Manque de consensus politique, crainte de tricherie, guerre à l’Est, inquiétudes sur le financement… L’incertitude plane sur la bonne tenue des élections présidentielle et législatives, théoriquement prévues fin 2023.
Après trois scrutins électoraux chaotiques, les Congolais devraient normalement être appelés aux urnes fin 2023 pour des élections présidentielle et législatives. Le dernier scrutin de 2018 a été particulièrement contesté avec l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, non par le choix des électeurs, mais par la seule volonté du président Joseph Kabila de placer un opposant qu’il pensait malléable dans son fauteuil. Cette élection tronquée a donné lieu à une alternance en trompe l’oeil, qui a débouché sur une étrange alliance contre-nature entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur. Depuis, le chef de l’Etat s’est émancipé de la tutelle kabiliste en débauchant députés et sénateurs pro-Kabila pour faire tomber le parlement et se façonner une nouvelle majorité à sa main. Dans ce contexte politique inédit, le prochain scrutin de 2023 apparaît des plus incertains, tant sur sa transparence et sa crédibilité, que sur sa tenue dans les délais constitutionnels.
Pas de consensus à la Commission électorale
La neutralité des institutions chargées du processus électoral a rapidement été mise en cause par l’opposition. Et en premier lieu, la composition de la Commission électorale (CENI). Son président, Denis Kadima est soupçonné d’être proche du président Tshisekedi. L’Eglise catholique, chargée de désigner le patron de la centrale électorale avec les autres confessions religieuses, affirme avoir subi des pressions pour imposer le candidat Kadima au poste de président. Les mêmes soupçons de collusion avec le pouvoir planent pour les autres membres de la CENI, dont plus de la moitié siégeait à l’Assemblée nationale au moment de leur désignation. L’équilibre entre les trois composantes de la Commission électorale n’a donc pas été pris en compte. « Les membres du Bureau sont aussi membres de la plénière », a récemment dénoncé le Réseau européen pour l’Afrique centrale (EurAc). Le secrétaire exécutif national de la CENI, Mabiku Totokani, est également membre du parti présidentiel UDPS et a travaillé comme conseiller du président Tshisekedi.
Une Cour constitutionnelle remaniée par Tshisekedi
Si la CENI est accusée par l’opposition, Martin Fayulu et FCC pro-Kabila en tête, d’être instrumentalisée par le pouvoir, c’est aussi de le cas de la Cour constitutionnelle. A son arrivée à la présidence, « le président Tshisekedi avait réussi à faire démissionner le président de la Cour constitutionnelle et à le remplacer par un nouveau juge réputé être de son obédience. Dans le même temps, deux autres juges dont les mandats étaient pourtant encore en cours ont été nommés à la Cour de cassation » explique le récent rapport de l’EurAc sur les élections au Congo. Dernièrement, un étonnant tour de passe-passe a permis à Félix Tshisekedi d’écarter le président de la Cour constitutionnelle, dont il contestait certaines décisions, notamment, celle de ne pas juger l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo. L’opposition accuse donc la CENI et la Cour constitutionnelle d’être « caporalisées » par l’actuelle majorité présidentielle et soupçonne le pouvoir d’être en mesure de « fabriquer » les résultats des élections alors que Félix Tshisekedi brigue un second mandat. Ces deux institutions-clés seront au coeur du scrutin : la CENI annonçant les résultats provisoires et la Cour constitutionnelle validant les résultats définitifs et traitant des contentieux.
Des crises électorales freins au développement
Afin d’obtenir des élections transparentes et crédibles, après les fiascos de 2011 et 2018, le parlement avait l’occasion de corriger le tir en votant les propositions du G13 rectifiant la loi électorale. Cette plateforme, composée de membres de l’opposition et de la société civile, avait planché sur une série d’amendements afin de garantir la transparence des futurs scrutins. « Si nous avons un système électoral contestable, nous aurons toujours des autorités contestées, ce qui ne permet pas les conditions de développement de notre pays » analyse Jacques Djoli, député MLC et membre du G13. « Le problème de légitimité du pouvoir est la cause principale des différentes crises politiques au Congo, ce qui fait que depuis 62 ans nous avons des difficultés à décoller ».
Modifications homéopathiques de la loi électorale
Sur l’ensemble des propositions du G13, la plus grande majorité a été rejetée ou réécrite, provoquant le départ des députés d’opposition pendant les débats. Pourtant, quelques propositions ont été retenues, comme la suppression du seuil de représentativité de 1%, remplacé par un seuil de recevabilité, porté à 60% des sièges en compétition. En clair, pour qu’une liste électorale soit recevable, elle doit avoir au moins 300 candidats sur les 500 sièges à l’Assemblée nationale, ce qui évite la multiplication des micros-partis. La proposition sur le genre a également été votée, pour favoriser les listes prévoyant 50% de femmes sur les listes. Autre modification retenue : certains candidats déclarés inéligibles pourront désormais se présenter aux élections, selon la gravité de leur condamnation. Une disposition cousue sur mesure pour Jean-Pierre Bemba, condamné pour subornation de témoin par la Cour pénale internationale, et qui pourra, s’il le souhaite, concourir à la présidentielle de 2023.
L’annonce des résultats toujours opaque
Un point-clé des propositions du G13 a été largement modifié et vidé de sa substance : la publication et la proclamation des résultats bureau de vote par bureau de vote. L’absence de publication des résultats dans chaque bureau avait été l’un des litiges des élections chaotiques de 2018. L’Assemblée n’a pas adopté la proposition dans son ensemble. Il y aura bien publication des résultats par bureau de vote, mais compilée et consolidée en amont par la Commission électorale. Un passage par la case CENI qui inquiète les organisations de la société civile, comme la Lucha, qui dénonce le manque de traçabilité des bulletins de vote et donc de transparence du scrutin. De même, le texte rejette la proposition de remettre les procès-verbaux des opérations de vote à des témoins ou des observateurs. Une disposition qui renforce la possibilité de fraudes et ou de « tripatouillage ». De plus, aucune sanction ne sera prise contre le président de la Commission électorale en cas de refus de la publication des résultats bureau par bureau. L’utilisation des machines à voter, très contestées en 2018, et source de nombreux soupçons de contestation, a été confirmée. Visiblement, les leçons du chaos électoral de 2018 n’ont pas été retenues.
Du « glissement » dans l’air
Respecter les délais constitutionnels sera également l’un des défis cruciaux dans l’organisation des prochaines élections, prévues dans seulement 18 mois. Là encore, le doute plane. Et le cas du recensement des électeurs en est l’illustration parfaite. Depuis 1984, la RDC ne dispose pas des données exactes de l’état-civil… faute de recensement de la population ! Les fichiers électoraux successifs produits au cours des trois précédentes élections contenaient de nombreuses irrégularités. Le gouvernement entend mutualiser cette opération de recensement de la population avec celle de l’enrôlement des électeurs, en vue d’économiser environ 300 millions de dollars. Mais la CENI a déjà prévenu que cette mutualisation risquait d’entraîner un report des élections. Les opérations d’enrôlement devraient démarrer en octobre, soit seulement 14 petits mois avant le scrutin. En 2016, la tenue des élections avait été repoussée, notamment en raison du retard dans l’identification des électeurs. Ce « glissement » du calendrier électoral avait donné lieu à de nombreuses manifestations de l’opposition à Joseph Kabila, réprimées dans le sang. Là encore, les leçons de 2018 sont restées lettre morte. Tout est donc une question de timing. « Nous avons connu des élections fin 2018, explique Jacques Djoli. Mais le processus de réforme électoral n’a commencé qu’en 2021, pour être finalement adopté en 2022. L’enrôlement des électeurs n’a pas encore commencé et aucun calendrier n’a été publié. La maîtrise du temps est importante. Je l’ai vécu en 2011, le temps est un facteur déstructurant de la qualité du processus électoral et de son acceptabilité ».
Des finances incertaines
Autre source d’inquiétude : le financement du scrutin, qui est loin d’être bouclé. Une première réserve de 250 millions de dollars a été constituée par le gouvernement. Une somme « insuffisante » pour l’EurAc au regard du coût global du scrutin. 640 millions de dollars ont été demandés par la CENI au gouvernement pour l’année 2022. « Nous parvenons petit à petit à retrouver notre souveraineté électorale, mais le financement des élections est encore très difficile, s’inquiète le député du MLC. Au G13, nous avions proposé la mise en place d’une dotation électorale spécifique, bloquée chaque année, pour permettre l’organisation paisible des élections. Mais cela n’a pas été fait. Et pour l’instant, la CENI estime que ce qui a été donné par le ministère des Finances est insuffisant. La question du financement est un cercle vicieux dont il faut sortir. C’est une grosse inquiétude ». L’ONU pourrait intervenir pour appuyer le processus électoral, notamment en matière logistique. Et la CENI a déjà entamé des discussions avec les bailleurs internationaux pour obtenir un soutien technique, notamment auprès des Etats-Unis.
Des élections sous état de siège ?
Sur le terrain, un autre facteur pourrait compromettre la bonne tenue des élections dans les délais. Il s’agit de l’insécurité à l’Est du pays, où plus de 120 groupes armés sévissent dans la région et pourraient empêcher les agents électoraux d’organiser le scrutin et électeurs de se rendre aux urnes. La rébellion du M23 a fait son retour en s’emparant de la ville frontière de Bunagana, et les ADF continuent leurs massacres sans fin en Ituri et au Nord-Kivu. Ces deux provinces sont sous état de siège et sont administrées par l’armée depuis plus d’un an. Si les élections se tiennent sous ce régime d’exception, beaucoup se demandent si les résultats annoncés dans ces régions seront crédibles. En 2018 déjà, une partie des électeurs des territoires de Beni et Butembo n’avaient pu se rendre aux urnes. Là encore, si la situation sécuritaire venait à se dégrader davantage, l’organisation des élections générales, prévues fin 2023, pourrait être reportée.
Les bonnes intentions de Kadima
Des institutions contestées, des risques sur la crédibilité du scrutin, des contraintes budgétaires, logistiques et sécuritaires fortes… Les raisons ne manquent pas pour craindre la fraude électorale ou faire glisser le calendrier. Le président de la CENI avait tiré la sonnette d’alarme dès le mois de février sur le manque de financement et les risques de retard avec le couplage du recensement de la population avec l’enrôlement des électeurs. Mais la semaine dernière, la CENI est montée au créneau pour tenter de rassurer. A l’université de Kinshasa, Denis Kadima a promis de publier le calendrier électoral « plus d’une année avant les élections ». Concernant l’enrôlement des électeurs, le patron de la centrale électorale a également annoncé que le processus serait décorrélé du recensement de la population, afin de privilégier l’organisation des élections. Sur la crédibilité du scrutin, Denis Kadima s’est voulu clair : « Nous sommes de bonne foi. Je ne cesse de le dire, avec notre équipe, c’est celui qui aura gagné qui sera proclamé vainqueur ».
Un « glissement » faute de bilan
Ces déclarations de bonnes intentions seront-elles suffisantes à tranquilliser les Congolais ? La petite musique d’un possible glissement est pourtant en train de s’installer durablement dans l’opinion congolaise. Beaucoup pensent qu’en cas de situation politique ou sécuritaire trop délicate pour le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi n’hésitera pas à utiliser le report du scrutin pour se maintenir au pouvoir et attendre des jours meilleurs pour solliciter le suffrage des Congolais. Le président aimerait pouvoir se présenter aux élections avec un bilan plus reluisant. Et pour l’heure, le compte n’y est pas. Les conditions de vie de la population ne se sont pas améliorées et la guerre à l’Est plombe l’action du gouvernement, sans compter les nombreuses affaires de corruption.
Un débat à l’Assemblée en septembre
Pourtant, selon Jacques Djoli, la bonne tenue des élections fin 2023 se trouve bien entre les mains du président Tshisekedi et de son exécutif. « La volonté politique est la locomotive de tout processus électoral. Chaque fois que nous glissons, cela ne fait que retarder l’avènement d’un Etat de droit démocratique au Congo. Nous avons eu un cycle électoral d’apprentissage en 2006, un cycle d’appropriation en 2011, une alternance (certes sans alternative) en 2018, maintenant nous devons aller vers la consolidation. Mais actuellement, on navigue à vue avec les problèmes sécuritaire à l’Est et les limites politiques de cette alternance ». En septembre, les députés devraient remettre le processus électoral en débat à l’Assemblée. « A la session parlementaire de mars, nous n’avions pas pu discuter du rapport annuel de la CENI 2021-2022, souligne Jacques Djoli. A la rentrée, ce sera une question prioritaire pour nous, avant d’entamer la session budgétaire qui doit justement permettre à la CENI d’avoir les moyens nécessaires pour organiser les élections ». Le feuilleton électoral ne fait donc que commencer à Kinshasa.
Christophe Rigaud – Afrikarabia