Dans une longue allocution à charge contre Félix Tshisekedi, l’ancien président laisse peu de doute sur sa volonté de revenir jouer un rôle de premier plan dans la crise congolaise. Mais lequel ? Celui de l’ancien chef rebelle prêt à reprendre les armes, ou celui du rassembleur démocrate qu’il se revendique ?

Les six ans de silence de Joseph Kabila se sont brisés sur une chaîne Youtube par un réquisitoire fleuve de quarante-cinq minutes contre son successeur, Félix Tshisekedi. Après la levée de son immunité parlementaire, ouvrant la voie à de possibles poursuites judiciaires, l’ancien président congolais a dressé un portrait au vitriol d’un Congo, « divisé, désintégré et au bord de l’implosion », dirigé par un chef de l’Etat, dont il ne cite jamais le nom, mais dont la gouvernance est qualifiée de « cynique », « tyrannique », et mue par « l’ivresse d’un pouvoir sans limite ». Joseph Kabila est revenu pour la première fois sur l’élection contestée de Félix Tshisekedi de 2018 et l’accord politique de gouvernance conclu entre les deux hommes. « Beaucoup de contre-vérités ont été dites, y compris, fort malheureusement, par celui qui est censé connaître la vérité, parce qu’en étant l’un des deux principaux signataires » a asséné Kabila. La séquence est pleine de sous-entendus, laissant penser qu’il y a bien eu un deal entre Kabila et Tshisekedi pour laisser davantage de pouvoir au nouveau président « que la faible représentation de sa famille politique au sein de la nouvelle Assemblée Nationale était en droit de lui conférer ». Une « alternance pacifique civilisée » et un certain arrangement avec la vérité des urnes que Joseph Kabila assure avoir décidé dans « l’intérêt supérieur de la Nation ».
Tshisekedi responsable d’une « régionalisation du conflit »
Les critiques à la hache contre Félix Tshisekedi ne s’arrêtent pas là. Il accuse l’actuel chef de l’Etat d’avoir violé plusieurs fois la Constitution ; le Parlement de ne plus jouer son rôle de contre-pouvoir ; et la justice d’être « ouvertement instrumentalisée à des fins politiques ». La dégradation de la situation sécuritaire à l’Est serait due « à la mauvaise gouvernance du pays ». Joseph Kabila dénonce les critiques contre l’armée congolaise, devenue « un bouc émissaire », et dénonce l’utilisation « des mercenaires, des armées étrangères et des milices tribales ». Selon lui, Félix Tshisekedi serait responsable d’avoir « ouvert la voie à la régionalisation du conflit » avec l’utilisation des FDLR et des Wazalendo, comme supplétifs de l’armée congolaise. Pas un mot sur le Rwanda, que les rapports de l’ONU et Kinshasa accusent de soutenir les rebelles, et dont le nom « AFC/M23 » n’est prononcé qu’une seule fois. Il salue les négociations de Doha entre Kinshasa et la rébellion, mais s’étonne de voir l’actuel président refuser tout dialogue entre Congolais, et avec l’opposition politique, sous l’égide des Églises catholique et protestante. Une initiative qui semble avoir les faveurs de Joseph Kabila.
Un bilan pour Congolais à mémoire courte
Concernant sa prétendue présence à Goma, en avril dernier, l’ancien chef de l’Etat parle d’une « simple rumeur » dont Kinshasa s’est saisi pour demander la levée de son immunité « avec une légèreté déconcertante ». Comme par défi, il a annoncé qu’il se rendrait bien dans la capitale du Nord-Kivu, sous contrôle du M23, « dans les prochains jours ». La partie la plus étonnante de sa longue diatribe anti-Tshisekedi est le bilan qu’il dresse, en contraste, de son passage à la tête de la RDC pendant 18 ans. Un pays « pacifié », une Constitution « progressiste », des institutions fonctionnant « harmonieusement », une économie « dynamique », une armée « de plus en plus professionnelle », une démocratie « en constante consolidation »… Un satisfecit sans doute destiné pour des Congolais à mémoire courte. « Joseph Kabila a dépeint son règne comme un âge d’or » a ironisé l’opposant Diomi Ndongala. « Quelle audace !, tonne-t-il sur X, lui, qui a fait emprisonner plus de 700 opposants politiques, dont moi-même ». Personne n’a, en effet, oublié les années Kabila faites de corruption, de prédation et de répression sanglante.
« Si j’étais complice du M23 »…
Joseph Kabila a terminé son allocution par l’annonce d’un plan de sortie de crise en 12 points, dont les objectifs sont peu différents de ses précédentes sorties médiatiques dans la presse : « mettre fin à la dictature » de Tshisekedi, « arrêter la guerre et rétablir l’autorité de l’État sur toute l’étendue du territoire national », ou « ordonner le retrait de toutes les troupes étrangères ». Au final, on ne sait pas trop quoi penser de cette nouvelle prise de parole. Il n’y a surtout rien de très nouveau. On attendait une clarification sur les élections contestées de 2018 et le tour de passe-passe qui a porté Félix Tshisekedi dans le fauteuil présidentiel. Finalement, on reste sur notre faim. On attendait également d’en savoir davantage sur son positionnement par rapport au M23 et à Corneille Nangaa. Là aussi, on reste dans un certain flou. « Si j’étais complice du M23, la situation serait différente de ce qu’elle est actuellement », concède-t-il seulement. Une chose est sûre, c’est que le retour de l’ancien président constitue une nouvelle épine dans le pied de Félix Tshisekedi, qui, en plus du front sécuritaire à l’Est, doit maintenant faire face à un front politique.
« Chacun doit jouer sa partition »… Mais laquelle ?
Vouloir mettre Joseph Kabila hors-jeu, est-elle une bonne stratégie pour Félix Tshisekedi ? On peut en douter. En levant son immunité parlementaire, Kinshasa fait maintenant de Joseph Kabila, un ancien président en exil, qui peut désormais se parer des habits de la victime, et se replacer au centre du jeu politique. De possibles poursuites risquent également de radicaliser le positionnement de Joseph Kabila, et de continuer à polariser la société congolaise. Cela renforce enfin un front anti-Tshisekedi, aujourd’hui composé des principaux leaders de l’opposition : Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Delly Sesanga… et Joseph Kabila. Un attelage, certes, des plus hétéroclites, mais qui valide l’initiative de la CENCO (Église catholique) et de l’ECC (Église protestante) d’ouvrir un dialogue inter-congolais pour régler les problèmes de politique intérieur. Ce que refuse Félix Tshisekedi. Quant au rôle de Joseph Kabila, le mystère reste entier. Car le principal avantage des discours de l’ancien président congolais, c’est que chacun peut y entendre ce qu’il veut. Dans sa conclusion, Joseph Kabila affirme que dans la crise congolaise, « chacun doit jouer sa partition », et s’engage à jouer la sienne. La question est de savoir laquelle ? Est-ce celle de l’ancien militaire qui « a juré de défendre la patrie jusqu’au sacrifice suprême », ou celle de l’ancien chef de l’Etat qui veut « restaurer la démocratie en revenant aux fondamentaux d’un véritable État de droit ». Qui est de retour ? L’ancien chef de guerre ou le démocrate qu’il se revendique ? Seul l’avenir nous dira quel costume Joseph Kabila aura finalement choisi de revêtir.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Analyse pertinemment objective.