Le défenseur des droits de l’homme, Paul Nsapu (FIDH), dénonce les conditions d’exécution de l’amnistie accordée par Kinshasa aux groupes armés. Selon lui, les libérations se déroulent « au bon vouloir » d’une commission composée exclusivement des principaux organes de sécurité du régime.
Afrikarabia – Environ 850 personnes ont bénéficié de la loi d’amnistie en République démocratique du Congo concernant des faits de guerre, insurrectionnels ou infractions politiques entre 2006 et 2013. Cette amnistie était-elle nécessaire pour pacifier le pays ?
Paul Nsapu – D’un certain point de vue, cette amnistie était nécessaire. Elle a permis la libération de personnes innocentes qui avaient été arrêtées sans motif valable sinon pour des raisons discriminatoires ou idéologiques. Mais au départ, il faut se souvenir que le gouvernement ne voulait l’amnistie que pour le M23. Il a été ensuite contraint par la société civile, une partie de l’opposition politique, ainsi que la diaspora, d’élargir la liste des bénéficiaires.
Afrikarabia – Comment s’est déroulée la mise en oeuvre de cette amnistie par les autorités congolaises ?
Paul Nsapu – L’exécution de la loi d’amnistie est problématique. En principe, ce sont les instances judiciaires (les Parquets), les Cours et Tribunaux où les bénéficiaires étaient déférées, qui devraient s’en occuper. En fait, c’est une commission mixte sécuritaire, composée des agents de l’ ANR (les renseignements congolais), de la DEMIAP, la Police, de la présidence de la République, ainsi que l’auditorat, qui a décidé des libérations. Les libérations se sont déroulées par vagues, selon le bon vouloir des membres de cette commission. C’est ainsi que dans un groupe, certaines personnes ont été libérée alors que d’autres sont encore en détention. Ces libérations sont sélectives et discriminatoires. On a vu que lorsque le M23 a haussé le ton, ainsi que les Bakata Katanga, on a aussitôt libéré une centaine de personnes de leurs groupes, tandis que les détenus qui sont isolés, à deux ou trois… restent maintenus en prison.
Afrikarabia – Dans quelles conditions ces prisonniers amnistiés ont été libérés ?
Paul Nsapu – Lors de ces libérations, les civils ont regagné leur domicile alors que les policiers et militaires étaient cantonnés dans un centre à la périphérie de la ville. Dans ce centre de l’Inss à Mama Mobutu, les conditions sanitaires sont déplorables et il y a une forte surpopulation. Il faut également souligner que lors de leur arrestation, la plupart de prisonniers se sont retrouvés dépouillés de leurs biens : véhicules, argent et cartes bancaires. Il y a notamment le cas d’Eric Kikunda, propriétaire d’une jeep Hyundai, qui voit désormais son véhicule rouler avec une plaque militaire ! Il y a visiblement une consigne du premier Président de la Haute Cour Militaire interdisant aux juges de remettre les biens saisis. C’est clairement un enrichissement répréhensible par la loi.
Afrikarabia – Ces amnisties ne sont-elles pas synonymes d’impunité pour les victimes ?
Paul Nsapu – Oui, pour beaucoup l’amnistie est synonyme d’impunité car il n’y a eu aucune enquête, aucun procès pour déterminer les responsabilités dans les différents crimes commis. C’est seulement sur la base de listes que les actes d’engagement sont délivrés. Ces personnes ne sont pas identifiés comme il se doit. Je pense que même des enquêtes sommaires sur les lieux des crimes auraient permis d’identifier certains auteurs de ces crimes.
Afrikarabia – Les anciens rebelles du M23 ont déclaré être déçus par ces amnisties. Ils en attendaient 4.000 alors que seuls 193 noms ont été publiés. N’est-ce pas un risque de voir le M23 reprendre les armes ?
Paul Nsapu – La tentation est grande pour les rebelles de faire figurer sur la liste un maximum de noms et notamment de faire passer des non-nationaux. Il est donc difficile de confirmer le chiffre de 4.000 ex-M23 étant donné qu’il fallait exclure ceux qui se seraient rendus coupables des crimes graves. Comment le savoir pour les exclure? Quels critères utilisés? Difficile de dire que l’amnistie va pacifier le pays car, à chaque fois, ceux qui prennent les armes trouvent toujours un prétexte dans le non-respect des accords avec le gouvernement pour reprendre le chemin de la rébellion. Il y a eu le RCD, puis le CNDP avec Laurent Nkunda, plus tard c’est Bosco Ntaganda, puis enfin le M23. Le problème de fond ce sont les conflits entre dirigeants : rwandais, burundais, ougandais et congolais. Il faut un vrai débat sur toutes ces questions. Il revient donc aux différents États signataires de ses accords de peser de tout leur poids pour que ces ex-rebelles ne reprennent plus les armes. Je pense notamment au Rwanda et à l’Ouganda qui les hébergent encore.
Afrikarabia – Le nouveau plan DDR III de démobilisation et de réinsertion des groupes armés tarde à se mettre en place. Que peut-on faire des anciens miliciens ? Doit-on les réintégrer dans l’armée régulière ?
Paul Nsapu – Il est vrai que le programme de DDR traîne et c’est cela le danger qui nous guette. Il y a effectivement un risque de voir un autre mouvement rebelle naître à partir de ce cantonnement. Il y a un réel problème de prise en charge des anciens groupes armés. Par contre, je ne pense pas qu’il faille encore réintégrer les anciens miliciens qui, au vu de différents mouvements rebelles et de leurs présence dans ces derniers, ont pris l’habitude de recourir à chaque fois aux armes pour défendre leurs intérêts et pas ceux des populations.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia