Engagés dans une concurrence effrénée pour le pouvoir, certains leaders politiques congolais et burundais ont tout misé sur des discours racistes anti-tutsi. Une dangereuse résurgence du « nazisme tropical » qui a conduit au génocide de 1994 au Rwanda et qui menace d’embraser une nouvelle fois la région des Grands Lacs.
Par Jean-François DUPAQUIER
« Les Banyamulenge sont les Rwandais réfugiés au Congo ou immigrés au Congo. Ce ne sont pas des Congolais. Ok ? En d’autres termes, ce sont des occupants étrangers qui occupent la République Démocratique du Congo. Quand on parle de l’occupation du Congo, on parle de ces gens-là. Tous les jeunes doivent se mettre debout pour les chasser hors du pays. Il n’y a pas autre chose à faire. Il faut les chasser. Au cas où un Rwandais résiste, …il refuse de sortir du pays, à chacun un cadavre rwandais entre ses mains. »
Cette séquence vidéo de 51 secondes diffusée sur Facebook est devenue virale en RDC. Elle est datée du 14 octobre. En sous-titre, un second message doublant la menace à l’intention d’hommes politiques congolais d’ascendance banyamulenge, nommément désignés : « Vous tous cherchez la république de Minembwe. Nous sommes au courant de votre plan de balkanisation de notre pays. »
La séquence a été lancée au moment des manifestations convoquées par Martin Fayulu, qui s’autoproclame « candidat élu » du Congo. Ce candidat malheureux à la présidentielle de décembre 2018 en RDC, président du parti politique Engagement pour la citoyenneté et le développement (ECIDé) n’a cessé de radicaliser son discours anti-tutsi depuis sa mésaventure électorale.
« Au cas où un Rwandais résiste, à chacun un cadavre rwandais entre ses mains. »
« Si nous laissons Minembwe entre les mains de ses occupants, demain nous n’aurons plus ce pays », a déclaré Fayulu lors de la conférence de presse qui annonçait l’organisation d’une marche le 14 octobre à Kinshasa. Une pénultième manifestation « pour empêcher la balkanisation du Congo », comme il le répète depuis plus d’un an. Martin Fayulu ne réclame pas l’extermination des « occupants rwandais » [un euphémisme pour dire Tutsi] de la RDC. Des militants de sa formation politique s’en chargent sur les réseaux sociaux ou dans la rue. Notamment sur Twitter. Jusqu’à un flot de commentaires racistes, anti-rwandais/anti-tutsi, déposés après un article de La Libre Belgique relatant l’interdiction de la marche du 14 octobre, une interdiction qui les a mis en rage.
Ces commentaires susceptibles de poursuites pénales ont été supprimés par l’opérateur quelques jours plus tard et ne sont plus accessibles. « Article à lire pour qui s’intéresse au glissement populiste d’un nombre grandissant de figures publiques congolaises et à la normalisation du discours de haine en RDC, surtout autour de #Minembwe », résumait l’analyste Félix Ndahinda, qui les a archivés avant cette suppression.
Mais la logorrhée haineuse est comme l’hydre à plusieurs têtes, celles-ci repoussent à peine coupées. Y compris sur un blog hébergé en France par Mediapart. Le congolais Lwakale Mubengay Bafwa y est à la manoeuvre en relayant les thèses de son confrère Kwebe Kimpele, qui n’hésite pas à présenter les Tutsi de la région des Grands Lacs « comme des émigrés venus d’Abyssinie n’ayant de cesse que d’abuser cyniquement, avec ingratitude et surtout cruauté inqualifiable, de l’hospitalité des généreux, et non moins naïfs, autochtones, qui succombent niaisement à leur machiavélique séduction et à leur systémique agression. »
Voici vingt-cinq ans, Théoneste Bagosora dit « Colonel Apocalypse », alors en fuite, avait résumé ce Storytelling de haine vis-à-vis des Tutsi : « Dans un premier temps, ces Tutsis nilotiques hamites venus d’Abyssinie, jouissant d’un accueil chaleureux et d’une excellente hospitalité se montrèrent courtois et en reconnaissance donnèrent leur filles en mariage aux hutus en commençant par les plus influents auxquels ils offrirent également plusieurs vaches en guise de cadeau […]. Le Hutu naturellement candide crut tout naïvement à ces pactes d’alliance auxquels le Tutsi ne croyait pas du tout. Il ne connaitra la vraie face de son visiteur que trop tard, quand il aura tout perdu. »
Les historiens Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda ont démonté la genèse de cette idéologie mortifère introduite par les premiers missionnaires et colons européens. Mais quelle démonstration pourrait obliger les racistes et des désinformateurs patentés à se remettre en question ?
« Comme des émigrés venus d’Abyssinie »
Selon Lwakale Mubengay Bafwa et son confrère Kwebe Kimpele, « pour stopper les horreurs, le cycle des génocides, qui endeuillent toute la région des Grands-Lacs, il urge de neutraliser l’incoercible quête de domination par les extrémistes Tutsis. Ces derniers ont réussi à nouer d’inextricables alliances à l’international et disposent de gros moyens. Seuls, la dénonciation des crimes et le renversement de pactes à l’international, peuvent changer la donne ! »
Lwakale Mubengay Bafwa et Kwebe Kimpele ne font que reprendre les diatribes racistes et conspirationnistes des extrémistes rwandais, – notamment du colonel Bagosora.
Sur son blog hébergé par Mediapart, Bafwa décortique le supposé projet diabolique des Tutsi avec les mêmes mots que la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) au Rwanda en 1994 : « Aussi, est-ce par massacres à échelles effroyables, et même par génocides froidement planifiés, qu’ils ont réussi à coloniser le Rwanda et à étendre leur hégémonie aux autres pays de la région, notamment, au Burundi, à la Tanzanie, à l’Ouganda et, aujourd’hui, au Congo. »
On retrouve la fameuse « propagande en miroir » utilisée systématiquement par les organisateurs du génocide de 1994
https://blogs.mediapart.fr/lwakale-mubengay-bafwa/blog
Un discours raciste et conspirationniste
Ce discours n’est pas nouveau. Depuis 1994, on a pu prendre la mesure de sa nocivité. Pourtant en 2020, ses idéologues ne manquent pas de puissants relais à Paris. Le 9 mars dernier, mis en avant par l’ancien secrétaire général de l’Elysée Hubert Védrine et l’association France-Turquoise [laquelle bénéficie indirectement d’aides financières du ministère français de la Défense], Martin Fayulu improvisait une violente diatribe anti-Tutsi lors d’un colloque au Sénat : « Aujourd’hui, on tue à Beni. […] Aujourd’hui, il y a 300 officiers tutsi au sein des Forces armées congolaises (FARDC). Dans la force publique, l’armée congolaise d’avant l’indépendance, il n’y avait pas un seul Tutsi. Dans l’Armée nationale congolaise (ANC), après l’indépendance, pas un seul Tutsi. Dans les Forces armées zaïroises [FAZ, à l’époque de Mobutu], pas un seul Tutsi ! Et aujourd’hui, plus de 300 officiers et plus de cent généraux tutsi ! Qu’est-ce qui se passe réellement ? Qu’est-ce qui se passe réellement ? Et là vous constatez qu’il y a un chaos. Tout est dirigé par Paul Kagame. »
Au Rwanda d’avant le génocide, les extrémistes avançaient déjà que tout problème était la faute des Tutsi. Dans la presse démocratique, une caricature a ironisé sur cette paranoïa. On y voit Hassan Ngeze, le directeur de Kangura, le magazine emblématique de la haine « raciale », allongé sur le divan d’un psychiatre : « Je suis malade, docteur »
Le psychiatre : – Ta maladie ?
Ngeze : – « Les Tutsi, Tutsi, Tutsiiiii… »
Caricature parue dans le magazine modéré Rwanda Rushya n° 16, janvier 1992. Reproduite dans « RWANDA, Les Médias du génocide », p. 41.
Après 1994, la justice internationale a sévi. Aujourd’hui, Hassan Ngeze, Théoneste Bagosora et leurs acolytes moisissent en prison. Mais le racisme anti-tutsi reste le hameçon de prédilection des pêcheurs en eaux troubles. Comme nous l’avons déjà relevé, http://afrikarabia.com/wordpress/11-9-mars-2020-au-senat-le-cluster-raciste-et-negationniste-du-genocide-des-tutsi-du-rwanda/ le racisme et les manipulations identitaires à l’origine de la « tragique instabilité dans la région des Grands Lacs » depuis une soixantaine d’années sont redevenues d’une brûlante actualité. A Kinshasa, la surenchère xénophobe de Martin Fayulu risque de dégénérer à tout moment en chasse aux Tutsi, comme ce fut le cas au début de la Seconde guerre du Congo – ce que les auteurs du « Rapport Mapping » n’ont pas suffisamment souligné.
Dans la région de Minembwe, sur les hauts-plateaux du Sud-Kivu, la chasse aux Banyamulenge – stigmatisés comme Tutsi – est lancée depuis plus d’un an. Il faut une nouvelle fois en souligner la dimension idéologique, ce « nazisme tropical » dénoncé par Jean-Pierre Chrétien dans une tribune parue moins de trois semaines après le déclenchement du génocide des Tutsi du Rwanda.
La chasse aux Banyamulenge, stigmatisés comme Tutsi
Des centaines de prétendus « Rwandais » y ont déjà laissé la vie. Les assaillants brandissent le drapeau de la haine mais n’oublient pas de s’enrichir, notamment par les pillages de bétail. Dernière victime identifiée, Bonaventure Kinyegeria, un éleveur de vaches tué par des miliciens le 6 octobre. Samir Tounsi, correspondant de l’Agence France Presse, a enquêté : « En plein jour, les assaillants armés ont volé le cheptel de l’éleveur tutsi, victime d’un conflit armé localisé sur les Hauts-Plateaux du Sud-Kivu. »
Bonaventure Kinyegeria a sans doute tenté de résister et il a été abattu. Samir Tounsi contextualise : « Le meurtre de l’éleveur tutsi qu’on enterre ce jour-là n’est pas un acte isolé. Depuis 2019, les Banyamulenge affirment être la cible des milices d’autres communautés des Hauts-Plateaux (Babembe, Bafuliru et Banyindu) coalisés avec des rebelles du Burundi voisins (Red Tabara, FNL, Forebu).
« Nous avons perdu plus de 300 personnes et 240.000 têtes de bétail », explique un pasteur. Minembwe est un secteur isolé, quasi-inaccessible de l’Est de la RDC. « La route qui monte d’Uvira et de Fizi sur les bords du lac Tanganyika est impraticable (intempérie, insécurité) », rappelle le correspondant de l’AFP.
Les crimes et pillages s’y font pratiquement à huis clos. Les obsèques de Bonaventure Kinyegeria, en présence de militaires de la FORPRONU et de journalistes, ont été l’exception. Cependant, le récent transport d’un groupe de journalistes occidentaux à Minembwe a permis de médiatiser les prémices d’un nouvel embrasement « ethnique » et les manipulations identitaires qui le sous-tendent.
Crimes et pillages à huis clos
Considérés comme des Tutsi, bien que l’on compte parmi eux des Hutu, les Banyamulenge de ces hauts plateaux enclavés sont dans le collimateur des opposants au président Félix Tshisekedi depuis la présidentielle contestée de décembre 2018. Le discours de haine visant les Banyamulenge, accompagné de thématiques conspirationnistes, permet à Martin Fayulu de fournir à ses partisans un rapide bricolage idéologique. La nation congolaise, toujours en gestation, est hautement inflammable si l’on agite des problèmes identitaires. Fayulu a trouvé un moyen de souder sa dynamique politique d’aujourd’hui. Il relance aussi la haine sous-jacente visant l’ex-président Kabila, présenté depuis longtemps comme un Tutsi caché, un autre « complice » du président du Rwanda.
Le village de Minembwe et les villages ou hameaux voisins sont le facile abcès de fixation du discours de haine et disposent de faibles capacités d’autodéfense. Envoyée spéciale de RFI, Sonia Rolley rapporte que « la situation humanitaire est particulièrement préoccupante à Bijombo, une localité enclavée des hauts plateaux, accessible uniquement à pied ou par hélicoptère. Là-bas, 7000 déplacés se sont réfugiés autour d’une base de la Monusco, ils manquent de tout. L’armée congolaise et les casques bleus ont dû organiser des escortes pour leur permettre d’aller dans leurs champs et éviter de mourir de faim. »
Minembwe, facile exutoire de la haine raciale
Le 28 septembre, Azarias Ruberwa, ministre de la Décentralisation, appartenant lui-même à la communauté des Banyamulenge a pris la décision de mettre en œuvre l’érection de Minembwe en commune à part entière [statut qui lui était promis depuis le 3 juin 2013 – décret n° 13/029] en y agglutinant les bourgs voisins. Il a désigné pour bourgmestre M. Gadi Mukiza, lui-même originaire de Minembwe. Martin Fayulu a aussitôt réagi : « Si nous laissons Minembwe entre les mains de ces occupants, demain nous n’aurons plus de pays. Nous serions le premier peuple d’Afrique à être colonisé par un autre peuple d’Afrique ».
Ce discours a été relayé et amplifié par ses partisans : « Au Congo, tant du point de vue d’extermination de la population indigène que de la colonisation politique et économique du pays, le processus est toujours en cours. Il vient même de franchir un cap inédit ; avec le placement à la tête du pays d’un pantin congolais pour faire office de chef d’Etat sans imperium et accélérer ainsi, sous pression de ses commanditaires tutsis, la balkanisation ou l’annexion de son pays. L’institutionnalisation déconcertante d’une vaste et riche commune rurale, Minembwe, réservée exclusivement aux ex-refugiés tutsis rwandais, en ouvre pertinemment le processus », tonne Lwakale Mubengay Bafwa sur Mediapart.
Cette affaire intervient à un moment de crise aigüe entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi pour le contrôle de la Cour constitutionnelle. Impossible de mener deux fronts à la fois. La mobilisation de la rue a obligé Tshisekedi à remettre à plus tard le nouveau statut de Minembwe.
Fayulu : « Si nous laissons Minembwe entre les mains de ces occupants, demain nous n’aurons plus de pays »
En termes géostratégiques, ce village congolaise d’environ 10 km2 ne compte pour rien. A vol d’oiseau, il se trouve à 258 kilomètres de la capitale du Rwanda, soit plus de 48 heures de route en RDC, et encore avec un très bon 4X4 – et en saison sèche, évidemment. Pour ceux qui ne connaissent pas la région, précisons que le plus rapide, pour rejoindre Kigali à partir de Minembwe, est de suivre sur plus de cent kilomètres la piste défoncée qui conduit à la cité portuaire d’Uvira, à la frontière du Burundi, puis d’emprunter la route asphaltée Bujumbura/Kigali (272 km), donc en traversant le Burundi. Agiter la menace d’une continuité territoriale entre Minembwe et le Rwanda relève de la pure propagande.
Quand aux « ex-refugiés tutsis rwandais » que stigmatisent Martin Fayulu et ses amis au nom de la « légitime défense », il s’agit d’un groupe d’éleveurs rwandophones installé sur les hauts plateaux du Sud-Kivu quelque deux siècles avant la colonisation belge qui entraîna l’unification politique du Congo. Mais la haine raciste n’a rien de rationnel, sinon la persuasive paranoïa de ses idéologues et leur dynamique politique à courte vue. Dans les années 1930, Hitler n’avait-il pas persuadé des dizaines de millions d’Allemands que les Juifs menaçaient la « race aryenne » et donc la survie même du peuple allemand ? Multipliant conquêtes, agressions, discriminations et exterminations, le leader nazi a-t-il un seul instant cessé de se proclamer en « légitime défense » ?
Agiter la menace d’une continuité territoriale entre Minembwe et le Rwanda relève de la pure propagande
Tout ceci est bien connu des anciens hauts gradés ou politiciens français qui soutiennent Martin Fayulu et son mouvement. Ils aident aussi de leur « mieux » le mouvement terroriste RNC de Kayumba Nyamwasa, dont l’agenda évident est de faire assassiner le président du Rwanda Paul Kagame. Espèrent-ils contribuer à rallumer une guerre génocidaire dans la région des Grands Lacs comme un nouveau rideau de sang qui occulterait les responsabilités de Paris – et les leurs – au Rwanda? On peine à comprendre comment Franck Paris, Conseiller Afrique d’Emmanuel Macron, et Emmanuel Bonne, son Conseiller diplomatique, peuvent laisser d’anciens hauts gradés français saboter à la fois la paix dans la région des Grands Lacs et les intérêts de Paris en RDC (la même naïveté coupable concerne, en France, l’aveuglement sur le fascisme islamiste).
Tshisekedi fustige les politiciens incendiaires
« L’Europe est aveugle face à la tragédie rwandaise, écrivait déjà Jean-Pierre Chrétien en 1994. Ces archaïques « affrontement interethniques », que cautionne une lecture ethnographique d’un autre âge, sont en fait de très modernes génocides, menés par des extrémistes hutu inspirés, au Rwanda et au Burundi, par une même idéologie de type nazi ».
Le président Tshisekedi a pris la mesure des desseins des extrémistes. Dans sa récente adresse à la nation, il a annoncé que « le peuple n’accordera aucun pardon à ceux qui, dans la classe politique, s’évertueront à créer ou à entretenir des entraves aux progrès, animés qu’il sont par une simple stratégie de survie politique ou de positionnement individuel, à la haine tribale, la rancœur ou par la poursuite de la prédation en toute impunité. »
Les racistes burundais en embuscade
La propagande raciste mise en œuvre par les fayulistes en RDC, n’est pas passée inaperçue au Burundi où se dispute âprement l’héritage de Pierre Nkurunziza, le chef de l’Etat décédé [du covid ?] le 8 juin dernier. Ses successeurs auraient pu en profiter pour libéraliser le régime. Ils ont préféré le chemin inverse.
« Aux yeux de la plupart des leaders de l’opposition et de la société civile, Nkurunziza était un dictateur, responsable de meurtres, tortures et arrestations arbitraires. Sa mort soudaine […] laissait espérer un changement de mode de gouvernement en faveur d’une ouverture du régime en place », écrit l’analyste Valeria Alfieri, dans un rapport à la Fondation Jean-Jaurès. Elle précise au micro de RFI : « l’élection de Ndayishimiye avait suscité beaucoup d’espoir. Il avait été présenté dans les médias burundais et sur les réseaux sociaux notamment comme un homme plutôt modéré, plutôt ouvert, en tout cas plus ouvert que son prédécesseur Nkurunziza. Finalement, on s’est rendu compte assez rapidement qu’encore une fois c’est la ligne conservatrice du pays qui l’emporte, qui a le dessus. Et, a posteriori, cela n’a rien de très étonnant, car le parti au pouvoir est toujours le même, le système reste le même et les membres du gouvernement demeurent inchangés. Donc, on peut clairement dire que le régime de Ndayishimiye se situe dans la continuité de celui de Nkurunziza. »
https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20201018-burundi-il-y-a-une-forme-d%C3%A9responsabilisation-pouvoir-en-place?ref=fb_i
« À mon avis, le CNDD se sent dos au mur, insiste Valeria Alfieri. Il sait bien qu’il ne peut plus compter sur un large soutien populaire comme cela avait été le cas en 2005 et probablement encore en 2010. Du coup, sa réponse est le repliement sur soi et la mise en place de modalités de l’exercice du pouvoir de plus en plus arbitraires et violentes. »
Entre le président inattendu Évariste Ndayishimiye et le Premier ministre Alain-Guillaume Bunyoni qui était l’homme le plus influent du régime précédent, se négocie le partage des quelques prébendes de ce pays en ruines. Au risque d’accroitre encore l’isolement du Burundi.
Ce qui focalise l’attention du pouvoir d’Etat burundais, c’est la stigmatisation des Tutsi rwandais ou rwandophones, tels les Banyamulenge, par Martin Fayulu. Bujumbura semble caresser l’idée qu’un incident de frontière ou un grand massacre pourraient faire basculer les opinions publiques vers la guerre. Valeria Alfieri juge « très délicate et même assez inquiétante » la situation géopolitique au niveau régional : « J’ai l’impression que l’élection du nouveau président en RDC a fait basculer les équilibres de pouvoir et les alliances au niveau régional. Et que cela a aussi contribué à exacerber les tensions entre le Rwanda et le Burundi, qui s’accusent réciproquement de soutenir des mouvements armés. Et on peut probablement expliquer l’absence de Ndayishimiye à ce meeting régional par ce bras-de-fer avec le Rwanda pour l’extradition d’opposants politiques burundais et des personnalités qui sont accusées par le gouvernement burundais d’avoir participé à la tentative du coup d’État de 2015. »
Valeria Alfieri juge « très délicate et même assez inquiétante » la situation géopolitique au niveau régional
Depuis 2015 et les exécutions sommaires qui ont accompagné la réélection contestée de Pierre Nkurunziza à la présidence, l’extermination soit « sélective », soit massive des Tutsi burundais constitue une des options politiques du régime. Un certain nombre de hauts dirigeants l’ont évoquée publiquement, et les exactions de la milice Imbonerakure ont entraîné la fuite vers la Tanzanie et le Rwanda de quelque 400 000 Burundais – essentiellement des Tutsi. Les remontrances de la communauté internationale – auxquelles s’était timidement associé Paris – et surtout la saisine de la Cour Pénale Internationale – avaient dissuadé Nkurunziza de passer à l’acte.
http://afrikarabia.com/wordpress/dix-questions-sur-le-genocide-des-tutsi-au-burundi/
Mais les Hutus qui l’entouraient et qui se disputent son héritage n’ont pas changé de logiciel : la rumination des crimes contre l’humanité [à forte connotation génocidaire] de 1972, qui. Peu leur importe que tout ait commencé le 29 avril 1972 par une tentative de génocide – vite avortée – contre les Tutsi burundais. Les effrayantes représailles du régime Micombero d’avril à juillet 1972 ont fait entre 100 000 et 200 000 morts chez les Hutu. Les barons du régime actuel furent des orphelins qui ne sont parvenus à émerger qu’au prix de grandes souffrances.
Malgré la Constitution issue des Accords d’Arusha supposée protéger leurs droits de minorité, les Tutsi burundais ont été pratiquement exclus de la sphère politique par le président Nkurunziza.
Le syndrome de 1972 au Burundi
« Évariste Ndayishimiye, vainqueur de l’élection présidentielle du 20 mai 2020, accompagne tout ce mouvement depuis le début », note François Backman, autre contributeur de la Fondation Jean-Jaurès sur le Burundi. Des maquis aux palais de la République, il travaille avec tous ses homologues, les généraux du CNDD-FDD. C’est donc un homme du sérail qui a validé toutes les actions et déclarations de son prédécesseur. »
https://jean-jaures.org/nos-productions/burundi-ensemble-tout-est-possible
A défaut d’exterminer les Tutsi burundais dont environ un quart a fui à l’étranger, Évariste Ndayishimiye et son Premier ministre Alain-Guillaume Bunyoni entretiennent des signaux de mobilisation « raciale » à la population. Comme en RDC vis-à-vis des habitants de Minembwe, on reste encore dans l’ordre du symbolique. Ainsi la condamnation [par contumace] à une peine de prison à perpétuité prononcée contre l’ancien président tutsi Pierre Buyoya et une vingtaine de ses proches, jugés responsables de l’assassinat du président Melchior Ndadaye en octobre 1993. Une thèse peu crédible. Pierre Buyoya « est l’initiateur et le meneur de la démocratie au Burundi et a longuement œuvré à l’amélioration des relations entre Tutsis et Hutus du Burundi », rappelle Wikipedia. A deux reprises, Pierre Buyoya a sorti son pays d’un collapsus ethnique. A bientôt 71 ans, il est un leader politique expérimenté et respecté, désigné comme haut représentant de l’Union africaine pour le Mali/Sahel. Sa condamnation est surtout représentative de la paranoïa raciste de la clique de Bujumbura.
Autre ordre du jour d’Évariste Ndayishimiye et Alain-Guillaume Bunyoni : la stigmatisation de personnes parlant le kinyarwanda, la langue du Rwanda, très proche du kirundi mais aux sonorités et au vocabulaire clairement différenciables. Burundi Daily rapporte dans son édition du 14 octobre que « depuis quelques jours, la police burundaise a entamé une drôle chasse à l’homme visant exclusivement les réfugiés Banyamulenge vivant au Burundi. Au moins 64 d’entre eux ont été récemment arrêtées à Gitega, la capitale politique alors que plusieurs dizaines d’autres ont été interceptés au chef-lieu de la province de Muyinga. » ICI BOUTON :
https://www.burundidaily.net/post/parler-kinyarwanda-au-burundi-desormais-un-crime-le-regime-burundais-sen-prend-aux-banyamulenge-et-assimiles
Chasse aux Banyamulenge au Burundi
Pierre Nkurikiye, porte-parole du ministère burundais de l’Intérieur, du développement communautaire et de la sécurité publique, a expliqué à la presse que ces personnes auraient inquiété la population « parce qu’ils parlent kinyarwanda ». Il a enfoncé le clou : «Ces gens sont des réfugiés congolais Banyamulenge qui vivaient dans le camp des réfugiés de Bwagiriza, dans la province Ruyigi, ils ont quitté leurs camps et se baladaient en ville, parlant kinyarwanda, ce qui ne manque pas d’inquiéter. »
Les personnes raflées par la police burundaise sont des Banyamulenge réfugiés au Burundi après avoir subi les attaques de miliciens en RDC dans les années 2000. Au Burundi ils se promenaient hors des camps sans inquiéter qui que ce soit. Ils ne sont pas les seuls rwandophones au Burundi, loin s’en faut. Après le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, le voisin du Sud a accueilli des centaines de milliers de Hutu rwandais craignant une vengeance collective. Aujourd’hui, tous ne sont pas rentrés dans leur pays d’origine. Des dizaines de milliers, les plus compromis dans l’extermination de Tutsi, demeurent aujourd’hui encore au Burundi où ils exercent toutes sortes de petits métiers. Les autorités ne s’inquiètent pas de les voir parler kinyarwanda, ou kirundi avec un fort accent rwandais. Le régime n’a jamais extradé vers Kigali des Hutu rwandais suspects de génocide
Au Burundi, les réfugiés hutu de 1994 ne sont pas inquiétés
Burundi Daily relève que ce n’est pas leur qualité de rwandophones qui vaut aux Banyamulenge des persécutions, mais le fait « qu’ils sont ou ressemblent à des Tutsi. Voilà ce qui fait peur ! […] Ces réfugiés Banyamulenge suscitent de la peur et panique par leur apparence tutsie. Des enquêtes sur des gens qui sont au pays depuis plus de quinze ans témoignent d’une hostilité et xénophobie contre les Rwandais d’apparence tutsie. Seuls les Tutsis semblent être objets de dénonciation par la population qui dit avoir peur d’eux alors que leurs frères d’apparence hutue circulent librement au Burundi et ne semblent gêner personne. » Burundi Daily a décrypté la lutte pour le pouvoir à Bujumbura : ICI BOUTON :
https://www.burundidaily.net/post/une-lutte-pour-le-controle-du-pouvoir-a-la-tete-du-regime-cndd-fdd-evariste-ndayishimiye-veut-tout-controler
Si le régime burundais s’en prend aux Banyamulenge et assimilés, c’est par pur « racisme », pour autant qu’on puisse parler de « races » ou d’« ethnies » entre rwandophones ou burundophones.
Dans la région des Grands Lacs, la violence de masse doit être nommée pour ce qu’elle est : l’instrumentalisation politique des clivages identitaires dits « ethniques », une culture de la haine exploitant la mémoire des crises antérieures et, au final, un véritable racisme. Il est apparemment difficile de convaincre les Occidentaux, y compris des leaders d’opinion, qu’il puisse exister un racisme entre Noirs.
Or des siècles d’esclavage, de stigmatisation et d’exploitation des peuples africains ont forgé, on le sait, une culture du mépris raciste à l’égard des « Noirs ». Mais un humanisme paternaliste issu des Lumières a, en parallèle, fondé une vision aussi méprisante, dont l’archétype est « le bon sauvage » mais aussi le vertueux « évolué », qui seraient incapables de perversité politique. « Un génocide en Afrique, ça n’a pas beaucoup d’importance » aurait dit Mitterrand. C’est ainsi qu’en France, de la droite à la gauche de l’échiquier politique, un racisme insidieusement partagé empêche de « penser » que des personnes noires de peau puissent mener des stratégies politiques extrémistes,
Pourtant des politiciens rwandais, burundais ou congolais ont très bien su reprendre à leur profit le discours victimaire de type fasciste (Mussolini avait parlé des « nations prolétaires ») aussi bien que la logomachie raciale héritée de la colonisation, si proche, quand il s’est agi d’opposer les Tutsi « hamites » aux Hutu « bantous », du racisme antisémite nazi. Des politiciens congolais n’ont d’ailleurs pas hésité à établir le lien entre les deux depuis les années 1990. Cette logique perverse à débouché sur des carnages au Burundi (environ 300 000 morts entre 1993 et 2 000) et au Rwanda (environ un million en 1994). Les auteurs du Rapport Mapping estiment à plusieurs millions le nombre de victimes directes ou indirectes des deux guerres du Congo de 1996-1997 et 1998-2003, deux conflits dont les racines se trouvent dans le génocide des Tutsi du Rwanda.
Ne peut-on tirer des leçons du passé ?
Dans la région des Grands Lacs, la violence politique est l’expression d’un pur et simple racisme
Il existe des sujets de débat public autrement plus importants que la prétendue « menace des Banyamulenge » dans la région des Grands Lacs. Par exemple, le risque que s’enkyste un état islamiste entre le Nord-Kivu, l’est de l’Ouganda et le sud-est du Soudan. Et, de façon récurrente, la situation sanitaire et alimentaire des populations de la région. Selon les dernières estimations de la Banque mondiale, le taux de la pauvreté au Burundi est passé de 67% en 2006 à environ 74,7% en 2018. Il se serait encore aggravé depuis.
En RDC, le taux de pauvreté, parti de plus bas encore (71,4% en 2005) s’était amélioré de sept points en 2018 mais semble avoir replongé sous l’effet de la crise économique liée à la pandémie.
Autre indicateur significatif de l’efficience de l’économie, des infrastructures et de la politique sanitaire, l’espérance de vie à la naissance. En 2018, l’espérance de vie moyenne à la naissance était de 72 ans à l’échelle mondiale. Au Burundi elle n’était que de 61 ans. Toujours en 2018, elle s’établissait en RDC à 58,1 ans pour les hommes et 59,7 ans pour les femmes. Pire qu’au Burundi !
Comme l’a rappelé le président Félix Tshisekedi lors de son intronisation, la RDC dispose de moins de toutes asphaltées aujourd’hui que lors de son accession à l’indépendance. Les revenus des Congolais sont plus faibles qu’en 1960…
Faillite sanitaire, famine, corruption, tous les indicateurs de la Banque Mondiale, de l’OMS, des grandes agences de l’ONU, montrent que les Congolais et les Burundais payent au prix fort l’incurie de leurs gouvernants. Mais pour le « président élu » de RDC Martin Fayulu comme pour le président du Burundi Évariste Ndayishimiye, il n’y a semble-t-il qu’une seule obsession : les Tutsi, Tutsi, Tutsiiiii…
__________________________________
1- Le thème de la « machiavélique séduction » des femmes tutsi a été largement utilisé au Rwanda pour préparer les esprits au génocide. Voir Jean-Pierre CHRETIEN (dir), Rwanda. Les médias du génocide, Ed. Karthala, Paris, 1995.
2- Il y aurait beaucoup à dire sur cet agent de désinformation qui se présente comme « journaliste ». Selon le Comité de l’immigration et du statut de réfugié au Canada, « Christophe Kwebe Kimpele a été au service de l’Office zaïrois de radio et de télévision de 1974 à 1988. En 1988, il a été détaché à Paris, puis à Bruxelles par les autorités zaïroises, avec pour mission de diffuser de l’information susceptible de rehausser l’image du régime Mobutu à l’étranger. Au cours de son séjour à Bruxelles, il a été directeur général d’une revue intitulée Noir et blanc, financée par le gouvernement zaïrois. De retour au Zaïre à la fin de 1992, Kwebe Kimpele devient éditorialiste à la revue Soft des finances. En juin 1993, il est nommé directeur du cabinet du ministre de l’Information et de la Presse, poste qu’il occupera jusqu’en juillet 1994. Au cours de son mandat de directeur du cabinet, il se fera inviter à quatre émissions d’affaires publiques diffusées sur les ondes de la télévision nationale entre les mois de juillet 1993 et avril 1994 pour affirmer que le massacre de Lumumbashi n’a jamais eu lieu. » Etc. Voir :
https://www.refworld.org/docid/3ae6ab9534.html
Sur son ami Lwakale Mubengay Bafwa, voir :
https://www.reveil-fm.com/index.php?post/2018/06/05/6409-buzoberies-et-idioties-de-bafwa-lwakale-mubengay-grand-collabo-et-traitres
3 – Théoneste BAGOSORA, « L’assassinat du Président Habyarimana ou l’ultime opération du Tutsi pour sa reconquête du pouvoir par la force au Rwanda », polycopié, Yaounde (Cameroun), 30 octobre 1995.
4 – Jean-Pierre CHRETIEN et Marcel KABANDA, Rwanda, racisme et génocide. L’idéologie hamitique, Ed. Belin, Paris, 2013, p. 327.
5 – Ibidem, p. 190
6 – Cf. Jean-Pierre CHRETIEN (Dir.), Rwanda. Les médias du génocide, op. cit.
7 – Jean-Pierre CHRETIEN, « Un nazisme Tropical », Libération, 26 avril 1994.
8 – https://www.rfi.fr/fr/afrique/20201024-rdc-tshisekedi-annonce-consultations-leaders-divergences-coalition?xtor=EPR-300-[Quotidienne_afrique]-20201024-[contenu]-1174918254717
9 – Cf. Jean-Pierre CHRETIEN et Jean-François DUPAQUIER, Burundi 1972, au bord des génocides, Ed. Karthala, Paris, 2007.
10 – Jean-Pierre CHRETIEN et Marcel KABANDA, op. cit., 2013, p. 269-273.
Une très bonne analyse. Les choses sont entrain de prendre des allures inquiétantes. Personne ne sait ce que les gens ressentent pour afficher pareille attitude.
Il n’ y a plus de pasteur ni de chrétien ni même de païens tout le monde est envoûté. Ça ressemble étrangement au début du drame rwandais.
Article très richement documenté et qui retrace le drame que vivent les banyamulenge, victimes de la tendance de certains leaders politiques incapables d’exercer un leadership transformationnel se réfugie derrière des discours populistes en se positionnant comme protecteurs de leurs communautés contre l’hégémonie d’une autre communauté.
Et au lieu de proposer des réponses appropriées à la misère ou aux autres problèmes que traverse la société et qui porte le nom de megestion, corruption, népotisme, détournements des biens et recettes publiques…. Qui demandent un comportement altruiste, responsable, honnêteté et intégrité… Ils préfèrent se faire une notoriété à faible coût et sans efforts en désignant des cibles faciles pour justifier leur incapacité à trouver et à donner des réponses appropriées à la misère du peuple.
Merci beaucoup pour cet article qui confirment nos propres recherches sur cette incompréhension qui entoure l’érection d’une petite commune comme Minembwe, au point de créer une hystérie collective et de donner cours à des sorties médiatiques irresponsables et véhiculant la haine ethnique au sein de la société congolaise, à travers des analyses dénuées de toute logique.
Josué Boji
Nous ne voulons pas ces criminels dans notre pays. Celui qui se soucie d’eux les amène chez eux