Deux chercheurs viennent de dresser un état des lieux des groupes armés à l’Est du Congo. Ils notent à la fois une prolifération inquiétante, mais aussi une fragmentation de ces milices, ainsi qu’un recul de l’ingérence des puissances régionales dans les deux Kivu.
Deux ans après la défaite de la rébellion du M23, fin novembre 2013, on recense encore plus de 70 groupes armés dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Une prolifération constatée par le Groupe d’étude sur le Congo (GEC), un projet de recherche piloté par Jason Stearns et Christoph Vogel. Les deux chercheurs viennent d’établir une nouvelle cartographie des groupes armés au Kivu pleine d’enseignement. La fin du M23 avait fait croire qu’une période de stabilité allait enfin s’ouvrir dans les Kivu, après 20 années de guerre de sans fin depuis la fin du génocide rwandais de 1994. En octobre 2015, les chercheurs notent toutefois que 69 groupes armés sont encore actifs dans l’Est du Congo, dans un contexte humanitaire fortement dégradé : 1,6 millions de personnes sont toujours déplacées dans la zone.
De petits groupes, moins soutenus par les puissances régionales
Première constatation du Groupe d’étude sur le Congo : ces groupes armés, qui étaient seulement une vingtaine en 2008, se sont morcelés. La plupart de ces milices sont de petites tailles : « pas plus de 200 éléments, généralement recrutés sur une base ethnique ». Les chercheurs notent ensuite que l’ingérence des puissances régionales dans l’Est du Congo « est à son plus bas niveau ». « Pour la première fois depuis 1996, le gouvernement rwandais ne dispose pas d’un allié sérieux dans la zone. Quand bien même le Rwanda voudrait à nouveau intervenir, cela ne lui serait guère facile »., analyse le rapport du GEC. Paradoxe : les groupes armés les plus puissants dans la région sont essentiellement étrangers. Sur le sol congolais, on trouve en effet les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), les Forces alliées démocratiques ougandaises (ADF) et les Forces nationales de libération du Burundi (FNL).
FDLR, ADF, FNL..
Le groupe armé le plus puissant reste les FDLR avec un effectif compris entre 1.000 et 2.500 hommes. Une rébellion importante, mais « incapable de lancer des raids majeurs au Rwanda depuis 2001 » selon le GEC. Un autre groupe, beaucoup plus confidentiel, moins de 300 hommes, apparaît comme beaucoup plus dangereux sur le terrain : les ADF ougandais. Si ces rebelles, présents depuis plus de 20 ans en RDC, « ont largement abandonné leurs ambition de renverser le gouvernement ougandais », ils seraient à l’origine de nombreux massacres dans la région de Beni avec un triste bilan : au moins 400 morts depuis fin 2014. Dernier groupe armé organisé à sévir, cette fois au Sud-Kivu : les FNL Nzabampema burundais (environ 150 hommes). La milice serait impliquée « dans le vol de bétail et les raids transfrontaliers à partir de leur base dans la plaine de la Ruzizi ».
Fragmentation des partis politiques et de l’armée
Les causes de cette prolifération des groupes armés sont multiples selon Jason Stearns et Christoph Vogel. Les chercheurs pointent d’abord l’échec des différents programmes de démobilisation du gouvernement congolais qui n’arrive pas à offrir de réels moyens de subsistance aux miliciens. Echec qui conduit le plus souvent à la scission des groupes en plusieurs factions. Deuxième cause : le fractionnement de la scène politique congolaise en de multiples micros partis, suite aux différents accords de paix et aux multiples recompositions de la majorité et de l’opposition. Des partis politiques qui utilisent souvent les groupes armés « un moyen d’intimider leurs rivaux et renforcer leur réputation d’hommes forts ». L’armée régulière s’est elle aussi morcelée au gré des nombreuses intégrations de groupes rebelles dans ses rangs.
Le développement économique des Kivu oublié
Depuis la réélection contestée de Joseph Kabila en novembre 2011, le gouvernement a modifié sa stratégie vis-à-vis des milices analyse le GEC. Kinshasa a « cessé de négocier en masse avec des groupes armés, posant comme principe que les groupes armés ne soient plus récompensés par des positions et des paiements en espèces ». A quelques exceptions près, l’armée régulière a donc fermé la porte à l’intégration des rébellions. Cependant, l’unique solution militaire n’est pas suffisante pour les deux chercheurs. Le volet du développement économique des Kivu a été largement oublié par les autorités congolaises. Et les sanctions contre les militaires impliqués dans le soutien des groupes armés restent encore trop timides.
Des groupes moins dangereux pour Kinshasa
En regardant la cartographie des groupes armés de l’Est du Congo proposée par le GEC, nous arrivons visiblement à la fin d’un cycle pour les milices des Kivu. Moins puissantes mais plus nombreux, les groupes armés apparaissent surtout moins dangereux pour Kinshasa que pour les populations locales qui subissent toujours leurs exactions. Les groupes armés se sont transformés en petites entreprises du crime et du vol… seul moyen de survie dans une zone dévastée par 20 de conflits à répétition. Les troubles se sont aujourd’hui déplacés à Kinshasa où l’insécurité augmente à mesure que le pouvoir en place cherche à imposer coûte que coûte le maintien au pouvoir de Joseph Kabila, ce qu’interdit la Constitution congolaise. Une insécurité politique, avec de violentes manifestations d’opposants, qui pourraient devenir dangereuse pour le camp présidentiel… bien loin des groupes armés de l’Est.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Je suis d’accord avec vous mais vous devez savoir que le gouvernement congolais a aussi encouragé la prolifération des groupes armés en leur donnant de grades lors de la réintégration dans l’armée nationale. C’était lemoyen le plus facile pour eux d’avoir un grade de général sans diplome ni formation appropriée
Félicitation pour le travail travail abattu. Je pense, toutefois, qu’il serait mieux d’intégrer la dimension liée à la crise d’intégration interethnique qui prédisposent les communautés, surtout du Nrd-Kivu, à s’investir dans les mouvements armés pour leur auto-prise en charge, face à une crise grandissante d’Etat, voire à sa faillite .