Alors que la tension monte entre le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, le président congolais Félix Tshisekedi envisage de faire appelle à ces pays pour lutter contre les groupes armés au Congo. Une initiative “qui pourrait déstabiliser davantage la RDC et provoquer une véritable crise dans la région” selon l’International Crisis Group (ICG).
Rien ne va plus dans la région des Grands Lacs. Le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi sont à couteaux tirés depuis plusieurs mois. Les trois frères ennemis s’accusent mutuellement de soutenir des groupes armés hostiles à leur régime. Le 14 novembre 2019, le président rwandais s’en est pris à ses deux voisins qu’il soupçonne de “mettre en péril la sécurité” de son pays. Paul Kagame s’est même dit prêt “à riposter si nécessaire”. Le 4 octobre 2019, des rebelles basés en République démocratique du Congo (RDC) ont tué 14 civils à Kinigi, un haut lieu du tourisme rwandais, notamment pour l’observation des gorilles. Une attaque que les autorités rwandaises ont attribué aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui sévissent depuis le Nord-Kivu congolais.
Ingérences mutuelles
Dans la ligne de mire de Kigali, il y a également les rebelles du Congrès national rwandais (RNC), installés au Sud-Kivu, toujours en RDC, et alliés aux FDLR. Le Rwanda soupçonne l’Ouganda et le Burundi de “parrainer” ces deux rébellions, qui menacent désormais le pays des milles collines au Nord et au Sud. Kigali n’est pas la seule à accuser ses voisins d’ingérence. Bujumbura dénonce un possible soutien rwandais aux rebelles burundais RED-Tara, basés au Sud-Kivu, ce que démentent les autorités rwandaises.
Plus au Nord, les tensions entre le président ougandais Yoweri Museveni et Paul Kagame se sont accrues ces deux dernières années. Une concurrence entre le Rwanda et l’Ouganda “qui s’est traditionnellement jouée surtout en RDC, où les deux pays ont cherché à gagner de l’influence et à quadriller le terrain” estime le think tank International Crisis Group (ICG) dans un récent rapport sur le risque des guerres dans la région des Grands Lacs. On se souvient que pendant la seconde guerre congolaise, entre 1998 et 2003, les deux pays ont soutenu des rébellions concurrentes dans l’Est de la RDC. Depuis, la pression est guère retombée entre Kigali et Kampala.
En février 2019, “le Rwanda a fermé un passage frontalier important pour le commerce, sur fond d’accusations mutuelles d’espionnage. En mai et novembre, les forces de sécurité rwandaises ont tué un petit nombre d’Ougandais et de Rwandais accusés de contre-bande, suscitant la colère des responsables ougandais qui estiment que ces fusillades étaient des actes hostiles entre nations. L’Ouganda a procédé à des arrestations de ressortissants rwandais pour les placer en détention” explique ICG, qui s’inquiète de “la méfiance croissante entre les voisins de la RDC qui comporte de graves risques pour le pays”. Car au milieu de ces coups de chaud entre voisins des Grands Lacs, la République démocratique du Congo apparaît comme un champ de bataille idéal pour ces guerres par procuration.
Un risque de guerres par procuration
L’Est de la RDC reste un terrain instable depuis la fin du génocide rwandais de 1994. Après deux guerres congolaises, des millions de morts, et des rébellions instrumentalisées par le Rwanda et l’Ouganda, les Kivu se trouvent toujours, en 2020, le terrain de jeu d’une centaine de groupes armés. Dans la région de Beni, l’armée congolaise et les casques bleus de la Monusco peinent à venir à bout des rebelles ougandais des ADF, une rébellion “congolisée”, que l’on soupçonne d’être à l’origine de centaines d’attaques armés depuis 2014. Avec l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi fin 2018, le nouveau président a cherché à apaiser les tensions avec ses tumultueux voisins. Grâce à la médiation du président angolais Lourenço, la RDC a commencé à arrondir les angles avec le Rwanda et l’Ouganda. Dans un même temps, Félix Tshisekedi tente d’impliquer ses voisins dans la lutte contre les groupes armés au Congo. Le deal est simple : le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi sont autorisés à pourchasser les groupes armés hostiles à leur régime, et la RDC en profite pour se débarrasser de ses rébellions qu’elle n’arrive pas à juguler.
Le projet du président Tshisekedi d’inviter les armées rwandaises, ougandaises et burundaises sur le sol congolais provoque des interrogations, et des inquiétudes. Pour International Crisis Group, “cette politique risque d’attiser des conflits entre factions interposées en RDC”. “Compte tenu de leur animosité croissante, ces trois pays, s’ils sont invités en RDC, pourraient intensifier leur soutien à des milices alliées tout en ciblant des ennemis, pointe le think tank. Et de prévenir que ce nouveau conflit par procuration pourrait déstabiliser davantage la RDC, et même provoquer une véritable crise de sécurité dans la région”.
Au lieu de jouer avec les allumettes et d’impliquer militairement ses voisins sur son territoire, International Crisis Group conseille au président Tshisekedi “d’inviter l’envoyé spécial de l’ONU pour les Grands Lacs à superviser des pourparlers tripartites (…) et à encourager les représentants burundais, rwandais et ougandais à partager des preuves du soutien de leurs rivaux aux insurgés en RDC, en vue de la rédaction d’une feuille de route prévoyant le retrait de ces soutiens”. Le think tank en appelle également aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et à la France “pour encourager une désescalade.” Une implication internationale qui reste pour l’instant un voeu pieux.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia