L’extension de la plus grande mine d’or d’Afrique a provoqué des expulsions massives et des violences des droits humains. Une enquête de PAX Netherlands Peace Foundation dénonce « des dépossessions à grande échelle et des profits de géants » pour le deuxième producteur d’or mondial Barrick. Une filiale du groupe français Bouygues y joue également un rôle.
La mine d’or de Kibali est située dans le Haut-Uélé, une province reculée du Nord-Est de la République démocratique du Congo (RDC), à la frontière du Sud-Soudan et de l’Ouganda. On y extrait de l’or en grande quantité depuis 1903. Aujourd’hui, Kibali Goldmines SA, appartient à deux géants du secteur, Barrick Gold Corporation (45%), AngloGold Ashanti (45%) et à la société minière d’Etat SOKIMO. Mais sur le terrain, c’est Barrick qui est l’opérateur exclusif de la mine. Second producteur mondial d’or, Barrick est installé à Toronto au Canada et coté à la bourse de New York. Le périmètre minier couvre une superficie plus vaste que le Grand Londres avec 1.836 km2. En 1998, un important gisement est découvert à proximité de la localité de Durba. Dans une enquête très documentée de près de 100 pages, l’ONG PAX Netherlands Peace Foundation s’est intéressée pendant près de trois ans aux conditions d’expulsions des populations habitants les quartiers de Mege et Bandayi.
« Ils ont détruit les églises, les écoles, les hôpitaux »
L’affaire débute en mars 2021 avec la création d’une « Commission spéciale de démolition » lancée par le gouverneur provinciale et le ministre provincial des Mines. L’objectif est de « démolir toutes les constructions anarchiques » dans la « Zone d’exclusion B » de la mine. En octobre, sous protection de l’armée et de la police congolaise, 2.500 maisons ont été détruites avec bulldozers et pelleteuses. PAX a recueilli les témoignages d’habitants de la zone « dont beaucoup n’ont même pas eu le temps de récupérer leurs biens ». « Ils ont détruit les églises, les écoles, les hôpitaux, tout. C’était violent. Si on te trouve avec un téléphone, une caméra, on va te taper pour récupérer ce téléphone. Et puis tu pars en prison » a raconté un témoin. « Après avoir démoli toutes les maisons, ils nous ont laissés sous la pluie », explique une autre victime.
Des réinstallations fantômes
Pour Barrick, les maisons démolies étaient habitées par des « occupants illégaux » et ne pouvaient donc pas prétendre à être relogés. L’opérateur indique qu’entre 2010 et 2013, « plus de 20.000 personnes », qui occupaient initialement le site, avaient déjà été relogées dans un site d’accueil. Mais selon l’ONG néerlandaise, les affirmations de Barrick « sont fausses ou trompeuses à plusieurs égards ». L’enquête démontre qu’après l’analyse de documents et d’images satellite, « il n’y a probablement jamais eu de réinstallation des ménages et de compensation des champs dans la zone de Mege-Bandayi, ou du moins pas de manière complète ». PAX pointe également le manque d’informations des populations. « Beaucoup d’entre elles ne savaient réellement pas qu’elles vivaient dans un espace que les autorités avaient désigné comme faisant partie d’une « zone d’exclusion
». D’autant que « Les communautés affectées n’ont jamais eu la possibilité de dialoguer avec Kibali, et encore moins de voir leurs dossiers examinés par un tribunal ».
La répression fait « au moins trois morts »
Des documents consultés par l’ONG montrent qu’entre 2012 et 2020, Kibali avait reconnu la légitimité de la « communauté du village de Mege ». Ce qui jette un doute sur la notion « d’occupants illégaux » et illustre les rapports ambigus et les liens incestueux entre l’appareil d’Etat et les sociétés privées. Dès 2022, PAX a contacté Barrick, puis effectué une visite de deux jours à la mine de Kibali. Pour le « géant de l’or », les éléments avancés par PAX sont « inexacts ». Pourtant, Barrick aurait dû rendre public plusieurs documents. Ce qui n’a jamais été fait. Selon l’ONG, « ces expulsions ont violé la plupart, sinon la totalité, des protections procédurales minimales établies par les experts des Nations unies ». Des incidents graves ont émaillé ces expulsions. La police a ouvert le feu sur les habitants, tuant au moins trois personnes. Un militaire a également été tué par les manifestants. Une répression jamais condamnée par la justice. « Les forces de sécurité sont devenues les auxiliaires de la mine et de ses activités dans la région ».
Une décharge à ciel ouvert
Le rapport s’étonne que Barrick ne se soit pas demandé ce qu’allaient devenir les 2.500 familles expulsées et sans abri. PAX note que le patron de Barrick avait lui-même visité la mine moins de dix jours avant les démolitions. Aujourd’hui, la zone de Bandayi est devenue « une décharge pour l’exploitation minière à ciel ouvert de Kibali ». Selon les obligations des entreprises en matière des droits humains, et la notion de « complicité », PAX a contacté Bouygues Construction, une filiale du géant du BTP français, qui sous-traitait les travaux de terrassement des mines à ciel ouvert à la société Kibali Mining Services (KMS). Il incombe, en effet, aux entreprises « d’éviter de causer ou de contribuer à causer des violations des droits humains, mais aussi de s’efforcer de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme ».
Bouygues se cache derrière son sous-traitant
Dans un courrier envoyé à l’ONG PAX, Bouygues Construction renvoie la patate chaude vers KMS. Bouygues écrit que KMS n’avait « aucune autorité, aucun pouvoir de décision, ni aucune responsabilité dans la gestion des opérations » de la mine de Kibali et donc « aucune implication dans les événements » relatés dans le rapport. Bouygues explique tout de même « qu’entre l’opérateur et KMS, le contrat stipule sans équivoque que des parties du site de la mine doivent être remises par l’opérateur à KMS « libres et nettes » et le rester jusqu’à ce que les travaux miniers soient terminés ». Suite à cette enquête, l’ONG néerlandaise demande au gouvernement congolais de « faciliter un processus équitable de relogement et d’indemnisation ». Barrick devrait « enquêter sur les violations apparentes des normes internationales documentées et rendre ses conclusions publiques ». Mais aussi « ouvrir un dialogue constructif avec les populations de Mege et Bandayi », et enfin « fournir des mesures de réparation aux victimes ».
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Complètement dingue cette façon de faire. À croire que la vie des riverains ne vaut pas un Penny devant les intérêts de ces affairés…!
Bonjour très ravi d’avoir de nouvelles informations concernant ce qui se passe dans vie de famille.