandem improbable d’Italiens qui vont entraîner dans un désastre financier hors du commun la grande banque nationalisée française : Giancarlo Parretti et Florio Fiorini.
Florio Fiorini, le second acteur principal
Parretti est né le 23 octobre 1941 à Orvieto, une petite ville située à une centaine de kilomètres au nord de Rome. Il part de rien. En 1958, à 17 ans, le voilà garçon de café, avant de pratiquer le même métier aux Etats-Unis. De retour à Syracuse (Sicile), il sympathise avec un certain Graziano Verzotto, qu’on dit proche de la Mafia. Lorsque Verzotto est ennuyé par la justice pour des transferts d’argent des plus suspects, il s’enfuit. Giancarlo Parretti se retrouve seul. Il va donner toute sa mesure de son talent, n’ayant pas son pareil pour se mettre en scène, proférer les pires mensonges et rebondir après des escroqueries qui l’ont conduit plusieurs fois dans les prisons italiennes.
Son futur acolyte Florio Fiorini est son portrait inversé : un financier italien discret issu de l’aristocratie des affaires. Il a été longtemps directeur financier de la puissante société pétrolière de l’Etat italien, l’ENI. Puis il se lance dans des acquisitions personnelles de plus en plus hasardeuses, financées par des capitaux à l’opacité croissante[v]. Il a surtout racheté une vieille société de la Banque Ambrosiano, qui gérait le patrimoine rural du Vatican. Elle est rebaptisée Sasea Holding. Fiorini explique à Parretti « l’effet de levier » d’une holding, pour obtenir des capitaux. L’autre est un élève doué.
« L’effet de levier » d’une holding
A l’aube des années 1998, Parretti décide de se lancer dans la finance internationale. « Il fonde alors, à Luxembourg, une société financière, Interpart, qui doit lui permettre de prendre des participations dans la presse et la production de films. Le capital d’Interpart ? Ridicule: 20 000 dollars. Deux ans plus tard, en 1985, il atteint 50 millions de dollars. D’où vient l’argent? Sans doute d’hommes d’affaires du Moyen-Orient, du Liberia et des Seychelles… », observe Gilles Gaetner[vi] (le nom de Mario Ricci est avancé, mais rien ne prouve qu’il ait trempé dans cette affaire bien qu’il soit tout puissant aux Seychelles). Une holding est une société dont la seule activité est de prendre des participations dans d’autres sociétés. Beaucoup de holdings sont créées au Luxembourg car l’imposition y est très faible et le contrôle, des plus ténus.
Des hommes d’affaires du Moyen-Orient, du Liberia et des Seychelles…
Les administrateurs initiaux d’Interpart sont alors un financier du Qatar « et un dénommé Salvatore Picciotto, marionnettiste au jardin du Luxembourg, à Paris ! Dès 1986, ce petit monde s’efface pour laisser la place – et le pouvoir – au nouvel associé de Parretti, Florio Fiorini » ajoute Gilles Gaetner Le tandem deviendra inséparable.
Dans le petit monde de la banque et de la finance, beaucoup savent que Parretti a été condamné en Italie à de la prison ferme pour banqueroute. Dès 1989, François d’Aubert alerte le président du Crédit Lyonnais sur « l’énorme responsabilité de la banque française et de sa filiale hollandaise » dans une folle fuite en avant, octroyant au binôme de gigantesques prêts souvent sans garantie ou sur la production de nantissements tortueux. Il prêche dans le désert.
La « fuite en avant » de la filiale hollandaise du Crédit Lyonnais
En 1987, Parretti et Fiorini décident de racheter Cannon, une entreprise américaine d’exploitation de salles de cinéma et de production de films. La filiale néerlandaise du Crédit lyonnais, la CLBN leur prête 250 millions de dollars. En 1988, malgré les alertes de François d’Aubert, la filiale du Crédit lyonnais aux Pays-Bas prête cette fois au duo presque 900 millions de dollars pour racheter Pathé. Le député français se démène, se heurte toujours à des haussements d’épaule. Il est vrai que Parretti, « proche d’amis de la mafia sicilienne[vii] » est aussi très introduit dans l’internationale socialiste européenne. Il dispose d’un bureau au siège national du Parti socialiste français comme « Premier secrétaire de la section française du Parti socialiste italien. » Il se vantera d’avoir contribué à financer la seconde campagne présidentielle de François Mitterrand, en 1988. Sans être démenti. Parretti a aussi dépensé quelques millions de dollars pour sauver – très provisoirement – le quotidien socialiste français Le Matin de Paris.
Parretti, sauveur – provisoire- du quotidien socialiste Le Matin de Paris
Fiorini, « le roi de l’opacité » a besoin d’une banque exotique et discrète. Alors que sous la pression des Etats-Unis presque tous les paradis fiscaux ont été forcés à réglementer – encore timidement – les circuits de blanchiment de capitaux « sales », il repère un Etat quasiment vierge de réglementation : les Seychelles. On y crée une société pour une poignée de dollars, et pas plus le fisc que la banque nationale n’exige le dépôt d’une comptabilité. L’action au porteur se porte bien aux Seychelles. A la différence de l’action nominative, elle est anonyme et permet aux propriétaires réels des sociétés offshore de dissimuler leur identité. Bien pratique pour le blanchiment d’argent. Ca consiste à dissimuler des fonds de provenance illicite (trafic de drogue, vente d’armes, fraude fiscale, etc.) pour les réinvestir dans des activités légales et donc les recycler. Les sociétés offshore sont les « lessiveuses » idéales de l’argent sale.
Florio Fiorini crée la Seychelles International Bank
Florio Fiorini fait mieux encore : le 1er février 1985, il crée la Seychelles International Bank (SIB). Se targuant de son rôle au sein de l’ENI, il prétend garantir l’approvisionnement pétrolier de l’archipel. Pour François d’Aubert, « la SIB réussit dès ses débuts à être un chef d’œuvre d’opacité. […] elle a eu pendant cinq ans un très discret bureau de représentation à Monaco, où Fiorini recevait ses visiteurs dans un deux-pièces miteux d’un immeuble résidentiel, avec des affiches jaunes des plages seychelloises punaisées au mur. En réalité, la SIB est gérée depuis le début à partir du siège de la Sasea à Genève. Curieusement, la SIB était inconnue des autorités monégasques et de la Commission Bancaire française […] ».
« Un chef d’œuvre d’opacité »
Le député français ne s’est jamais rendu aux Seychelles. Cependant il a pu s’en faire une idée en compulsant rapports, articles de journaux et archives bancaires accessibles. Il met en garde ceux qui n’y voient qu’une destination de rêve. Ils doivent savoir ; « en débarquant à l’aérport de Victoria, qu’ils mettent les pieds dans un pays où la corruption est érigé en système. La mafia et la loge P2 ont fait, comme au Kenya, de sérieux efforts d’implantation au milieu des années 80. » Le député français se méfie en particulier de Mario Ricci, « grand maître d’un faux Ordre des Chevaliers de Malte, président d’une nébuleuse industrialo-financière installée à Lugano, condamné par la justice italienne et suisse[viii] et « gourou » du président en matière économique et financière ».
Le « vice-président » des Seychelles est très susceptible…
Mario Ricci, surnommé « le vice-président des Seychelles », est très susceptible. « Comme Parretti, et Fiorini, il a le procès en diffamation facile », souligne François d’Aubert qui lui consacre pourtant douze pages très documentées de son livre « L’Argent sale ».
A plusieurs reprises le binôme Parretti/Fiorini recourt aux circuits opaques des Seychelles pour brouiller les pistes. Lorsqu’ils sollicitent des prêts du complaisant Crédit Lyonnais Bank Nederland pour reprendre et renflouer l’Américain Cannon Group Inc., ils font intervenir une société seychelloise opportunément baptisée Finvest, jouant d’une homonymie avec une société du groupe Berlusconi. « L’autre » Finvest est « immatriculée aux Seychelles, [et on y ] trouve des proches de Fiorini et le propre frère de Ricci, l’homme des capitaux douteux […] », indique François d’Aubert.
L’incroyable rachat des studios de la MGM
1990 est l’année cruciale du binôme. Parretti et Fiorini obtiennent une cascade de prêts qui leur permet de racheter les prestigieux studios de la MGM, la grande « Major » du cinéma américain.
Alors qu’il a été condamné en Italie à 46 mois de prison pour banqueroute frauduleuse, Giancarlo Parretti a obtenu un prêt de plus d’un milliard de dollars de la filiale néerlandaise du Crédit lyonnais, Crédit Lyonnais Bank Nederland.
Las, la MGM, « perle du cinéma mondial » est en miettes, dépecé par de précédents « passionnés de cinéma », et le tandem Parretti/Fiorini est nettement moins doué en gestion qu’en arnaques. Comme par hasard, au moment où le texte de demande de commission d’enquête parlementaire de François d’Aubert commence à circuler (en novembre 1990) il est assigné pour diffamation par le Crédit Lyonnais, et sera lourdement condamné.
Parretti et l’antisémitisme
Parretti plastronne et n’a pas le triomphe modeste. En mars 1990, il accorde une interview aux lourds accents antisémites « dans le style « les Juifs et les Japonais sont nos ennemis […] Il n’existe dans le monde de holding qui ne soit entre les mains des juifs […] Pathé est la première ,société, dans le monde du spectacle et de l’édition qui ne soit pas juive : nous sommes cathollques parce que c’est notre culture. » »[ix]
Reprise dans le quotidien communiste italien L’Unità, puis dans Business Week[x], Le Figaro, etc., l’interview provoque une onde de choc. Parretti dément et menace de poursuites judiciaires ceux qui reproduiraient le texte litigieux. Parvenu au faîte de ses ambitions, l’homme semble avoir « pété les plombs ». Il déclare dans une interview au magazine Variety du 23 mai 1990 : « Je pense que la vie est une comédie et j’aime bien avoir du bon temps. Dans la vie je suis un acteur… Je joue quand je suis en public. » Bien plus tard, la justice suisse estimera que Parretti et Fiorini ont « fait preuve d’une certaine mégalomanie »[xi].
« Parretti et Fiorini ont fait preuve d’une certaine mégalomanie »
La comédie des « usines à gaz » financières de Parretti coûte de plus en plus cher au Crédit Lyonnais qui espère « se refaire » en empêchant l’histrion de couler. Ce dernier avance un nouvel argument : le « Roi de Malte » va sauver la situation en investissant massivement dans la MGM. Ce « Roi de Malte » se proposerait d’émettre deux lettres de crédit de 500 millions de dollars chacune pour servir de caution aux prêts souscrits auprès du Crédit Lyonnais de Rotterdam.
Plus c’est gros…On n’en saura pas plus, en pensant au faux « Ordre des chevaliers de Malte » fondé aux Seychelles par Mario Ricci dans les années 80. Et on verra par la suite réapparaître la mystérieuse Seychelles International Bank.
Un mystérieux « Roi de Malte » convoqué par les escrocs
La crise de la MGM conduit le Crédit Lyonnais à évincer Paretti et Fiorini du management de la « Major ». Mais si le « gendarme de la bourse » français continue de faire la sourde oreille aux alertes concernant le tandem, aux Etats-Unis, le FBI et la SEC commencent à enquêter. « Le procureur de Los Angeles, Jeffrey Isaacs, vient […] de lancer contre le financier italien et son acolyte Florio Fiorini un mandat d’arrêt international. Avec, pour Parretti, la bagatelle de 55 chefs d’inculpation. Ils concernent tous le rôle plus que trouble joué par ce dernier lors du rachat, en 1990, de la mythique Metro Goldwyn Mayer (MGM) grâce à l’aide ahurissante du Crédit lyonnais », écrit le journaliste Gilles Gaetner.[xii]
Les Américains ouvrent l’enquête
En septembre 1992 en Suisse, Fiorio Fiorini est contraint de déposer le bilan de sa holding, la Sasea. C’est un tremblement de terre sur la planète Finances car il s’agit d’une des plus grandes faillites jamais survenue en Suisse. Le « trou » est de plus d’un milliard de francs suisses à la charge de la Banque Cantonale de Genève, de Credit Suisse, de l’UBS.et évidemment du Crédit Lyonnais. La grande banque française, via ses filiales en Suisse et en Hollande, produit des créances pour plus de 200 millions de francs (30 millions d’euros). « Ses dirigeants de l’époque ont même été mis sur la sellette par la justice pour les prêts accordés à Florio Fiorini et son compère Giancarlo Paretti, lors du rachat par Sasea du géant cinématographique hollywoodien Metro Goldwyn Mayer (MGM) », souligne le journaliste suisse Luiginio Canal[xiii] (ce que confirmera Jedan Peyrelevade, lire plus loin).
Il faudra plus de vingt ans pour solder le dossier. Un chiffre résume le miroir aux alouettes – aux pigeons – savamment élaboré par Florio Fiorini : les actifs de la Sasea Holding représentaient moins de 11% des créances…
Fiorini « balance » son complice Parretti
En juin 1995, après trente-trois mois de préventive, Florio Fiorini sera condamné à six ans de prison pour banqueroute simple, faux dans les titres, escroqueries, fraude dans la saisie et obtention frauduleuse d’un concordat. Le détenu a « balancé » son compère Parretti pendant l’instruction, décrivant l’écheveau complexe des participations croisées et fausses augmentations de capital social qui avaient mis le Crédit Lyonnais et d’autres banques en confiance.
En France, il faudra encore attendre la mise à l’écart de Jean-Yves Haberer, le patron mégalomane du Crédit Lyonnais, son remplacement par Jean Peyrelevade et le sauvetage aux forceps de la banque par ce dernier. Parretti sera condamné à Paris en 1999 à quatre ans de prison pour escroquerie, et à une amende d’un million de francs. On n’entendra plus jamais parler de lui.
Parretti enfin hors d’état de nuire
François d’Aubert de conclure : « Intermédiaires financiers passés maîtres dans l’art de lever des capitaux, financiers sans scrupules protégés par l’Internationale socialiste, escrocs de haut vol s’épanouissant dans l’univers virevoltant de la financiarisation à outrance des années 80, ou recycleurs « free lance » de capitaux d’origine diverse et souvent douteuse ? Fiorini et Parretti, c’est un peu tout cela à la fois. Avec en finale une ardoise d’une quinzaine de milliards de francs pour le Crédit Lyonnais. » Un chiffre colossal, et pourtant bien en dessous de la vérité, comme il apparaîtra plus tard.
La contribution des Seychelles à l’une des plus retentissantes arnaques de la finance internationale
L’ouvrage de François D’Aubert s’arrête en 1992. Les dirigeants des Seychelles chercheront à faire oublier leur contribution à l’une des plus retentissantes arnaques de la finance internationale par le biais – entre autres – de la Seychelles International Bank (SIB). L’histoire, elle, continue pour le Crédit Lyonnais. La banque nationalisée française, l’une des plus grandes du monde, est en « risque systémique », c’est-à-dire au bord du dépôt de bilan, ses dettes dépassant ses actifs avec des emprunteurs quasi-insolvables
L’Etat français se résout enfin à débarquer Jean-Yves Haberer « un président mégalomane faisant suite pendant cinq ans à deux ans d’incompétence antérieure, sans que jamais aucun contre-pouvoir n’ait fonctionné »[xiv] analysera son successeur Jean Peryrelevade dans un récit de la sortie de crise paru en 2016.
L’Etat français se résout enfin à débarquer un président mégalomane
Lorsqu’il reprend les rênes du Crédit Lyonnais, Jean Peyrelevade découvre un paysage de champ de bataille : « Le juge d’instruction suisse Jean-Louis Crochet instruit une plainte pour banqueroute contre Florio Fiorini, président de la Sasea, société en faillite à laquelle la banque, victime d’une escroquerie, a prêté beaucoup d’argent aujourd’hui perdu. Il essaye de mettre en cause la responsabilité du Crédit Lyonnais pour gestion de fait et soutien abusif. »[xv] Jean Veil, l’astucieux avocat du Crédit Lyonnais, permettra d’éviter ce naufrage particulier dans le naufrage général.
Un groupe HLM de la région parisienne abusivement valorisé
Pour Jean Peyrelevade, chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles : « Je découvre […] entre diverses horreurs, qu’une participation dans un groupe HLM, dont la valeur marchande est voisine de zéro compte tenu des contraintes statutaires qui pèsent sur de telles structures à but quasiment non lucratif (ce que chacun sait) s’est trouvée, après une longue suite de cessions internes entre sociétés de la mouvance Sasea, valorisée à 800 millions de francs (120 millions d’euros) sans que personne s’en émeuve. »[xvi]
Le nouveau président du Crédit Lyonnais stoppe la ruineuse stratégie de « banque-industrie » de son prédécesseur qui avait surtout permis à des escrocs de se remplir les poches. Le pire est évidemment le rachat des mythiques studios de la MGM à Hollywood par le tandem Fiorini/Parretti avec l’argent de la banque française, sans la moindre garantie de solvabilité : « Comment le Crédit Lyonnais a-t-il pu se laisser entraîner à financer l’acquisition du studio hollywoodien, à l’automne 1990, par le sulfureux et trop bien connu Giancarlo Parretti ? Comment peut-on être à ce point aveuglé, et pourquoi ?, se demande Jean Peyrelevade dans « Journal d’un sauvetage.
Le nouveau président du Crédit Lyonnais poursuit : « Je plonge dans une lecture hallucinante. L’essentiel des crédits ayant été accordés par notre filiale néerlandaise (le CLBN, Crédit Lyonnais Bank Nederland), je demande à Hervé de Gouyon, notre inspecteur général, de m’éclairer sur les réactions qu’a pu avoir le régulateur : la Banque centrale des Pays-Bas, directement concernée, n’a-t-elle jamais signifié son inquiétude ? La Commission bancaire française ignorait-elle qui étaient MM. Parretti et Fiorini ?
Ce que je lis dépasse l’entendement. De décembre 1987 à avril 1990, la Banque centrale néerlandaise a envoyé une dizaine de lettres au Crédit Lyonnais sans que cela change quoique ce soit au déroulement d’une histoire infernale. »[xvii]
Un gouffre de créances douteuses
Au total, la « mégalomanie » de Haberer jointe à l’absence de contrôle interne a fait s’accumuler un stock considérable de créances douteuses. Le compteur en milliards d’euros s’emballe. Pour Jean Peyrelevade, « les dommages créés par le financement malheureux du cinéma américain représentent la moitié environ du total des dégâts supportés par le groupe. C’est beaucoup, mais cela n’explique pas tout. « Y a-t-il eu escroquerie ? Oui, sans aucun doute, une gigantesque escroquerie qui a atteint des degrés de sophistication, de raffinement, proprement admirables. La vraie question est de savoir pourquoi la filiale hollandaise, où ces risques étaient concentrés, a-t-elle été si perméable à de tells manœuvres. Quand on voit l’ampleur du désastre, on pense à une explication rationnelle. On songe à la corruption, à un enrichissement personnel ; on regarde et on ne trouve rien. Nous n’avons aucun élément d’explication autre que l’incompétence et l’incurie de responsables. »[xviii]
Corruption au Crédit Lyonnais ?
A la commission d’enquête parlementaire sur le Crédit Lyonnais, le député Philippe Auberger n’est pas convaincu : « Cette affaire, avec une telle succession d’anomalies, est d’une invraisemblance totale. On ne peut qu’échafaudes des hypothèses. Ce n’est pas parce que l’on n’a pas trouvé de fait de corruption qu’il n’y en a pas eu. »[xix]
Malgré son enquête qui se veut sans concessions, Jean Peyrevade écarte les soupçons pesant sur des collaborateurs de haut niveau du Crédit Lyonnais de la fin des années 1980. Il s’en ouvre pourtant au détour d’un chapitre. Mais il se contente de paraphraser François Gille, l’un des responsables de la banque chargés de nettoyer les écuries d’Augias : « On a trouvé dans les tiroirs de membres de l’état-major de notre filiale hollandaise des cadeaux de Parretti : un Picasso (mais il était faux, des dessins et gravures de la même qualité et des titres de propriété creux. Nous n’avons pas pris de sanctions, pour ne pas affaiblir notre position juridique aux Etats-Unis. »[xx] La messe est dite…
« L’addition Parretti est dix fois plus lourde que celle laissée par Bernard Tapie »
Georges Vigon, patron du Crédit Lyonnais Hollande de 1981 à 1988 puis promu à Paris de 1988 à 1991 comme responsable de l’Europe, est mis en cause : « En octobre 1990 il décide tout seul, sans en référer à quiconque, de financer l’OPA de Parretti sur la MGM. Par téléphone, sans le moindre document justificatif : 15 milliards de francs (2,5 milliards d’euros). Je m’interroge à nouveau. Comment expliquer (folie des paillettes ? désir de gloire ?) la trop facile pénétration de la banque par des individus habiles, retors et peu scrupuleux ? L’addition Parretti est dix fois plus lourde que celle laissée par Bernard Tapie. Mais l’histoire est la même… »[xxi], observe encore Jean Peyrelevade.
15 milliards d’euros de pertes cumulées
En janvier 1995, l’addition totale, du sauvetage du Crédit apparaît pour 100 milliards de francs de pertes cumulées (15 milliards d’euros), soit 1% du PIB du pays. Les Français, du bébé au vieillard, clients ou pas du « Lyonnais » en sont en moyenne de leur poche pour 1 500 euros ! Une perte relative. Redressé par Jean Peyrevade et son équipe, le Crédit Lyonnais est partiellement privatisé en 1999 sur la base d’uns capitalisation totale de 12 milliards d’euros, dont 8 milliards iront dans les caisses de l’Etat (Les 10% restant à l’Etat seront ensuite rachetés 20 milliards d’euros par OPA amicale du Crédit Agricole en 2002-2003).
Jean Peyrevade a tiré la morale de cette histoire et n’accable qu’en partie son prédécesseur et sa « folie des grandeurs » : « L’appât du gain, la sophistication extrême des produits conçus puis distribués pour « rapporter de l’argent », leur multiplicité qui fait qu’aucun président de grande banque ne peut sérieusement avoir une vraie connaissance de ce qui se passe dans l’établissement, l’opportunisme naturel du chef d’une grande maison sans cesse courtisé, complimenté pour sa vista et sa force de caractère, ce qui achève de le convaincre que les malheurs irrémédiables n’arrivent qu’aux autres, nécessairement plus mauvais que lui puisqu’ils sont tombés, cet abondant faisceau de causes convergentes conduit à établir en théorème une vérité expérimentale, aux solides fondements historiques : « Toute institution financière non régulée est appelée à faire faillite. » »
La leçon pourrait s’appliquer aux Seychelles : tout Etat qui croit pouvoir prospérer en s’appuyant sur la non-régulation des capitaux, sur le désordre de la finance internationale, sur le lessivage de l’argent sale et sur l’opacité des sociétés offshore, est appelé tôt ou tard à faire faillite.
Jean-François DUPAQUIER
Retrouvez les épisodes précédents :
Paniques aux Seychelles à l’approche de l’ouragan « Démocratie » (1)
Seychelles : pour que justice passe enfin dans l’archipel (2)
Seychelles : des forbans aux pirates de la finances internationale (3)
Seychelles : Mario Ricci, le Raspoutine de l’archipel (4)
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[i] Cette information et les citations qui suivent sont tirées du livre de François d’Aubert, L’Argent sale, Enquête sur un krach retentissant, Ed. Plon, Paris, 1993.
[ii] Au motif d’« injures ou menace envers le président de la République française » couvert par l’article 73 du règlement de l’Assemblée nationale. Un article aujourd’hui tombé en désuétude.
[iii] Lire aussi Jean Peyrelevade, Journal d’un sauvetage, Ed. Albin Michel, Paris, 2016.
[iv] Sa participation à dix commissions d’enquête de 1990 à 2004 lui a valu le qualificatif de « l’un des meilleurs investigateurs de l’Assemblée » (Députés sous influence. Le vrai pouvoir des lobbies à l’Assemblée nationale, par Hélène Constanty et Vincent Nouzille, Ed. Fayard, Paris, 2006.
[v] Fin 1992, inculpé pour une gigantesque fraude, Fiorini sera écroué à Genève.
[vi] Gilles Gaetner, » Une anguille nommée Parretti », l’Express, 28/10/1999.
[vii] Termes employés dans la Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête. Assemblée nationale française, session 90-91,/n° 1696.
[viii] Mario Ricci a été condamné en 1958 par le tribunal de Florence à un an de prison pour banqueroute. En 1970 ; la cour de justice de Mendrisio (Suisse) l’a condamné à sept mois de prison et cinq ans d’interdiction de séjour pour détention de faux dollars.
[ix] François d’Aubert, op. cit., p. 368.
[x] Business Week, 14 avril 1990.
[xi] Cour correctionnelle de Genève, juin 1995.
[xii] L’Express, 29/10/1999.
[xiii] Magazine Bilan, 9 juin 2013.
http://www.bilan.ch/luigino-canal/les-grandes-fortunes/lune-des-plus-grandes-faillites-de-suisse-bouclee-apres-plus-de
[xiv] Jean Peyrelevade, Journal d’un sauvetage, Ed. Albin Michel, Paris, 2016, p. 139.
[xv] Ibidem, p. 30.
[xvi] Ibidem, p. 106. Voir aussi les pages 114 et 115, particulièrement significatives du quasi naufrage du Crédit Lyonnais en 1994-1995.
[xvii] Ibidem, p. 195.
[xviii] Déclaration du président du Crédit Lyonnais à la Commission d’enquête parlementaire sur le Crédit Lyonnais, voir Journal d’un sauvetage, op. cit., p. 290.
[xix] Déclaration de Philippe Auberger à la Commission d’enquête parlementaire sur le Crédit Lyonnais (les auditions s’étalent de juillet à août 1994).
[xx] Jean Peyrelevade, Journal d’un sauvetage, op. cit., p. 43.
[xxi] Ibidem, p. 313.