Après l’Assemblée nationale, la coalition de Joseph Kabila s’offre une puissante majorité au Sénat, provoquant la colère des militants de l’UDPS, le propre parti du nouveau président Félix Tshisekedi.
L’état de grâce aura été de courte durée pour le président Tshisekedi. Les résultats, encore provisoires, des élections sénatoriales ont suscité l’ire de la base de l’UDPS, le parti du nouveau président congolais. La coalition pro-Kabila du FCC vient de rafler la mise avec près de 80 sénateurs sur 100, après le vote de 24 des 26 assemblées provinciales. Pour la plateforme présidentielle CACH, c’est la douche froide, avec seulement 3 sénateurs élus. Reste 8 sièges à pourvoir qui devraient être désignés lors de deux élections reportées fin mars dans le Nord-Kivu et le Maï-Ndombe.
« Le scandaleux monnayage des voix des députés provinciaux »
Ce fiasco électoral, très prévisible, dans la mesure où le FCC a remporté haut la main les élections provinciales, a provoqué la colère de la base militante de l’UDPS. Des « combattants » du parti ont dressé des barricades et brûlé des pneus devant le siège de l’UDPS à Limete ce samedi. Un des sièges du PPRD, le parti de Joseph Kabila, a été attaqué, le Palais du peuple du Kinshasa a été investi par des militants furieux et la police a dû utiliser des gaz lacrymogènes pour reprendre le contrôle de la situation. A Mbuji-Mayi, dans la province du Kasaï oriental et fief de l’UDPS, à Goma ou Lubumbashi, des militants ont saccagé des résidences de députés provinciaux du parti ou du FCC. Un policier a même été tué à Mbuji-Mayi selon le gouverneur de la province.
Les raisons de la colère ? La déroute du parti au Sénat, que « la base » de l’UDPS ne comprend pas. Avec notamment en ligne de mire, le cas de Kinshasa, où l’UDPS, avec ses 12 députés provinciaux, n’obtient aucun siège au Sénat. Pour les militants, « c’est la corruption qui a fait le travail », et de dénoncer le « scandaleux monnayage des voix des députés provinciaux » de leur propre parti. Preuve de la corruption pour les « combattants » de l’UDPS : la sonnette d’alarme tirée il y a une semaine par le Procureur général de la République (PGR) qui avait demandé le report de l’élection des sénateurs et des gouverneurs de province pour enquêter sur « des allégations de corruption ».
Piégée, l’UDPS demande « la vérité des urnes »
Les soupçons de corruption sont étayés par plusieurs candidats au Sénat qui ont décidé de retirer leur candidature devant les tentatives d’achats de voix des députés provinciaux qui désignent les sénateurs. Le ministre de l’Enseignement supérieur et des Universités Steve Mbikayi a dénoncé des pots de vin allant de « 20.000 à 30 ou 40.000 dollars », avant de décider de ne pas présenter sa candidature. Face à ces allégations, la Commission électorale (CENI) a pourtant décidé de ne pas suivre les recommandations du procureur général et a maintenu la tenue des élections sénatoriales.
Aujourd’hui de nombreuses voix s’élèvent pour demander au président Tshisekedi de saisir la justice, ce qu’il devrait faire dès lundi, afin de suspendre ces élections. Des militants UDPS sont également très remontés contre le secrétaire général du parti, Jean-Marc Kabund, dont ils exigent « la démission » ainsi que « l’interpellation des députés corrompus ». Une prise de position étonnante pour ces « combattants » de l’UDPS, qui se sont réjouis de la victoire contestée de Félix Tshisekedi, mais qui demandent aujourd’hui « la vérité des urnes » d’une élection que beaucoup estiment frauduleuse. Ironie du sort, ils fustigent maintenant Jean-Marc Kabund, alors qu’il est l’un des artisans de l’accord de partage du pouvoir qui a porté Tshisekedi à la présidence.
Vers un blocage de l’appareil étatique ?
La lune de miel paraît bel et bien terminée entre la base de l’UDPS et son président, mais surtout avec son « partenaire » du FCC. Les militants de l’UDPS semblent se rendre compte, un peu tard, que le pouvoir n’a pas vraiment changé de main et que le piège se referme sur le président Tshisekedi, prisonnier institutionnellement du camp Kabila. La RDC s’achemine visiblement vers un rapport de force permanent entre les deux pouvoirs : présidentiel (détenu par Félix Tshisekedi) et exécutif (détenu par le FCC de Joseph Kabila), avec un réel risque de « cohabitation dure » et de blocage complet de l’appareil étatique. Un blocage qui pourrait, on l’a vu avec les violences du week-end, viré à l’affrontement.
La mainmise du FCC sur les deux assemblées permet à l’ancien président Kabila de maintenir Félix Tshisekedi sous pression. En détenant les 3/5ème du parlement, Joseph Kabila peut à tout moment modifier la Constitution, mais aussi poursuivre l’actuel chef de l’Etat devant la justice. Une modification de la Constitution pourrait notamment permettre au prochain président congolais d’être désigné au suffrage indirect par le parlement. Et avec une imposante majorité dans ces deux chambres, la coalition de Joseph Kabila pourrait de nouveau porter son poulain à la tête de l’Etat congolais… sans passer par des élections directes. Un scénario qui fait dire que la crise politique est encore loin d’être terminée en RDC.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia