Ce lundi 9 mai s’ouvre à la cour d’assises de Paris le procès de Laurent Bucyibaruta, préfet de Gikongoro pendant le génocide des Tutsi du Rwanda. Le planning des audiences prévoit l’audition de très nombreux témoins et un verdict à la mi-juillet, pour autant que la santé précaire de l’accusé ne bousculera pas l’agenda judiciaire.
Par Jean-François Dupaquier
Déjà en 1994 Laurent Bucybaruta apparaissait comme un des suspects « de premier rang » dans la perpétration du génocide des Tutsi du Rwanda. Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) a très vite mené des enquêtes sur son rôle présumé des crimes qui auraient été commis sous son autorité dans sa préfecture, qualifiés par le Tribunal de l’ONU de « incitation directe et publique à commettre le génocide », « génocide », « complicité dans le génocide », « extermination constitutive de crime contre l’humanité », « assassinat constitutif de crime contre l’humanité » et « viol constitutif de crime contre l’humanité ». Dès 2005, ces chefs d’inculpation figurent dans l’acte d’accusation du TPIR.
« Incitation directe et publique à commettre le génocide », « génocide », « complicité dans le génocide »…
Né en 1944, Laurent Bucybaruta était un baron du régime rwandais, un militant remarqué du parti unique, nommé à 29 ans bourgmestre dans son commune d’origine de Musange, puis sous-préfet à Gisenyi (la région natale du président Habyarimana et de sa femme Agathe), préfet de Kibungo, enfin en 1992 préfet de Gikongoro, une région importante du sud du Rwanda où vivaient de nombreux Tutsi, malgré les persécutions et les massacres des décennies passées.
Dans la pyramide administrative du Rwanda, un bourgmestre était déjà un acteur très important, nommé par le président en personne. Quand aux préfets, ils avaient des pouvoirs considérables, largement supérieurs à ceux des ministres. A ces pouvoirs institutionnels, Laurent Bucyibaruta ajoutait celui de président du Comité préfectoral du mouvement Interahamwe, la sinistre milice des jeunes de l’ex-parti unique qui joua un rôle-clef dans le génocide.
L’importante préfecture de Gikongoro
Le génocide des Tutsi du Rwanda avait initialement buté sur la résistance de certains préfets. Comme le rappelle Jean-Damascène Bizimana, secrétaire exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG) [aujourd’hui ministre de l’Unité nationale et de la Réconciliation], « le 17 avril 1994, le Gouvernement génocidaire a pris la décision de limoger certains préfets pour les remplacer par des extrémistes qui devaient accélérer la mise en œuvre du génocide dans les préfectures. C’est pourquoi Jean Baptiste Habyarimana, préfet de Butare, et Godefroid Ruzindana préfet de Kibungo, ont été limogés et tués avec leurs familles. Ont été nommés de nouveaux préfets, connus pour leur extrémisme et partisans du Hutu Power, Francois Karera à Kigali Ngari, Sylvain Nsabimana à Butare, Anaclet Rudakubana à Kibungo, Elie Nyirimbibi à Byumba, Basile Nsabumugisha à Ruhengeri et le Dr Charles Zirimwabagabo à Gisenyi. »
Les préfets, acteurs de premier plan du génocide
A Gikongoro, Laurent Bucyibaruta ne risquait pas ce sort funeste. Il faisait plutôt du zèle, si l’on en croit de nombreux témoignages. Le 21 avril 1994 il aurait notamment ordonné l’extermination de milliers de Tutsi venus se réfugier dans l’école technique de Murambi, au cœur de sa préfecture.
Réfugié en France près de Reims, Laurent Bucyibaruta a fait l’objet janvier 2000 d’une plainte pour génocide déposée en par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’association Survie. Arrêté et incarcéré à la prison de la Santé, il recouvra la liberté après quelques mois de détention et sera placé sous contrôle judiciaire.
L’enquête ne progressera guère en France. Celle menée par le TPIR était beaucoup plus productive. En 2007, le Tribunal pénal international pour le Rwanda émit un mandat d’arrêt international contre lui. « Du fait de sa fonction de préfet de Gikongoro qu’il remplissait et du pouvoir qu’il avait à ce titre, Laurent Bucyibaruta représentait l’exécutif dans la préfecture, écrit Hassan Bubacar Jallow, procureur du TPIR. Il est individuellement responsable du crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide pour avoir prononcé des discours publics dans lesquels il définissait l’ennemi comme étant l’ensemble des membres du groupe tutsi et exhortait son auditoire à les attaquer pour les tuer… Il a participé sciemment à une entreprise criminelle commune. »
« Il a participé sciemment à une entreprise criminelle commune. »
Laurent Bucyibaruta sera de nouveau brièvement arrêté. Mais la cour de Cassation refuse sa remise au TPIR en arguant qu’il risquerait d’être remis ensuite à la justice rwandaise qui n’offrirait pas de garanties suffisantes de saine justice. Un procès d’intention et un déni des obligations internationales de la France, qui avait contribué à instaurer le TPIR. Un argument constamment renouvelé par la cour de Cassation qui, depuis lors, s’est opposée à l’exécution de tous les mandats d’arrêt internationaux émis par le Rwanda.
Si le « Pôle génocide » français a fini par boucler le dossier d’instruction, c’est d’abord le résultat du combat inlassable de Dafroza et Alain Gauthier, à la tête du Collectif pour les parties civiles pour le Rwanda (CPCR), une association qui identifie et signale à la justice les anciens génocidaires qui croient vivre tranquilles sur le territoire français. Ils sont une centaine. Seuls quatre ont été jugés. Il est évident que la plupart mourront avant une issue judiciaire.
Aujourd’hui âgé de 78 ans et gravement malade – il doit subir trois dialyses par semaine – Laurent Bucyibaruta clame toujours son innocence. Parmi ses vingt témoins, il a cité des personnes qui appartiennent au gotha du négationnisme. On espère que que l’image de la justice française, après ses palinodies et ses inconséquences, sortira grandie de ce procès…