L’armée congolaise et les caques bleus de la Monusco peinent à venir à bout des rebelles ADF au Nord-Kivu. Christoph Vogel, chercheur à l’Université de Gand analyse les échecs de l’armée congolaise, l’impuissance de la mission de l’ONU et rappelle qu’il faudra « une convergence d’intérêts des acteurs clés » pour ramener la paix dans la région.
Afrikarabia : Quelles sont les objectifs des rebelles ougandais ADF dont on parle beaucoup actuellement avec les nombreux massacres qu’on leur attribue dans la région de Beni ?
Christoph Vogel : Jusque dans les années 2000, on croyait encore les ADF capables de rentrer en Ouganda pour continuer leur lutte contre le régime ougandais. Mais depuis plus de 10 ans, l’objectif principal est devenu la survie du mouvement dans les montagnes du Ruwenzori. Il est difficile d’en dire davantage parce que c’est un groupe armé qui communique pas ou peu. Depuis 2014 et le retour des massacres dans la région de Beni, on remarque que les ADF redoublent de violence lorsqu’ils font face à des offensives militaires.
Afrikarabia : Les ADF ont-ils encore des objectifs politiques ?
Christoph Vogel : Difficile, mais du moins ils n’expriment plus clairement de causes politiques.
Afrikarabia : C’est un groupe que certains décrivent aujourd’hui comme “djihadiste” ?
Christoph Vogel : On mélange souvent de nombreux termes à leur égard : djihadiste, salafiste, islamiste… Mais en fait, les ADF sont un groupe qui pratique un type d’islam inspiré de l’Inde et du Pakistan, le Tabligh. Il est difficile de les qualifier de “djihadistes”. Par exemple, les ADF ne font pas de prosélytisme. Les membres des ADF et les personnes qu’ils kidnappent sont certes obligés de se convertir, mais cela ressemble davantage à un mode de gouvernance interne afin de contrôler le mouvement, plutôt qu’à une volonté de conversion massive à l’extérieur du groupe.
Afrikarabia : Comment a évolué la rébellion ADF depuis sa création en 1995 ? Des Congolais ont rejoint le groupe ?
Christoph Vogel : Il n’y a pas de comptage très exact, mais il est certain que le groupe s’est partiellement “congolisé”. Le mouvement a recruté des Congolais et certains des leaders des ADF ont des origines congolaises. Majoritairement, les ADF sont composés d’Ougandais et de Congolais.
Afrikarabia : Pourquoi l’armée congolaise n’arrive pas à éradiquer ce groupe armé et à ramener la sécurité dans la région de Beni ?
Christoph Vogel : Il y a plusieurs facteurs. Si on regarde le théâtre des opérations et la zone contrôlée en partie par les ADF, on voit que ce sont principalement dans les montagnes du Ruwenzori ou les forêts de la vallée du Semuliki. Ce sont des zones extrêmement difficiles d’accès et que les ADF connaissent très bien puisque c’est ici qu’ils ont opéré ces 20 dernières années en partage avec d’autres groupes armés comme les RDC-KML, ou des groupes d’autodéfense maï-maï. Les ADF semblent donc connaitre mieux la zone que l’armée congolaise. La géographie joue en leur faveur. Ensuite, la coordination des opérations sur place est complexe. L’armée congolaise a eu recours à plusieurs reprises à l’aide de la Monusco ou de l’armée ougandaise. Et il y a eu beaucoup de tensions entre tous ces acteurs. La collaboration FARDC/Monusco a connu des succès, mais aussi beaucoup de difficultés et de frictions politiques. Il y a également des tensions internes au sein des FARDC et des problèmes hiérarchiques. C’est une armée qui a intégré de nombreux belligérants des guerres passées. On se rend également compte qu’en fonction du nombre d’hommes et des équipements, les unités sont rarement au complet et cela pose des problèmes d’organisations militaires et logistiques importants. Il existe aussi des tensions très fortes entre les communautés locales du “grand nord”, comme la population Nande qui s’est toujours méfiée du pouvoir central. Ce qui fait que l’armée ne peut pas toujours compter sur l’aide de la population.
Afrikarabia : Certains généraux de l’armée congolaise comme Gabriel Amisi ou John Numbi sont sous sanctions internationales pour violations des droits de l’homme. Cela pose un problème ?
Christoph Vogel : Bien sûr. C’est problématique lorsqu’il faut collaborer et monter des opérations conjointes avec la Monusco. C’est évidemment délicat de retrouver des militaires qui ont commis des abus à la tête d’opérations conjointes avec les Nations unies. Cela complique les relations entre les FARDC et la Monusco, mais aussi la confiance entre l’armée et la population. Maintenant, en théorie, un militaire peut avoir commis des actes répréhensibles de l’autre côté du pays et être efficace sur le plan militaire dans l’Est… c’est toute l’ambiguïté de la situation.
Afrikarabia : Comment expliquer l’impuissance de la Monusco à Beni alors qu’en 2013, avec l’appui de l’armée congolaise, la brigade d’intervention rapide (FIB) de l’ONU avait vaincu la rébellion du M23 ?
Christoph Vogel : Il faut savoir que cette brigade a été créée spécifiquement pour la campagne militaire contre le M23, dans le contexte de l’époque. Cela a très bien fonctionné parce qu’il y avait une convergence politique de tous les acteurs et une bonne structuration au niveau des effectifs militaires. Et contrairement aux ADF, le M23 se comportait plus comme une force militaire conventionnelle. A Beni, c’est un autre type de conflit et la convergence de vues des différents acteurs semble moins forte. Ensuite, si les chiffres de la mission de l’ONU au Congo sont impressionnants sur le nombre d’hommes et son coût, ils sont minimes, par exemple, si on les compare à l’ISAF en Afghanistan. Cette mission n’apparaît pas assez robuste au vu de la taille immense du pays. Il y a enfin un manque de clarté entre les pays contributeurs de troupes. Est-on sûr qu’un ordre d’un commandant de la Monusco sera correctement exécuté sur le terrain ? Ou est-ce que chaque bataillon va devoir en référer à sa capitale pour obtenir un feu vert pour intervenir ? Je ne serai pas surpris qu’une “non réaction” d’un bataillon de la Monusco sur le terrain soit dû à un manque de réponse d’une capitale d’un pays contributeur. Mais ne généralisons pas en disant, par exemple, que tous les militaires de certain contingent de la Monusco sont inefficaces. Ce serait réducteur et faux. Certaines unités sont très engagées, et d’autres moins.
Afrikarabia : Le prix Nobel de la paix, Denis Mukwege plaide pour la création d’une mission militaire de type Artémis, qui avait vu la France intervenir au Congo en 2003. Est-ce une piste intéressante ?
Christoph Vogel : Sur le plan opérationnel et militaire, il est clair que moins il y a d’acteurs impliqués, plus la mission peut être efficace et à des chances de réussite. Mais attention, sur le plan politique cela crée d’autres difficultés. Le multilatéralisme onusien est certes un frein au niveau de l’efficacité, mais il garantit qu’aucun pays n’a d’intérêts prépondérants dans la mission.
Afrikarabia : Ramener la paix prendra du temps au Congo ?
Christoph Vogel : Difficile de s’exprimer sur le futur, mais je pense que pour ramener la paix il faut une convergence des acteurs clés : gouvernement congolais, acteurs locaux, pays de la région, grandes puissances et l’ONU. Il faut une convergence d’intérêts. Il faut que tous ces acteurs aient plus un intérêt à la paix qu’à la guerre.
Afrikarabia : La difficulté c’est qu’il s’agit d’ un conflit avec de multiples groupes armés qui ont des agendas et des objectifs différents ?
Christoph Vogel : Tout à fait. Et en plus, on remarque que les clauses des accords de paix sont rarement toutes respectées. Les signataires ne sont pas parfois représentatifs de leur groupe. Et n’oublions pas que c’est une guerre asymétrique et que des nombreux conflits locaux se connectent avec des tensions nationales et régionales, comme la mobilisation armée dans la plaine de la Ruzizi qui est en lien avec la question burundaise. Il y a également de petits groupes d’autodéfense de quelques hommes, mais aussi des groupes régionaux plus importants, comme le NDC-Rénové qui est devenu un belligérant majeur, ou les FDLR, qui ont tous leur propre histoire et leur propre guerre.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia