L’élection sans surprise de Vital Kamerhe à la présidence de l’Assemblée nationale le propulse de nouveau sur le devant de la scène. Le patron de l’UNC, aux ambitions présidentielles, devra arbitrer des dossiers hautement sensibles comme la possible révision de la Constitution ou la guerre à l’Est, au sein d’une majorité fragmentée.
Drôle de victoire pour Vital Kamerhe, élu président de l’Assemblée nationale ce mercredi avec 371 voix sur 407 votants. D’abord parce que le patron de l’UNC a dû batailler dans une primaire inédite pour s’imposer comme le candidat unique de la majorité présidentielle, au sein d’une Union sacrée plus morcelée que jamais. Enfin, parce que le nouveau président de la chambre basse a échappé à l’attaque de son domicile lors d’une présumée tentative de coup d’Etat, trois jours avant le vote décisif. A 65 ans, ce poids lourd de la politique congolaise retrouve le perchoir qu’il avait occupé sous Joseph Kabila entre 2006 et 2009. Mais surtout, Vital Kamerhe revient de loin. Après un départ tonitruant du camp kabiliste, il entame une longue traversée du désert dans l’opposition. Il rejoint ensuite Félix Tshisekedi pour former le ticket gagnant de la présidentielle de 2018.
Tentative d’assassinat
Nommé directeur de cabinet du nouveau président, Vital Kamerhe se retrouve accusé de détournement de fonds et passe par la case prison entre 2020 et 2022, avant d’être blanchi et de retrouver un poste gouvernemental au ministère de l’Economie. La dernière vicissitude dans un parcours en dents de scie : l’attaque de son domicile dimanche 19 mai par des hommes armés qui tuent deux de ses gardes, mais échouent à s’en prendre au futur président de l’Assemblée nationale qui échappe à la mort de peu. Le groupe d’apprentis putschistes se rend ensuite au Palais de la Nation où ils sont arrêtés pour certains, neutralisés pour d’autres. Au sein de l’UNC, le parti de Vital Kamerhe, on n’hésite pas faire le parallèle entre la candidature très disputée de leur patron au perchoir et ce qu’il préfère appeler une tentative d’assassinat plutôt qu’un coup d’Etat raté.
Arbitre d’un projet de révision constitutionnelle
L’ambiance délétère qui règne dans la majorité présidentielle, sur fond de désaccord pour le partage du pouvoir ne risque pas de s’améliorer après l’attaque ciblée du domicile de Vital Kamerhe. Le nouveau président de l’Assemblée ne faisait clairement pas l’unanimité au sein de l’Union sacrée, composée d’une multitude de partis aux intérêts souvent contradictoires. Les ambitions présidentielles de Vital Kamerhe pour les élections de 2028 y sont sans doute pour quelque chose. Dans la majorité, le perchoir cédé à Vital Kamerhe n’est pas une bonne nouvelle. Notamment dans le premier cercle présidentiel et à l’UDPS, le parti de Félix Tshisekedi censé entamer son deuxième et dernier mandat. En effet, depuis quelques semaines, la petite musique d’une révision de la Constitution ou d’une réécriture de la loi fondamentale se fait entendre. Le président Tshisekedi s’est lui-même prononcé pour la création d’une commission de réflexion sur le sujet. Beaucoup pensent qu’un allongement du mandat présidentiel à 7 ans, au lieu de 5 ans, ou d’une remise à zéro des compteurs en cas de rédaction d’une nouvelle Constitution, pourraient permettre à Félix Tshisekedi de se maintenir au pouvoir au-delà de 2028.
Des dossiers sensibles
L’arrivée de Vital Kamerhe au perchoir sera surveillée comme le lait sur le feu par le camp Tshisekedi. Le nouveau président de l’Assemblée pourrait être un frein à toute modification de la Constitution, surtout si celle-ci prolonge le mandat sur lequel lorgne justement Vital Kamerhe. L’élection de l’ancien président de l’Assemblée, Christophe Mboso, à la deuxième vice-présidence est un mauvais signal pour Kamerhe. Très loyal envers le camp Tshisekedi, Mboso serait clairement là pour surveiller le nouveau président. L’UDPS, qui espère bien rester au pouvoir, avec ou sans Tshisekedi selon les propres aveux de son secrétaire général, veillera aussi au grain avec un premier vice-président issu de ses rangs. Vital Kamerhe devra également se prononcer sur un dossier de soupçon de détournement fonds qui touche le ministre des Finances, Nicolas Kazadi. La justice a demandé à l’Assemblée nationale la levée de l’immunité parlementaire. L’affaire est hautement radioactive. Enfin, la gestion de la guerre à l’Est devrait être plus présente à l’Assemblée que sous le mandat Mboso. On pense à l’utilisation des supplétifs Wazalendo, qualifiés aujourd’hui de réservistes, mais le plus souvent issus de groupes armés locaux difficilement gérables. Dans son discours d’investiture, le nouveau président de l’Assemblée a dénoncé l’agression rwandaise… mais aussi ougandaise. Une critique qui n’est pas vraiment dans la ligne présidentielle pour le moment, puisque c’est Félix Tshisekedi lui-même qui a autorisé l’entrée des soldats ougandais sur le sol congolais.
Siège éjectable
La mandature Kamerhe à l’Assemblée ne sera donc pas un long fleuve tranquille. La majorité est à couteaux tirés et Vital Kamerhe devra composer avec une Union sacrée que le président lui-même peine à contrôler. Vital Kamerhe pourrait en profiter pour capitaliser sur les dissensions de la majorité pour se construire un socle de soutiens en vue de la présidentielle de 2028. Mais attention, le nouveau président de l’Assemblée marche sur des oeufs. Il sait qu’à la moindre sortie de piste, son perchoir pourrait se transformer en siège éjectable. On se souvient de la rapidité avec laquelle, l’ancienne présidente, Jeannine Mabunda, avait vu l’Assemblée se retourner contre elle pour l’écarter du perchoir. Un épisode que Vital Kamerhe doit toujours avoir en tête.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
EN VRAC…
1. Désolé je ne décrirais pas le parcours de Kamerhe aussi perilleux et parsemé d’obstacles infranchissables et encore moins d’augure si incertaine que décrit ci-dessus ; pour moi c’est à la mesure de l’athlète qu’il est, habitué à une telle gymnastique. Des dossiers sensibles pas tant que ça, importants mais ils sont connus et trouveront des solutions plus allègrement qu’on peut le croire.
2. N’empêche que personnellement j’ai un avis très mitigé sur Kamerhe, dans tous les cas double. Autant je reconnais son habileté d’un animal politique, autant je me méfie de sa folle ambition qui sert d’abord son personnage et bien moins le peuple et me méfie aussi de son double langage face au Rwanda vu ses origines.
3. Curieusement cette fois il nomme clairement les agresseurs et promet de s’y attaquer, il dénonce même davantage l’Ouganda que ne le fait Tshilombo.
Que va être alors son action à la tête de la deuxième institution du pays, que va donner sa méfiance stratégique face à Tshisekedi ?
4. Ces questions se posent d’autant que beaucoup d’Udps proches de Tshisekedi dans cette majorité présidentielle hétéroclite dont il fait partie l’accusent de se servir de ce poste comme d’un tremplin pour ses ambitions présidentielles et préfèrent attendre de voir son action avant de porter un jugement. Ceci dit Kamerhe a bien le droit d’avoir des ambitions présidentielles ; tant mieux dirais- je même, cela permettra de recadrer des ambitions inacceptables de troisième mandat…
En définitive je suis quasiment convaincu que Kamerhe parcourra athlétiquement l’épreuve devant lui. Ce que je crains est qu’il le fasse davantage pour sa gouverne personnelle plutôt qu’au service du pays. C’est là où nous aurons à le juger s’il est un homme d’Etat ou simplement un politicien habile et ambitieux comme le sont à terme hélas dans notre contexte de faillite endémique beaucoup de nos policiens non seulement démagogiques et jouisseurs mais plus souvent médiocres qu’habiles.