Au Lualaba, les habitants de Kakanda se mobilisent pour exiger la fin de l’exploitation illégale des ressources minières avec la complicité des militaires. Plus de 200 camions de minerais volés quittent chaque jour illégalement le site pour être traités dans des usines chinoises installées au Congo.

« Libérez notre concession et laissez la place au propriétaire ! » « Nous exigeons le départ des envahisseurs ! » Derrière ces slogans, des centaines d’habitants de Kakanda ont défilé vendredi 30 mai dans les rues de cette cité minière de la province du Lualaba, au sud-est de la République démocratique du Congo (RDC). Depuis 2024, ce site de l’entreprise Boss Mining est exploité illégalement, et ses minerais pillés. Plus de 200 camions chargés de minerais volés de cuivre et de cobalt, pour une valeur estimée à 1,8 million de dollars, sortent chaque jour vers des destinations inconnues. Des pertes qui se chiffrent en centaines de millions de dollars de recettes fiscales pour l’Etat congolais. 27 communautés locales étaient représentées dans le cortège de la manifestation. Une mobilisation inédite dans la région. « Les communautés doivent lutter contre l’exploitation illicite des minerais, c’est écrit dans notre code minier » explique Gabriel Kalenga Kasongo dans un entretien accordé à Afrikarabia. Le secrétaire exécutif territorial de l’Organisation de la société civile pour la paix au Congo (OSPC) demande aux autorités « d’agir rapidement pour mettre fin à l’occupation illégale du site », et de retirer les militaires de l’armée congolaise qui « sécurisent » le trafic.
« Il faut que les activités légales reprennent »
Le ras-le-bol des populations contre le détournement des minerais à Kakanda est parfaitement légitime pour Gabriel Kalenga Kasongo. « Boss Mining fournit l’électricité et l’eau potable dans quatre de nos communautés. Il y aussi un grand hôpital de référence et des écoles de qualité. Qui paiera les factures d’électricité ? C’est pour cela que nous sommes mobilisés contre les envahisseurs qui sont en train d’asphyxier l’économie et paupériser nos populations ». En RDC, les opérateurs miniers s’engagent à signer un cahier des charges avec les communautés locales. Boss Mining finance des projets d’accès à l’eau, à l’électricité, à l’amélioration des infrastructures sanitaires, ou à la création d’emplois. A Kakanda, des milliers d’emplois directs ont été impactés par l’occupation illégale du site minier. « Il n’y a pas d’emplois ici. Les envahisseurs qui pillent les minerais paient 100 ou 200 dollars, mais il n’y a pas de bulletin de paie, ni de sécurité sociale. Il faut que les activités légales reprennent » plaide Gabriel.
Des usines de traitement chinoises
Qui sont ces « envahisseurs » dénoncés par les manifestants de Kakanda ? Les pancartes mentionnent des exploitants étrangers, notamment chinois et libanais. Les centaines de camions qui sortent illégalement des sites de Kakanda, mais aussi de Menda, et d’autres sites miniers, transportent des minerais bruts. Après être passés par une longue chaîne de recel, composée de nombreux intermédiaires, ces minerais doivent obligatoirement passer par des usines de traitement avant d’être exportés. A cette étape, les soupçons se portent sur plusieurs entreprises chinoises, omniprésentes dans cette activité, et dans la région. Trois sociétés sont suspectées par la société civile d’être en bout de chaîne pour traiter les minerais, en toute opacité, notamment sur la traçabilité : Mikas, du groupe chinois Huayou, Kai Peng Mining et CJCMC. Contactées par Afrikarabia, ces entreprises n’ont pas répondu à ces allégations. Une situation qui est également embarrassante pour la Chine dont ses propres entreprises d’Etat sont soupçonnées de participer au pillage de minerais. Nous avons sollicité l’ambassade de Chine en RDC qui n’a pas souhaité s’exprimer.
« Dans chaque camion de minerais, il y a un militaire pour sécuriser le transport »
Pour que ce système de prédation fonctionne, il faut également en « sécuriser » le transport, s’assurer de la bonne « coopération » des populations locales et faire taire les voix dissonantes. La société civile dénonce le rôle trouble du colonel Pierre Amisi Elonga, commissaire supérieur principal de la Police nationale congolaise (PNC) : « menaces, arrestations arbitraires, coups et blessures »…. Une répression qui facilite le trafic. Depuis la manifestation du 30 mai, les pressions sont fortes sur les participants de cette mobilisation sans précédent. Ces dernières nuits, des jeunes de Kakanda avaient décidé de bloquer les routes pour empêcher l’accès des engins à la concession, mais ils ont été rapidement chassés par les militaires. « Maintenant, dans chaque camion de minerais, il y a un militaire pour sécuriser le transport » assure Gabriel.

« Ces personnes se présentent au nom du chef de l’Etat »
En mai dernier, une pétition a été déposée par la société civile, directement au président Félix Tshisekedi. 5.000 personnes ont signé le texte pour demander au chef de l’Etat d’intervenir dans l’occupation illégale du site de Kakanda, mais aussi pour l’alerter sur ces pratiques mafieuses. « Ces personnes se présentent au nom du chef de l’Etat et cite le chef de l’Etat pour faire pression. C’est clairement du trafic d’influence ». La manifestation de la société civile a même été soutenue par le parti présidentiel. « L’UDPS a marché avec nous vendredi dernier pour dire non aux mafieux qui utilisent le nom du président de la République » relève Gabriel Kalenga Kasongo.
Félix Tshisekedi bientôt à Kolwezi
Le cas de Boss Mining n’est pas isolé en République démocratique du Congo. Les autorités congolaises en sont bien conscientes. Le 25 avril, elles ont redynamisé la Commission nationale pour la lutte contre la fraude minière pour tenter d’endiguer le phénomène. Désormais, les ministères de la Justice, de la Défense et de l’Intérieur y sont associés. Une visite sur le terrain devrait être prochainement programmée. La normalisation du secteur minier devient une priorité pour le Congo dans un contexte sécuritaire tendu. Dans son conflit avec le M23, à l’est du pays, la RDC est en train de négocier sa sécurité avec les Etats-Unis en échange d’un partenariat avec ses minerais. Ironie du sort, à Kakanda, ce sont des militaires congolais qui facilitent le pillage. Le président Tshisekedi a également lancé un audit sur les actifs miniers de l’Etat congolais. Des joint-ventures que le chef de l’Etat estiment d’une « opacité persistante ». Enfin, Félix Tshisekedi se rendra à Kolwezi pour la Conférence des gouverneurs du 10 au 13 juin. Une ville minière située à quelques encablures du site de Kakanda.
Christophe Rigaud – Afrikarabia