Depuis plus de 20 ans, la République démocratique du Congo (RDC) est plongée dans un conflit sans fin malgré la plus grande mission de l’ONU du monde et les milliards injectés par les bailleurs internationaux. Dans son dernier livre, « The War That Doesn’t Say Its Name : The Unending Conflict in the Congo »*, Jason Stearns analyse pourquoi la violence au Congo a continué malgré des décennies d’intervention internationale, et esquisse des solutions.
Afrikarabia : Jason Stearns, vous êtes actuellement le directeur du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), après avoir travaillé pour les Nations-Unies en RDC, au sein de la Monuc. En quoi le conflit au Congo est une « guerre qui ne dit pas son nom » ?
Jason Stearns : Je ne suis pas le premier à soulever ce paradoxe. Les Congolais aussi parlent de « ni guerre, ni paix ». Le Congo a connu deux grandes guerres. Celle de l’AFDL (de Laurent Désiré Kabila) de 1996 à 1997, et celle du RCD, appelée aussi « deuxième guerre du Congo », qui a duré de 1998 à 2003. Il y a eu des accords de paix, et après 2003, le Congo a basculé officiellement en « pays post-conflit » selon la dénomination des Nations-Unies. Officiellement, on s’est accordé sur le fait que le Congo était en paix, mais sur le terrain, c’était tout autre chose. Le conflit s’est transformé, mais n’a pas disparu. Il est devenu plus amorphe et fragmenté. Il y avait, par exemple, une douzaine de groupes armés en 2006, alors qu’aujourd’hui, il y en a environ 120. La guerre est devenue périphérique et ne menace plus les grands centres urbains, mais elle est encore lourde de conséquences pour les populations civiles, puisque l’on compte 5,5 millions de déplacés en 2021. C’est un chiffre qui n’a jamais été aussi élevé dans l’histoire congolaise, même au plus fort de la guerre. La violence a changé de visage, mais n’a pas diminué, c’est pour cela que l’on se trouve dans une situation de « guerre qui ne dit pas son nom ».
Afrikarabia : C’est en effet conflit qui a changé plusieurs fois de physionomie et de belligérants. Pourtant, tout avait relativement bien commencé avec la signature de l’Accord global inclusif de 2002, qui a officiellement mis fin à la guerre. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Est-ce qu’il y a eu des rendez-vous manqués ?
Jason Stearns : Au début de la transition, après 2003, on avait l’impression que le Congo allait dans la bonne direction. On l’oublie quelques fois, mais le début de la transition a vu la démobilisation de 130.000 soldats, on a vu la création de nouvelles institutions démocratiques, la Troisième République venait de naître. La tendance était très positive. A cette époque-là, je travaillais pour la Monuc (la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo), et on voyait comment la situation s’améliorait pour les Congolais. Mais tout a basculé en 2007 avec l’arrivée de la nouvelle rébellion de Laurent Nkunda. Pour comprendre ce basculement, il faut revenir à l’Accord global inclusif de 2002 qui contenait déjà les germes d’un nouveau conflit. Trois grands belligérants avaient signé cet accord : le RCD, le MLC et le gouvernement. Mais le RCD, qui contrôlait à l’époque 1/3 du territoire national, estimait que l’accord ne lui était pas favorable, et qu’il allait perdre aux élections. Or, pour réussir une transition, il faut que tous les signataires aient l’impression que l’accord leur est favorable. Le RCD, avec son soutien, le Rwanda, a donc décidé de créer une rébellion : le CNDP. Tout part de là.
Afrikarabia : Qu’est-ce que l’arrivée de la rébellion du CNDP a changé ?
Jason Stearns : Cela a changé la façon dont Joseph Kabila percevait l’Etat congolais. En 2003, Joseph Kabila était devant une nouvelle armée qui venait de naître et qui comprenait ses anciens ennemis, notamment déployée à Kinshasa. On se souvient que Jean-Pierre Bemba (MLC) avait un bataillon basé à Kinshasa. Joseph Kabila se sentait menacé, et sa priorité était de savoir comment gérer cette nouvelle armée. Avec la rébellion du CNDP, il a fait le choix de ne pas gérer son armée par la force, la discipline et l’efficacité, mais de transformer l’armée par des réseaux de « patronage » clientéliste. L’armée n’était pas là pour protéger la population, mais pour distribuer des « faveurs » et des « services » et s’assurer ainsi de sa loyauté. Pour faire face au CNDP, Joseph Kabila a également décidé de créer d’autres milices pour les combattre, et c’est alors que l’on a vu naître de nouveaux groupes armés qui sont encore actifs aujourd’hui.
Afrikarabia : C’est l’échec de la transition qui explique la persistance du conflit ?
Jason Stearns : Oui, la transition a échoué parce qu’un des belligérants n’a pas accepté une partie des accords de paix et qu’il a repris des armes, avec le soutien du Rwanda. Et d’un autre côté, l’Etat congolais avait intérêt à ce que le conflit persiste.
Afrikarabia : Pour quelles raisons ?
Jason Stearns : Parce que nous avons un Etat et des services de sécurité qui ne sont plus là pour assurer la protection de Congolais, mais plutôt des élites politiques « affairistes » qui profitent du conflit et des ressources naturelles du pays.
Afrikarabia : Des élites politiques qui se trouvent le plus souvent à Kinshasa, et donc très loin de la zone de conflit ?
Jason Stearns : Bien sûr, c’est important de le comprendre. Pour moi, il n’y a pas un « grand complot » derrière ce conflit. Je ne pense pas que Joseph Kabila voulait que la guerre persiste. Il y avait une forte contradiction entre la volonté de créer un Etat fort et la corruption et le racket qui font vivre cette élite politique et militaire. J’ai interviewé de nombreux politiciens à Kinshasa, qui me disaient : « Lorsque je fais campagne auprès de ma base, personne ne me demande ce que je fais pour l’insécurité à l’Est ». Le conflit est très éloigné de la capitale, et depuis très longtemps. Pourquoi le conflit persiste ? On peut répondre en disant : parce que personne n’a intérêt à ce qu’il cesse.
Afrikarabia : Les pays voisins, comme l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, ont-ils une responsabilité dans la persistance du conflit ?
Jason Stearns : L’Ouganda et le Burundi d’une façon plus périphérique, mais surtout le Rwanda, de 2003 jusqu’à la défaite de la rébellion du M23 en 2013. Le Rwanda a joué un rôle capitale dans la persistance du conflit, mais pour des raisons souvent mal comprises. Les Congolais disent que le Rwanda profitent du conflit de manière économique. C’est vrai, mais ce n’est pas la raison principale. Actuellement, le Rwanda n’a plus de troupes au Congo, mais il profite plus que jamais du conflit puisque, chaque année, il y a 3,3 milliards de dollars d’Or qui quittent l’Est du Congo pour le Rwanda. Et cela sans troupes rwandaises basées en RDC.
Afrikarabia : Pourquoi le Rwanda s’est-il alors impliqué dans l’Est du Congo ?
Jason Stearns : Ce que j’ai compris en menant de nombreux entretiens, c’est que les deux arguments principaux dénoncés par les Congolais sur l’implication du Rwanda au Congo, à savoir : les richesses du pays et l’ethnie, ne sont pas les plus importants. Le Rwanda n’est pas à l’Est du Congo à cause de l’argent ou d’une solidarité ethnique avec les Tutsis congolais. Le Rwanda est présent davantage pour des raisons de politique intérieure. La légitimité du FPR du président Paul Kagame provient de son rôle de protecteur des Tutsis rwandais. C’est lui qui a mis fin au génocide des Tutsis. Et ce spectre du génocide plane sur tout ce que fait le Rwanda à l’extérieur, mais aussi en interne. Et donc, il était important pour conserver cette légitimité d’être présent dans le pays où les génocidaires ont fui : c’est-à-dire l’Est du Congo. Même si cela n’est plus une menace sécuritaire pour le Rwanda. Enfin, la menace la plus importante pour Paul Kagame, ne provient pas des FDLR du Congo, mais de sa propre armée. Le président rwandais a continué les opérations à l’Est du Congo pour focaliser l’énergie du FPR et ses soldats sur une menace à l’extérieur du pays, plutôt qu’à l’intérieur. Lorsque la menace peut venir de votre propre armée, il est très dangereux de la laisser « au chômage ». C’est une question de survie politique pour Paul Kagame.
Afrikarabia : Le sous-titre de votre livre est « Un conflit sans fin au Congo ». Pourquoi l’armée congolaise n’a pas réussi à mettre fin à cette guerre depuis toutes ces années ?
Jason Stearns : Dans mon livre, je décris les nombreuses défaillances de l’armée et de l’Etat pour expliquer cet échec. Mais je vais vous donner un contre-exemple pour expliquer ce qui pourrait être fait, justement, pour que cela change. En 2013, la rébellion du M23 prend la ville de Goma pendant une semaine. Il y a une grande panique à Kinshasa. Et Joseph Kabila se rend compte qu’il faut faire quelque chose avec cette armée qu’il gère grâce à la corruption et au racket. Alors, il rappelle une centaine d’officiers qui étaient à Goma pour, soi-disant, un séminaire de formation à Kinshasa. Kabila laisse traîner ces généraux et colonels dans la capitale pendant des mois. Pendant ce temps, il déploie à l’Est le général Olenga pour conduire les opérations militaires. En enlevant simplement cette élite militaire « affairiste » qui compliquait l’intervention de l’armée à Goma, au lieu de la facilité, il a rendu les effectifs sur le terrain beaucoup plus efficaces. Donc, en rationalisant la hiérarchie au sein des FARDC et en donnant des moyens supplémentaires, l’armée congolaise est devenue soudainement efficace ! Et grâce à l’aide de la brigade d’intervention rapide de l’ONU (FIB), l’armée a pu mettre fin au M23 en quelques mois.
Afrikarabia : Ce qui rend l’armée congolaise impuissante, ce sont les dysfonctionnements de sa chaîne de commandement ?
Jason Stearns : Oui. Ce qui bloque, c’est que l’armée n’est pas là pour sécuriser la population, mais servir les intérêts de certaines élites. Il faut savoir que les militaires perçoivent des soldes très faibles. Un général reçoit plus ou moins de 200 $ par mois. Mais lorsque vous voyez que ces militaires construisent de luxueuses villas à Kinshasa ou Goma, vous vous rendez compte qu’ils sont bien plus riches que cela. En fait, leur argent provient des primes qu’ils reçoivent grâce à leur loyauté et au bon vouloir de leurs chefs à Kinshasa. L’argent vient aussi du business et du racket que peuvent faire les militaires dans le contrôle des frontières ou des sites miniers. Pour les soldats, la seule façon de survivre est de se trouver sur le front, où la solde et les primes sont supérieures. Tout ce système se nourrit de la guerre, ce qui explique là encore sa persistance.
Afrikarabia : Il y a un autre acteur important, qui n’a pas réussi à pacifier l’Est de la RDC, ce sont les casques bleus de la Monusco. Pour quelles raisons ?
Jason Stearns : On l’oublie souvent, mais la Monuc a joué un très grand rôle dans le processus de paix. Sa philosophie du maintien de la paix reposait sur la primauté du politique. Cela voulait dire que les forces militaires ne pouvaient être déployées qu’à des fins politiques. L’ONU a eu du succès lorsqu’elle a eu à façonner le processus de paix, et elle était la garante de cet accord. C’était un acteur politique qui intervenait quelques fois militairement. Depuis la fin de la transition, son rôle a été inversé. La mission des Nations-Unies a été contrainte de faire ce qu’elle fait le moins bien, c’est-à-dire « la protection des civils en danger imminent ». Comment peut-on protéger quelqu’un qui est déjà « en danger imminent » ? C’est presque impossible. Les casques bleus venus d’Inde, du Pakistan, ou d’Uruguay, ne sont pas venus pour faire la guerre, ni pour mourir pour le Congo. Mais le souci, c’est que le problème politique n’est toujours pas résolu. La Monusco se trouve donc marginalisée et cantonnée à un rôle qu’elle joue très mal.
Afrikarabia : Cela veut dire que pour résoudre la guerre à l’Est, on a trop misé sur le militaire ?
Jason Stearns : Absolument. Les trois grandes défaillances qui font perdurer le conflit ont été : l’échec politique pour réformer l’Etat congolais. Les bailleurs de fonds pensaient qu’ils avaient un partenaire sincère qui désirait la stabilité et la croissance économique. Mais ce n’était malheureusement pas le cas. Ils avaient en face d’eux un Etat congolais au service des élites qui voulaient seulement profiter de l’instabilité pour s’enrichir. La deuxième défaillance était de rester aveugle envers l’implication du Rwanda. Kigali a sapé la stabilité à l’Est du Congo. Les bailleurs de fonds étaient dans une situation perverse, où ils devaient financer le budget rwandais en même temps qu’ils finançaient les opérations de maintien de la paix et d’aide humanitaire dans un Congo… déstabilisé par le Rwanda. La troisième défaillance est économique. Le processus de paix reposait sur une économie libérale. Après l’accord de paix, cette libéralisation de l’économie a créé un conflit entre la démocratie et le marché. Ouvrir au marché une économie qui était nationalisée a été comme du poison pour cette nouvelle démocratie. Les élites se sont considérablement enrichies. On l’a vu avec les contrats léonins contractés par l’élite en place à cette époque. Ouvrir sans garde-fous l’économie congolaise, surtout le secteur des mines, n’était clairement pas la bonne approche.
Afrikarabia : Dans votre livre, le conflit congolais apparaît comme un phénomène social. Et pour trouver une solution à ce conflit, c’est la société et la politique dans son ensemble qu’il faut changer ?
Jason Stearns : Le conflit congolais est une danse dans laquelle beaucoup d’acteurs participent. Tous dansent sur la même musique, y compris les bailleurs de fonds, ou les gens comme moi… il y a tout une élite qui va de Paris à New-York en passant par Goma, Kigali, Kampala… qui tirent les bénéfices de cette situation de guerre. C’est tout un système qui a été mis en place. Et ce n’est pas en changeant Kabila par Tshisekedi que l’on va mettre fin à ce conflit. C’est en effet un combat social, culturel et générationnel qu’il faut mener.
Afrikarabia : Qui peut mener ce combat ?
Jason Stearns : Des personnes comme le mouvement citoyen Lucha par exemple. Ils essaient de faire du mot « politique », qui est perçu comme un mot sale, une fierté. Lorsqu’ils organisent le « salongo », le travail communautaire, ou qu’ils manifestent contre les massacres à Beni… ces actions sont positives. Ce combat sera long. Mais il faut rappeler que le problème n’est pas une personne, ni même une élite, mais l’ensemble des acteurs. Et l’occident doit jouer un grand rôle dans tout cela. Ce sont eux qui ont financé ce système, ils en sont donc redevables, et si cela ne marche pas, c’est qu’ils sont complices.
Afrikarabia : La dernière grande action lancée par les autorités congolaises pour tenter de ramener la paix à l’Est a consisté à instaurer l’état de siège dans les deux provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Mais depuis sa mise en place en mai 2021, cette mesure ne semble pas produire les effets escomptés ?
Jason Stearns : On voit avec l’arrivée de Félix Tshisekedi quelqu’un qui veut changer les choses. C’est l’impression que nous avons. Mais, sur le terrain, cette action est plutôt d’ordre symbolique. Comme avec Kabila, Tshisekedi s’est posé la question « comment gérer l’armée ? », plutôt que « comment sécuriser la population ? ». Les FARDC étaient une menace pour Félix Tshisekedi à son arrivée au pouvoir. En janvier 2019, ce nouveau président ne connaissait pas l’armée, n’avait pas fait son service militaire et n’avait aucun réseau au sein des forces de sécurité. L’armée était alors dominée par son partenaire de l’époque, Joseph Kabila. Félix Tshisekedi se sentait donc en insécurité. C’est d’ailleurs toujours le cas. Et l’état de siège a été un moyen pour le président congolais de gérer l’armée. L’état de siège est un transfert du pouvoir civil aux militaires, et cela marche très bien. Les militaires dans l’Est sont donc en train de s’encrer profondément dans l’économie locale. Mais par rapport à l’insécurité sur le terrain, il ne se passe pas grand-chose. Ce que l’on voit sur le terrain, c’est plutôt l’affairisme de certains généraux, et non des opérations militaires d’envergure contre les milices.
Afrikarabia : Dans cette guerre qui n’en finit pas, voyez-vous des raisons d’espérer et d’être optimiste ?
Jason Stearns : Oui, il y a quand même des progrès. On a assisté en 2018 à des élections très « imparfaites », si on peut dire. Mais il y a quand même eu des élections. Joseph Kabila a été contraint de ne pas changer la Constitution et de ne pas imposer son dauphin. Il a aussi dû faire un compromis considérable en nouant cette alliance avec Félix Tshisekedi. Et là, on a vu la force de la population congolaise, des organisations de la société civile et de l’Eglise catholique qui ont mené cette lutte. Alors, évidemment, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Mais c’est cette nouvelle génération, cette nouvelle jeunesse, qui me donne le plus d’espoir. Ce n’est plus le bling-bling de JB Mpiana et Koffi Olomidé qui donne le ton. Cette nouvelle génération a maintenant conscience qu’elle peut changer le pays. Ce n’est pas de l’occident, ni de l’extérieur que le changement viendra. Ce qui serait une tragédie, c’est de croire qu’une seule personne va changer le Congo. Cela va prendre du temps, mais je reste optimiste.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia
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(*) « The War That Doesn’t Say Its Name : The Unending Conflict in the Congo », de Jason K. Stearns – Princeton University Press, 2021, 328 pages.
Excellente Interview Mr Christophe.
J’y ai trouve bcp d’elements pour ma propre recherche!
A lire Jason Stearns, je me rends compte quelque peu dépité qu’il connaît mon pays et cette guerre mieux que moi. Sans doute d’abord parce qu’il est sur le terrain et l’analyse politique et stratégique c’est son travail. Presque chacune de ses réponses est experte et vous apprend des détails précis et justes sur un la situation de notre pays. Je serai heureux de lire son travail encore mieux lorsqu’il sera traduit en français.
J’ai tressé des lauriers à l’expertise de Jason Stearns à travers ses réponses mais n’ai rien dit de son contenu. Que dire sinon que son optimisme bien légitime m’a coupé les ailes. Non pas que je le désapprouve mais parce qu’il situe dans le long terme ce que je veux tout de suite et qu’il repose la sortie de notre tunnel sur la population. On a c’est vrai en face « un Etat congolais au service des élites qui veulent seulement profiter de l’instabilité pour s’enrichir et que le pauvre Tshisekedi se préoccupe de comment gérer l’armée plutôt que comment sécuriser la population » mais n’y a-t-il rien n’attendre de nos dirigeants politiques à le comprendre et à le faire ? Qu’aurais-je voulu que Stearns nous explique comment transférer les chances de la société civile sur un nouveau et meilleur leadership politique. Je reconnais le savoir-faire d’une Lucha et qu’il y’a « un combat social, culturel et générationnel à mener » mais à terme ce n’est pas à une direction politique à coordonner tout ?
Pourquoi j’ai l’impression qu’il cherche à laver le Rwanda de la convoitise des minerais congolais??? Le Rwanda rêve d’avoir tout le kivu pour lui depuis longtemps. Il n’y a pas que oa question politique ou sécurité des tutsi et poursuivre les génocidaires pcq il les utilisent
Le Rwanda veut la scission de la RDC et annexer une partie de Kivu. C’est vrai que juste que là, le projet n’a pas abouti complètement, grâce au patriotisme de nos frères et soeurs de l’Ouest. Kagame ne désespère pas car l’Armée congolaise est infiltrée par des militaires Rwandais et Ougandais, dans une moindre mesure. Ces 2 Etats ne laisseront jamais mon pays tranquille. Les Rwandais et Ougandais connaissent bien les politiciens corrompus congolais, leur inconscience et la légèreté qui les caractérisent. Dommage que notre pays n’a pas une armèe dissuasive comme à l’époque du Papa Maréchal Mobutu.
Typo, nos frères et soeurs de l’Est bien entendu, je suis fier de mes compatriotes car le pays est resté uni grâce à eux. Quel courage, ces gens ont, surtout la proximité avec leurs bourreaux. Vive les gens de l’Est du pays, you are my heroes.
Je respecte l’expertise de Stearns, qui a servi comme moi à la Monuc et qui avait, à un moment, présidé le Groupe d’experts de l’ONU pour la RDC. Cependant, j’ai souhaité ne pas laisser sans réaction certains propos qu’il a tenus dans cette interview, parue dans le sillage de la publication de son dernier livre sur le conflit congolais.
Je concède que je n’ai pas encore lu le livre en question, mais certains de ses propos dépeignent un tableau assez tendancieux qui, s’il n’est pas fortement nuancé, pourrait aisément induire beaucoup en erreur.
En tant qu’analyste formé et accoutumé dans l’analyse et résolution des conflits, j’ai estimé utile de livrer dans les longues lignes qui suivent ma réaction à certaines affirmations de M. Stearns, dont plusieurs sont vraies et d’autres devraient être prises avec des pincettes. À certains égards (comme dans la question de la protection des civils), quand nos deux points de vue convergent, j’ai souhaité enrichir cette question et la présenter sous une autre perspective. Le conflit à l’Est de la RDC étant particulièrement complexe et difficile à appréhender, ce n’est que du choc des idées que peut jaillir la lumière.
Encore une fois de plus, je sollicite votre indulgence pour la longueur de ce post. Je numérote à partir d’ici pour en faciliter la lecture. J’espère que votre patience à le lire attentivement en sera bien récompensée.
1. PROPOS DE STEARNS (1) : « Il y a eu des accords de paix, et après 2003, le Congo a basculé officiellement en « pays post-conflit » selon la dénomination des Nations-Unies. »
MA REACTION :
2. Rigoureusement parlant, ceci n’est pas exact. La RDC a accédé au statut de pays post-conflit après 2006 et non pas après 2003 (bien que 2006 ou 2012 soit « après 2003), pour la simple raison qu’après la tenue d’élections nationales organisées avec succès sous supervision internationale et dont l’issue, à savoir la victoire de Joseph Kabila (une des parties au conflit) était acceptée, non sans douleur bien entendu, par les autres parties au conflit (dont principalement le MLC et le RCD/G), le conflit pouvait officiellement être traité comme ayant pris « fin ». D’où, dans la posture doctrinale classique du maintien de la paix multidimensionnel de l’ONU, un pays naguère déchiré par une guerre civile bascule en mode « post-conflit » seulement et après que des élections ont été organisées sous l’égide international et le résultat accepté par tous les belligérants.
3. Cela dit, la vraie question de fond demeure : Les Nations unies étaient-elles, se basant sur la réalité et l’évolution de la situation sur terrain, fondées à déclarer la RDC « pays post-conflit » dès 2006, après l’aboutissement heureux du premier cycle électoral du pays après plusieurs décennies ? N’était-ce pas prématuré, reflétant cette espèce de « Congo fatigue » dont se faisaient l’écho certains analystes lucides déjà à cette époque ? Les faits démontrent que malheureusement tel fut le cas. Par hantise ou empressement de ‘tourner vite la page’ du conflit, les officiels onusiens négligèrent ou ne prirent suffisamment pas en compte le fait que le conflit de 1998-2003 n’avait pas pris fin en 2006, comme il devait théoriquement en être le cas, mais qu’il s’était métastasé, s’est davantage complexifié, en grande partie par la volonté d’une des parties au conflit, à savoir le RCD/Goma et ses parrains rwandais.
4. Conscients de leur forte impopularité au sein de l’opinion congolaise et ne se faisant donc aucune illusion sur leurs chances réelles de l’emporter aux urnes, le RCD/Goma et le Rwanda craignirent que l’aboutissement heureux du processus de réunification du territoire suivi par le brassage des unités militaires issues de l’ancienne armée de Kabila (FAC) et les ex-rebellions – processus dicté par le règlement politique du conflit convenu par la classe politique congolaise à Sun City en 2002 – ne se traduise non seulement par leur perte du pouvoir politique mais aussi par la perte totale d’influence et de contrôle sur la partie Est de la RDC, celle qui les intéressait le plus, et ce pour plusieurs raisons (économiques, sécuritaires et géopolitiques).
5. Moins d’une année après le début de la Transition en juin 2003, certaines troupes du RCD/G, tirant prétexte de certains incidents regrettables, opposèrent une farouche résistance à leur transfèrement en dehors du Kivu pour être brassées avec les autres unités afin de constituer la nouvelle armée nationale, les FARDC ; cela en dépit du fait que, ironie du sort, la gestion du portefeuille de la Défense nationale durant la période de la transition échut à ce même RCD/G ! Il s’ensuit les violents affrontements en mai-juin 2004 entre les troupes commandées par le colonel Jules Mutebusi, épaulées par celles de Laurent Nkunda, contre celles sous commandement du général Prosper Nabyolwa, plus tard renforcé et remplacé par le général Felix Mbuza Mabe –affrontements qui se soldèrent par la brève prise de Bukavu le 1er juin 2004 par les hommes de Mutebusi/Nkunda. Ce fut la genèse de ce qui sera appelé Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP).
6. Tous ces développements inquiétants auraient dû alarmer les décideurs onusiens sur le fait qu’une des parties belligérantes au conflit en cours de ‘solutionnement’, en l’occurrence le RCD, anticipant sa décrépitude politique certaine, cherchait malicieusement à se soustraire du processus de paix en créant une « offshoot » ou une ramification du conflit ; ce qui impliquait que toute proclamation de la RDC comme ‘pays post-conflit’, en sus d’etre erronée, passerait forcement à coté de cette réalité, en forçant – à tort d’ailleurs – l’ONU à traiter le CNDP non pas pour ce qu’il était réellement, à savoir une survivance du conflit, mais plutôt comme un simple phénomène marginal. Et cela posa les bases de l’impasse doctrinale dans laquelle firent plongés tant l’ONU et ses partenaires que le gouvernement congolais face à la continuité de la violence armée sur terrain malgré la fin officielle de la guerre.
7. Cette grave négligence stratégique, que je tends à attribuer à cette fameuse « Congo fatigue », fut doublement handicapante : primo, elle mit l’ONU dans l’incapacité de tourner son attention pour traiter efficacement les causes profondes du conflit (ce qu’elle fait d’habitude une fois que les armes se sont tues sur terrain) ; secundo, elle offrit un paravent ou une excuse toute trouvée pour le gouvernement congolais de ne pas entreprendre les réformes de fond, notamment celle du secteur de la sécurité, auxquelles la communauté l’incitait, affichant un souverainisme insolent qui compliqua davantage la tâche à l’ONU.
8. PROPOS DE STEARNS (2) : « A cette époque-là, je travaillais pour la Monuc (la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo), et on voyait comment la situation s’améliorait pour les Congolais. Mais tout a basculé en 2007 avec l’arrivée de la nouvelle rébellion de Laurent Nkunda. »
MA REACTION :
9. Encore une fois, il est erroné de situer le début du ‘déraillement’ du processus de paix en RDC à 2007, car en fait les germes du CNDP avaient été posés dès 2004 avec les évènements de Bukavu.
10. Il sied de noter que, exception faite pour les incidents de Bukavu en mai-juin et ceux de Kanyabayonga en novembre 2004, les troupes du RDC/G à la solde du Rwanda optèrent stratégiquement de faire profil bas durant la plus grande partie de la Transition de 2003-2006, choisissant de sortir leurs griffes pour abattre leurs cartes aussitôt après la fin de celle-ci. Le ver était bien logé dans le fruit ; il n’attendait que le bon moment pour surgir.
11. Laurent Nkunda créa le CNDP officiellement en juillet 2006 et lança sa première attaque d’envergure sur la localité de Sake dès l’annonce de la confirmation par la Cour Suprême de l’élection de Joseph Kabila en novembre 2006. Ce qui obligea les hélicoptères indiens de la Monuc à entrer en action pour les repousser. Aussitôt investi en tant que Président démocratiquement élu en décembre 2006, Joseph Kabila dépêcha un émissaire à Kigali en la personne du général John Numbi pour aller négocier avec Laurent Nkunda sous la médiation du général rwandais James Kabarebe. Il s’ensuit un accord non écrit dit « gentlemen’s agreement » conclu en janvier 2007, en vertu duquel il fut convenu les troupes de Nkunda seraient intégrées dans l’armée congolaise, non pas par brassage – comme les autres unités FARDC – mais par ‘mixage’.
12. Le fait que l’accord ne fut jamais écrit joua en faveur de Nkunda qui l’interprétait à sa guise et profitait du répit consécutif à l’accalmie des hostilités sur terrain pour se renforcer militairement et ancrer davantage son ancrage économique dans la région. Les abus contre les civils commis par les troupes du CNDP mirent Président Kabila sous pression, au point qu’en août 2007 il décida de la fin du ‘mixage’ et ordonna que les troupes du CNDP subissent le brassage. Cette décision fit voler un cessez-le-feu factice en éclats et relança les hostilités, lesquelles se soldèrent trois mois plus tard à l’avantage de Nkunda dont les hommes, appuyés par le Rwanda, infligèrent une humiliante défaite militaire aux FARDC le 12 décembre 2007 à Mushake et Kikuku.
13. Cherchant à reprendre la main, le régime de Kinshasa convoqua précipitamment la conférence de paix (Amani) à Goma en janvier 2008. Bien que Nkunda n’y prit pas part personnellement, son mouvement signa un ‘acte d’engagement’ avec le gouvernement. La suite est longue et bien connue…
14. PROPOS DE STEARNS (3) : « Oui, la transition a échoué parce qu’un des belligérants n’a pas accepté une partie des accords de paix et qu’il a repris des armes, avec le soutien du Rwanda. Et d’un autre côté, l’Etat congolais avait intérêt à ce que le conflit persiste. »
MA REACTION :
15. C’est exagéré de porter une telle affirmation selon laquelle ‘l’Etat congolais avait intérêt à ce que le conflit persiste’ , car si tel devait être le cas, alors l’on conclurait que TOUT LE MONDE, l’ONU y compris, avait alors intérêt que le conflit persiste ! Je me méfie des conclusions aussi simplistes. La réalité est que le conflit s’étant métastasé, PERSONNE – que ce soit l’Etat congolais, l’ONU et les partenaires – ne savait plus comment résoudre ce conflit dont la complexité défiait et testait les limites des prescriptions doctrinales qui ont fait consensus au sein des Nations unies depuis le Rapport Brahimi.
16. PROPOS DE STEARNS (4) : « …Pour moi, il n’y a pas un « grand complot » derrière ce conflit. Je ne pense pas que Joseph Kabila voulait que la guerre persiste. »
MA REACTION :
17. Contradiction avec l’affirmation précédente selon laquelle « l’Etat congolais avait intérêt à ce que le conflit persiste »
18. PROPOS DE STEARNS (5) : « Il y avait une forte contradiction entre la volonté de créer un Etat fort et la corruption et le racket qui font vivre cette élite politique et militaire. »
MA REACTION :
19. C’est une fausse « contradiction », un euphémisme pour dire tout simplement absence de volonté politique.
20. PROPOS DE STEARNS (6): « …l’Ouganda et le Burundi d’une façon plus périphérique, mais surtout le Rwanda, de 2003 jusqu’à la défaite de la rébellion du M23 en 2013. (…) Actuellement, le Rwanda n’a plus de troupes au Congo, mais il profite plus que jamais du conflit puisque (…) Le Rwanda n’est pas à l’Est du Congo à cause de l’argent ou d’une solidarité ethnique avec les Tutsis congolais (…) Et donc, il était important pour conserver cette légitimité d’être présent dans le pays où les génocidaires ont fui : c’est-à-dire l’Est du Congo. (…) Le président rwandais a continué les opérations à l’Est du Congo pour focaliser l’énergie du FPR et ses soldats sur une menace à l’extérieur du pays, plutôt qu’à l’intérieur. Lorsque la menace peut venir de votre propre armée, il est très dangereux de la laisser « au chômage » ».
MA REACTION :
21. Il est curieux que Stearns ne trouve pas contradictoire d’affirmer d’une part que «Actuellement, le Rwanda n’a plus de troupes au Congo » (du moins, il prétend que depuis 2013 ce n’est plus le cas), et d’autre part, assurer que l’implication militaire du Rwanda au Kivu répondrait à la nécessité pour Paul Kagame de ne pas laisser son armée « au chômage ». Des deux choses l’une ! Soit le Rwanda est toujours impliqué dans le conflit congolais, auquel cas son armée est toujours impliquée sous forme déguisée dans les milices sévissant à l’Est de la RDC ; soit depuis 2013, le Rwanda n’a plus des troupes au Congo, alors dans ce cas, l’armée rwandaise est effectivement « au chômage » depuis la défaite du M23. Les deux propositions ne peuvent PAS être simultanément vraies !
22. PROPOS DE STEARNS (7): « La mission des Nations-Unies a été contrainte de faire ce qu’elle fait le moins bien, c’est-à-dire « la protection des civils en danger imminent ». Comment peut-on protéger quelqu’un qui est déjà « en danger imminent » ? C’est presque impossible. »
MA REACTION :
23. Je partage la constatation de Stearns que l’ONU a confié à la MONUSCO, une mission de « la protection des civils » – une mission est en fait quasi impossible à accomplir. Cette notion assez « sexy » de protection des civils , « en danger imminent de violence» dans les zones où est déployée une Mission de maintien de la paix multidimensionnelle de l’ONU est en réalité devenue une espèce de couteau suisse diplomatique à la disposition du Conseil de sécurité, se prêtant à plusieurs usages dont le dénominateur commun reste le souci de ce dernier de calmer les critiques acerbes d’une opinion nationale et internationale qui conçoit assez mal que des civils soient massacrés pour ainsi dire ‘au nez et à la barbe’ des casques bleus bien armés et bien équipés. Quoique cette dimension ait été systématiquement intégrée dans la réponse de l’ONU face aux conflits de nature civile, surtout après les échecs retentissants des années 1990, notamment après le génocide au Rwanda et le massacre de Srebrenica en ex-Yougoslavie ; l’on ne peut gager sur la seule prétention à ‘protéger les civils’ pour ambitionner de résoudre un conflit armé.
24. Cette doctrine de protection des civils peut vouloir tout et rien dire à la fois, et l’on peut en faire presque tout ce que l’on veut. L’on a vu en Côte d’Ivoire en 2011, le Conseil de sécurité, au nom de la protection des civils, donner mandat à l’ONUCI de neutraliser les armes lourdes de l’armée régulière ivoirienne, conférant du coup un avantage décisif aux rebelles et aux troupes françaises qui en ont profité pour porter l’estocade au régime du président Laurent Gbagbo. La même année en Lybie, le Conseil de sécurité, au nom de la même notion de protéger des civils en danger imminent, a autorisé la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne ayant permis aux forces occidentales de frapper des objectifs militaires du régime libyen, considéré alors comme la source de ce danger ayant nécessité la protection des civils. Ces deux exemples à eux seuls démontrent qu’au nom de la protection des civils, l’on peut presque en venir à tout justifier ou presque, au nom même des fins souvent inavouables.
25. Aussi utile ‘tactiquement’ qu’elle puisse être, bien des fois, pour les décideurs internationaux – qu’elle ‘dépanne’ de temps à autre pour atteindre certains objectifs à court terme, au gré des intérêts de grandes puissances – la notion de protection des civils n’est intrinsèquement d’aucune utilité réelle pour résoudre un conflit armé quelconque, international ou civil. Comme par exemple avec ce qui se passe actuellement en Ukraine après l’invasion de l’armée russe, quand deux nations ou deux camps sont engagés dans une confrontation armée, l’on voit mal l’ONU faire quoi que ce soit pour ‘protéger les civils’ autrement qu’en cherchant d’abord à résoudre le conflit au travers d’un processus politique et diplomatique, comptant sur une accalmie des hostilités sur terrain ou sur une stabilisation du conflit. Hormis pour la mise en place des couloirs humanitaires, il n’est pas possible pour l’ONU de protéger directement les civils dans une telle configuration, surtout pas aussi longtemps que l’une ou les deux parties n’auront pas perdu foi en leur supériorité militaire ou à « décider » de l’issue de la confrontation par l’épreuve de force militaire.
26. Pour revenir au cas de la RDC, il va de soi que l’ONU n’a aucun moyen de « résoudre le conflit » en faisant de la seule protection des civils son cheval de bataille, et ce pour la simple et bonne raison que stricto sensu il n’y a plus de conflit à résoudre ! L’insécurité qui prévaut actuellement à l’Est de la RDC n’est à proprement parler pas un conflit, mais plutôt un ‘leftover’, un résidu du conflit, un ‘war legacy’ (héritage de guerre) qui présente les apparences d’un conflit, tout simplement parce que des forces armées régulières sont engagées sur terrain contre d’autres forces irrégulières ou bien celles-ci se battent entr’elles, et parce que des gens continuent à en mourir. Mais en réalité, ce n’est pas, ce n’est plus un conflit ! C’est plutôt un chaos sécuritaire dont les enjeux sont multiples et qui tous n’ont strictement rien à avoir avec la contestation du pouvoir politique en place dans la capitale du pays.
27. Ces différents groupes armés ne font nullement de la prise du pouvoir d’Etat à Kinshasa leur objectif premier ou secondaire (comme c’était le cas lors du VRAI conflit civil avec le RCD/Goma et le MLC), ou encore moins ne sont intéressés par le ‘positionnement stratégique le plus avantageux possible’, c.à.d. l’occupation et l’administration d’un pan de l’espace territorial national tombé sous leur contrôle effectif qu’il leur faille défendre par les armes et qu’ils pourraient, le moment propice, ‘échanger’ ou négocier avec le gouvernement central moyennant l’octroi d’avantages politiques quelconques. L’on a plus à faire ici à une logique, pour les uns, de criminalité à visée économique, identitaire ; pour les autres, de reflexe d’autodéfense communautaire face à la violence rendue possible par l’incapacité de l’Etat d’asseoir efficacement son autorité sur l’ensemble du territoire national.
28. Ainsi donc, croire que l’ONU, armée de son désir aussi noble soit-il de ‘protéger les civils’ en danger, puisse éteindre un conflit (qui n’en est pas un), en somme l’insécurité prévalant à l’Est de la RDC, serait un peu comme espérer préparer du fufu sur une plaque d’un fer à repasser, au lieu d’une plaque de réchaud, sous prétexte qu’elle chauffe aussi comme cette dernière ! La plaque d’un fer à repasser a beau chauffer celle d’un réchaud, mais elle n’a pas été conçue pour préparer du fufu…Ce qui se passe à l’Est de la RDC est tout simplement au-dessus des ressources doctrinales dont dispose présentement l’ONU, dont l’approche de maintien de la paix se trouve actuellement engluée dans une impasse idéologique, qui était pourtant prévisible, en rapport à la crise sécuritaire prévalant dans la partie orientale de la RDC.
29. PROPOS DE STEARNS (8) : « C’est tout un système qui a été mis en place. Et ce n’est pas en changeant Kabila par Tshisekedi que l’on va mettre fin à ce conflit. C’est en effet un combat social, culturel et générationnel qu’il faut mener. »
MA REACTION :
30. Ici l’on retrouve ce que j’estime bien être une certaine naïveté de plusieurs Occidentaux qui dédaignent les « hommes providentiels », pour qui le salut d’une nation ne peut pas passer par l’arrivée au pouvoir d’un homme ou d’un groupe d’hommes visionnaires. On ne peut pas tellement leur en vouloir, à ces analystes occidentaux qui ont tendance à étudier les faits intéressants l’Afrique avec les lentilles analytiques des Occidentaux, correspondant à leurs réalités, et pas aux nôtres. L’on est ainsi en plein dedans leur logique de privilégier, comme le prescrivait Barack Obama, la mise en place des « institutions fortes » dont l’Afrique aurait besoin, plus que des « hommes forts ».
31. J’estime cette approche naïve tout simplement parce que, de mémoire de l’humanité, les institutions fortes n’apparaissent jamais par génération spontanée. Elles sont TOUJOURS la conséquence d’un leadership politique visionnaire et éclairé, qui agit dans l’intérêt du peuple et bénéficie de l’adhésion de ce dernier pendant une période de temps suffisamment longue pour édifier et implanter de solides institutions. Des dirigeants sans vision, sans sens élevé de l’Etat, incapables de dissocier l’intérêt privé des quelques-uns de l’intérêt collectif d’une ou plusieurs générations, sont incapables de construire de fortes institutions. Non, j’incline à penser que Barack Obama n’avait pas vu juste : L’Afrique a besoin des « hommes forts » pour mettre en place des institutions fortes, suffisamment fortes de sorte qu’à terme, elle sera en mesure de progresser toute seule et se passer de ces hommes forts.
32. Stearns compte sur des organisations telles que Lucha pour mener ce qu’il appelle un « combat social, culturel et générationnel » contre le système qui tire les ficelles et bénéficie de l’insécurité actuelle. Certes, la société civile a toujours un rôle important à jouer dans toute agenda transformationnel d’une nation, mais c’est un autre accès de naïveté – excusez-moi si le mot est trop fort – que de penser qu’une « ONGétisation », une «société-civile-tisation » de l’action collective fera mieux qu’une action publique, gouvernementale bien pensée, cohérente, conduite par des dirigeants véritablement soucieux de mettre un terme à ce drame humain. Autant Philip Alston, le rapporteur spécial de l’ONU pour la pauvreté extrême et les droits de l’homme, estimait-il en 2009 que le nœud de l’insécurité à l’Est de la RDC était le phénomène pervers qu’il avait décrit comme étant « la privatisation de l’Etat », autant il serait illusoire d’espérer que la solution au problème passera par une ONGétisation de l’Etat congolais ou de la réponse à apporter. Il n’y a pas d’alternative – heureusement ou malheureusement, c’est selon – à une action étatique décisive pour tirer un trait sur cette tragédie.
33. PROPOS DE STEARNS (9) : « Comme avec Kabila, Tshisekedi s’est posé la question « comment gérer l’armée ? », plutôt que « comment sécuriser la population ? ».
MA REACTION :
34. Je trouve bizarre que Stearns essaie d’opposer ces deux notions, c.à.d. qu’il ne serait pas possible, à l’en croire, de gérer l’armée en même temps que l’on essaie de sécuriser la population. Cela est d’autant plus bizarre que l’armée est justement le seul OUTIL dont dispose tout Commandant en chef des armées pour remplir ses obligations régaliennes vis-à-vis de sa population. Il va de soi que toute transition du pouvoir entre un président sortant à la carrure militaire, comme Kabila, et un président entrant, un parfait civil comme Tshisekedi, exigerait forcement et nécessairement une période de réajustement dans la gestion de l’appareil sécuritaire. Comme dans la gestion du pouvoir en général, Felix Tshisekedi se sera montré à la hauteur des évènements, comme l’atteste le fait qu’il a pu en deux ans seulement se défaire complètement de l’emprise encombrante de son prédécesseur, sans trop de casse et avec dextérité. Dans sa stratégie globale de gestion du système politique et militaire dont il a hérité en 2019, Tshisekedi a eu la sagesse d’éviter la politique de la purge immédiate, optant pour celle des chaises musicales, se reposant sur certains piliers de l’ancien régime qu’il a su retourner et rallier à sa cause. Heureusement pour la RDC, il n’a pas commis mutatis mutandis la même erreur que Paul Bremer en Irak en 2003. L’on a tous vu les conséquences tragiques qu’a eues pour l’Irak la politique de la purge immédiate…
35. Cependant, en ce qui concerne l’armée congolaise, il sied de constater que la décrépitude actuelle des FARDC tient essentiellement à trois faits :1) la RDC n’a jamais eu le TEMPS matériel de refaire son armée après la débâcle de l’armée zaïroise face à l’invasion Afdlienne en 1996-1997 ; 2) le manque de vision des dirigeants pour cause d’affairisme au sommet de l’Etat ; 3) la peur paralysante d’une reforme trop poussée et trop profonde de l’armée, au profit des approches « piecemeal » (approches fragmentaires ou politique de petits bouts) et bilatérales. Ceci pour la simple raison que les effets d’une réforme profonde et efficace auraient balayé et emporté la même élite militaire qui doit son ascension au commandement moins à ses mérites et ses prouesses sur le champ d’honneur, et plus à ses connexions politiques, au clientélisme et à la logique de prédation qui s’est installée depuis la 2ème guerre du Congo.
36. C’est donc de cette armée, avec une élite militaire largement problématique (dont certains hauts gradés étaient accusés de graves crimes), dont a hérité le président congolais actuel. Une armée qu’il ne pouvait pas commettre la folie de purger immédiatement, à ses risques et périls. Il fallait faire avec, la « gérer » comme le dit Stearns, en même temps que la population meurtrie à qui Tshisekedi avait promis la « fin de la guerre », attendait des actions concrètes. L’on voit bien donc que Tshisekedi ne pouvait pas rester les bras croisés à ne rien faire. Les options choisies n’ont pas encore, il est vrai, porté des fruits, au point de juguler complètement le problème de l’insécurité. Néanmoins, ces options (état de siège, mutualisation avec des forces régionales) mettent le pays sur la bonne voie pour solutionner ce monstre à plusieurs têtes. Il reste encore beaucoup à faire et il va falloir laisser le temps faire son œuvre…
37. PROPOS DE STEARNS (10) : « Ce qui serait une tragédie, c’est de croire qu’une seule personne va changer le Congo. Cela va prendre du temps, mais je reste optimiste. »
MA REACTION :
38. Je ne saurais être plus en désaccord avec Mr. Stearns qu’avec et à cause de cette phrase, qui parait pourtant frapper au coin du bon sens. Penser qu’une seule personne ne peut pas changer le Congo est, à mon avis, le pire « anesthésiant logique » que l’on pourrait administrer à des Congolais confrontés à la douleur d’être témoins jour après jour de la situation pathétique dans laquelle patauge leur pays. Affirmer une chose pareille, c’est oublier qu’UN SEUL INDIVIDU est capable de plonger tout un pays dans le chaos ! C’est oublier que le désordre sécuritaire à l’Est de la RDC n’a pas surgi de nulle part, qu’il est l’héritage du système issu de l’AFDL. C’est tout simplement oublier ou méconnaitre profondément l’histoire de ce pays.
39. Essayons de caricaturer en quelques lignes, pour faire très simple, ce qui s’est passé dans ce pays depuis 1996 :
a) Au départ, des fils du pays se coalisent avec des étrangers pour attaquer, agresser leur propre pays, chaque fois prétextant l’illégalité du pouvoir en place à Kinshasa. Présentons la même situation de manière symétrique: Des étrangers, dont certaines sont mus par des agendas lugubres cachés sous le verni des soucis sécuritaires légitimes, prennent pour prétexte l’illégitimité du pouvoir de Kinshasa pour agresser la RDC en complicité avec des fils du pays ;
b) Les soucis sécuritaires légitimes de ces étrangers rencontrent la soif d’accéder aux affaires ou de ne pas être exclus du pouvoir politique des certains fils du pays qui contestent la légitimité des dirigeants de leur pays ou à qui ils veulent leur régler leurs comptes. Il s’ensuit une alliance de circonstance entre les étrangers et ces fils du pays.
c) L’alliance de circonstance tourne plus tard au marché des dupes ; les étrangers n’ayant pas trouvé leur compte décident de se payer eux-mêmes en pillant le pays, faute d’avoir pu détrôner ces fils du pays.
d) Les fils du pays trouvent d’autres étrangers pour se maintenir au pouvoir. Ils profitent du désordre créé pour se remplir les poches à leur tour.
e) La guerre détruit le tissu social à une telle échelle qu’elle aggrave la pauvreté et affaiblit l’Etat ou ce qu’il en reste.
f) La pauvreté à son tour nourrit le cycle de la guerre : des fils du pays ‘investissent’ dans le kalachnikov pour améliorer leur sort économique, accroitre leur statut social et acquérir du pouvoir politique.
g) Il en découle la militarisation des conflits et enjeux locaux. L’économie locale se militarise à son tour.
h) Les étrangers deviennent « addicts » ou dépendants du pillage des ressources de la RDC et n’hésitent plus à attiser les conflits locaux voire à les créer eux-mêmes pour alimenter le conflit.
i) La partie du pays affecté par le conflit se transforme en une espèce de « trou noir » sécuritaire, une zone de non-droit dans laquelle viennent pulluler toutes les ‘causes perdues’ de la région et s’installer des rebuts de l’humanité.
j) Les fils du pays ayant mouillé dans ce drame deviennent à leur tour « addicts » ou dépendants des réseaux de prédation qui se sont construits sur le dos de la guerre. Ils inoculent constamment un poison dans l’appareil étatique pour maintenir l’Etat dans l’incapacité de s’en prendre à eux et à leurs réseaux de prédation.
40. Voilà en quelques lignes décrite la « malédiction de l’héritage afdlien ». C’était le « déluge » dont parlait le Maréchal Mobutu qui surviendrait après lui.
41. Pour conjurer ce sort, cette malédiction, il faut impérativement des personnes EXTERIEURES à l’héritage politico-militaire de l’AFDL.
42. Un petit groupe d’individus a plongé ce pays dans le chaos. Un autre groupe d’individus extérieurs au premier est capable de l’en sortir.