Le président Kabila a renoncé à briguer un troisième mandat. Une victoire pour l’opposition qui doit maintenant se battre pour que le scrutin soit réellement équitable, et transparent. Ce qui risque de ne pas être le cas.
Accusé de vouloir passer outre la Constitution pour se représenter à la présidentielle de décembre, le président Joseph Kabila a finalement décidé de passer la main en désignant Emmanuel Ramazani Shadary comme candidat de sa plateforme politique. Un choix dicté par les nombreuses pressions internationales et par la mobilisation de l’opposition congolaises et des mouvements de la société civile. Un renoncement qui sonne comme une « petite victoire » de l’opposition, mais qui ne doit pas cacher les difficultés d’un processus électoral bien peu transparent.
Le plus dur est à venir
« Nous avons gagné une bataille importante, mais la lutte continue, prévient le mouvement citoyen La Lucha, celle pour une vraie alternance et des élections où voter ne sera pas une formalité, mais l’occasion réelle de choisir nos dirigeants selon nos aspirations, avec la certitude que le résultat reflète ce choix souverain ». Même son de cloche pour l’opposant Félix Tshisekedi, candidat à la présidentielle. Si le patron de l’UDPS note que la non candidature de Joseph Kabila constitue « un pas dans la bonne direction, le plus important est à venir. La décrispation, les élections libres et crédibles pour une alternance pacifique, restent les prochains objectifs. »
Car ce que redoute l’opposition, c’est que le scrutin soit déjà entièrement verrouillé par le pouvoir et programmé pour une victoire assurée du camp présidentiel. Le spectre du fiasco électoral de 2011 est encore dans toutes les têtes. La réélection de Joseph Kabila s’était déroulée de manière chaotique et avait été entachée de nombreuses irrégularités et de fraudes massives. Ce qui avait fait dire à l’Union européenne et aux observateurs internationaux que le résultat de la présidentielle de 2011 « n’était pas crédible ». L’opposition n’avait pas reconnu la victoire de Joseph Kabila, ce qui a valu au président congolais un procès en illégitimité et a conduit à la crise politique actuelle.
« Machines à tricher »
« Pour le pouvoir, la seule manière de gagner les élections, c’est de tricher » a prévenu l’opposition après l’annonce de la candidature du « dauphin » de Joseph Kabila ce mercredi. Les opposants, la société civile et la très puissante église catholique (CENCO), très impliquée dans la médiation de la crise politique, contestent tout d’abord l’utilisation de la « machine à voter ». Un dispositif qui n’était pas prévu dans les textes et qui a été annoncé à la dernière minute il y a quelques mois par la Commission électorale (CENI), estimant ainsi réduire les coûts d’impression des bulletins de vote.
Pour les experts internationaux, la fiabilité de la machine n’a pas été démontrée et aucun test grandeur nature n’a été réalisé. Dans un pays, électrifié à seulement 7% et avec une majorité de la population analphabète, l’opposition craint les bugs et un temps de passage dans l’isoloir qui retarderait la fermeture des bureaux de vote. « Ce n’est pas une machine à voter, c’est une machine à tricher » avait fustigé récemment l’opposant Martin Fayulu, lui-même candidat à la présidentielle.
Des millions d’électeur fictifs
L’autre risque de fraude se trouve dans un fichier électoral « pollué » et truffé d’erreurs. Si le fichier a été jugé « perfectible » par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Félix Tshisekedi estime qu’il contiendrait près de 10 millions « d’électeurs fictifs, représentant près d’un quart du nombre total d’électeurs enrôlés ». De son côté, l’OIF a trouvé 16 % d’électeurs sans empreintes digitales, ce qui fait craindre « une fraude de masse » selon l’opposition.
Enfin, pour que les élections soient équitables, des mesures de décrispation politique sont nécessaires. Ces mesures avaient déjà été validées par l’accord de la Saint-Sylvestre, signé en pleine crise politique en décembre 2016. Mais en attendant, les recommandations de l’accord sont restées lettre morte. Plusieurs opposants politiques sont encore en prison, comme Eugène Diomi Ndongala, Jean-Claude Muyambo ou Franck Diongo. Et l’opposant en exil, Moïse Katumbi, n’a pas été autorisé à rentrer en RDC pour déposer sa candidature à la présidentielle – voir notre article. L’accès à la télévision d’Etat reste très limité pour les opposants et certains médias proches de l’opposition ont été fermés.
Vers un report du scrutin ?
Joseph Kabila a également verrouillé la Cour constitutionnelle, où deux membres proches de la majorité, ont été récemment nommés. Et la Commission électorale (CENI), qui doit valider la liste des candidats et les résultats des élections n’a pas été renouvelée, comme l’accord politique du 31 décembre le demandait. La majorité présidentielle contrôle ainsi toutes les institutions susceptibles de cadenasser le scrutin au profit du candidat désigné par Joseph Kabila.
Si Joseph Kabila est assuré de faire gagner son camp à la prochaine présidentielle afin de conserver le pouvoir, difficile pour l’opposition d’exiger de meilleures conditions de vote sans risquer de reporter une troisième fois les élections, qui devaient initialement se tenir en décembre 2016. Corriger le fichier électoral prendrait du temps et la CENI a averti que sans machine à voter, le scrutin pourrait être décalé. Le « piège » se referme pour l’opposition, qui avait proposé il y a plusieurs mois une « transition sans Kabila » afin de préparer les élections en toute transparence et « sans le principal responsable des différents reports du calendrier électoral ». En refusant la transition sans sa présence au pouvoir, Joseph Kabila a pu préparer en toute tranquillité les conditions de son maintien au pouvoir, certes sans lui, mais en plaçant ses hommes les plus fidèles à la tête du pays.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia