Dans son dernier rapport, International Crisis Group (ICG) revient sur les raisons de l’impossible retour de la paix dans les Kivus, en proie à une nouvelle flambée de violence depuis avril 2012. ICG dénonce la responsabilité des autorités congolaises, rwandaises, des rebelles, mais aussi « l’impuissance » et « la politique à géométrie variable » de la Monusco. Pour « résoudre le conflit » et sortir de la simple « gestion de crise », le think tank demande aux bailleurs « d’exercer des pressions sur Kigali et Kinshasa ».
Dans maintenant plus de 5 mois, la rébellion du M23, affronte les forces gouvernementales dans le Nord-Kivu, à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Les rebelles tiennent la ville frontière de Bunagana, administrent plusieurs localités dont celle de Rutshuru, et menacent de prendre Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu. Véritable « copier-coller » de la rébellion du CNDP de 2008, l’apparition du M23 signe un nouveau constat d’échec des multiples programmes de « stabilisation » pour ramener la paix dans la région.
Dans son rapport, « l’Est du Congo : pourquoi la stabilisation a échoué », International Crisis Group (ICG) explique pourquoi « les problèmes d’aujourd’hui sont les problèmes d’hier ». Le think tank rappelle que « l’application de l’accord du 23 mars 2009 entre le gouvernement et le Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) a été un jeu de dupes au cours duquel les autorités congolaises ont fait semblant d’intégrer politiquement le CNDP, tandis que celui-ci a fait semblant d’intégrer l’armée congolaise ». Pour ICG, la nouvelle crise des Kivus, « met en lumière les paramètres du problème de cette région : la mauvaise gouvernance de Kinshasa, l’ingérence du voisin rwandais et l’inefficacité des outils internationaux de réponse à la crise (Monusco et CIRGL).
Les « faux semblants » de l’application des accords du 23 mars
Après la crise de 2008, le conflit qui opposait le CNDP de Laurent Nkunda au gouvernement congolais, s’était réglé par un accord de paix signé à Goma le 23 mars 2009. Les principes de l’accord reposaient sur l’intégration des rebelles du CNDP au sein de l’armée congolaise (FARDC) et la transformation de la rébellion en formation politique. Sur ces aspects de l’accord, ICG note que « le gouvernement et le CNDP l’ont tous deux instrumentalisé et ont rivalisé de mauvaise foi ». Sur l’intégration politique du CNDP, ICG estime que « Kinshasa a gardé la main », le mouvement ayant été cantonné au « niveau provinciale » Sur l’intégration militaire, c’est par contre le CNDP qui aurait « gardé la main ». L’intégration aurait « achoppé sur 3 éléments : la reconnaissance des grades, l’attribution des postes et le lieu de déploiement ». International Crisis Group révèle que l’ex-rebelle Bosco Ntaganda, nommé commandant de l’opération « Amani Leo » en a profité pour « imposer ses fidèles aux postes de commandement et étendre son influence » du Sud au Nord-Kivu. Le rapport estime qu’alors, « ce n’est pas l’armée congolaise qui a absorbé les combattants du CNDP mais le CNDP qui a absorbé l’armée congolaise ». Selon ICG, « le CNDP est parvenu à conserver la haute main sur une bonne partie de l’appareil militaire dans les Kivus, ce qui n’a cessé de générer un fort ressentiment
dans les rangs des FARDC ».
Une armée « prédatrice »
Le rapport dénonce ensuite les mauvaises pratiques au sein de l’armée congolaise : « compte-tenu du manque de discipline et du double système de commandement, (…) les FARDC ont surtout étendu leurs activités de prédation » (la région est riche en minerais de toutes sortes). Les différents plans de reconstruction de l’armée congolaise (STAREC et ISSSS) n’ont visiblement pas donné les résultats escomptés, ICG parle de « non-réforme » de l’armée.
L’échec de la Monusco
Crisis Group insiste particulièrement sur « l’impuissance » des casques bleus en RDC. Comme en 2008, la Monusco « apparait incapable d’empêcher l’émergence d’une nouvelle rébellion ». ICG note que les casques bleus disposent « en permanence de 6 bataillons à Goma ». Pourtant plus nombreuse que le M23, « la Monusco ne parvient toujours pas à appliquer l’élément essentiel de son mandat : la protection des populations ». Le centre de recherche dénonce « une politique à géométrie variable » concernant Bosco Ntaganda et pointe les incohérences de sa stratégie. La Monusco refusait d’arrêter Bosco Ntanganda alors qu’il se promenait librement dans Goma, mais se dit maintenant prête « à contribuer à son arrestation après le revirement des autorités congolaises ». Pour ICG, « l’inaction de la Monusco » s’explique par « le refus de recourir à l’usage de la force contre les groupes armés, conformément au chapitre VII de la Charte des Nations unies ». Résultat : des massacres sont commis sous les yeux des casques bleus, comme à Mijembe, à Wilikale ou à Pinga.
La « fausse solution » d’une force neutre
Concernant la « force neutre » décidée par la CIRGL, International Crisis Group n’est guère enthousiaste. Cette force, dont on ne connait ni le contours ni le financement devrait surveiller la frontière avec le Rwanda, accusé par les experts de l’ONU de soutenir les rebelles du M23. La Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs (CIRGL) s’est réunie plusieurs fois… sans grand succès. Pour ICG, la « force neutre » est une « fausse solution » : comment 4 000 hommes supplémentaires feraient « ce que n’ont pas fait 18 000 Casques bleus et 30 000 soldats congolais ».
Pour résoudre le conflit, « au lieu de le geler pour deux ans », International Crisis Group demande la poursuite des « auteurs de crimes de guerre, d’appliquer les réformes de gouvernance définies depuis longtemps, d’ouvrir l’espace politique aux acteurs légitimes et de sanctionner les ingérences étrangères ». Pour cela « les bailleurs doivent exercer des pressions sur Kigali et Kinshasa », ce qui n’est pas encore le cas… ou pas assez.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia