Deux semaines après la publication des résultats provisoires des élections législatives en République démocratique du Congo (RDC), International Crisis Group (ICG) dresse une carte des irrégularités du scrutin et dénonce un « processus caractérisé par de multiples violations du code électoral« . L’ONG relève de nombreuses « anomalies » dans ces résultats.
Depuis la publication des résultats des législatives le 2 février, les recours se multiplient devant la Cour suprême de justice de Kinshasa. 340 sièges sont contestés dans 168 des 169 provinces. Dans un rapport, International Crisis Group (ICG) revient sur les « enseignements » des élections présidentielle et législatives en République démocratique du Congo (RDC). L’ONG dénonce les « multiples violations du code électoral, la perte de plusieurs millions de voix et les opérations de comptage opaques pour rendre toute vérification impossible… « .
Plusieurs missions d’observations internationales ont déjà pointé les nombreuses irrégularités du processus électoral et les soupçons de fraudes massives qui ont pesé sur le dépouillement. Pour le Centre Carter, l’Union européenne ou l’Eglise catholique, les élections congolaises ont souffert d’un manque cruel de transparence et de crédibilité. Mais l’attention s’est particulièrement focalisée sur l’élection présidentielle, délaissant par la même occasion les législatives, qui avaient pour lieu le même jour. Les missions internationales ont en effet quitté la RDC, juste après l’annonce de la réélection de Joseph Kabila par la Commission électorale (CENI). Le groupe d’experts internationaux (NDI et IFES) dépêché sur les lieux pour superviser et crédibiliser les résultats de la CENI sur les législatives a très vite jeté l’éponge faute de pouvoir contrôler quoi que ce soit.
International Crisis Group revient donc sur les législatives, un scrutin un peu délaissé par les observateurs internationaux, dans un rapport et note de nombreuses « anomalies » dans les résultats publiés par la CENI. Une carte des irrégularités est par ailleurs consultable sur son site internet.
ICG relève notamment des écarts de voix importants dans certaines circonscriptions entre le nombre de votants pour la présidentielle et les législatives, qui avaient pour lieu le même jour. Des écarts de voix qui ont principalement bénéficié aux candidats PPRD ou proche de la Majorité présidentielle :
– c’est le cas de Jaynet Kabila, la soeur du président, dans la circonscription de Kalemie au Katanga, élue avec 34 958 voix. Le jour du vote, 3254 de plus ont été comptabilisées sur les législatives par rapport à la présidentielle. Plus de 3000 personnes se sont donc déplacées uniquement pour voter élire son député sans voter pour la présidentielle. Un chiffre « étonnant » pour Thierry Vircoulon d’International Crisis Group.
– même cas dans la circonscription de Pweto (fief de feu Katumba Mwanke) avec un différentiel de 6579 voix entre la présidentielle et les législatives,
– ou au Kasaï-Oriental, la circonscription de Lambert Mende, avec un différentiel de 4411 voix.
Autres phénomène surprenant pour l’International Crisis Group : la cartographie des irrégularités, le jour du scrutin. Selon la carte publiée sur son site, la majorité des incidents et des dysfonctionnements se sont produits dans les régions connues pour être plutôt favorables à l’opposition : Kasaï, Bas-Congo, Equateur ou Kinshasa…
Les autres résultats inattendus concernent les « poussées » très importantes du PPRD (le parti du président Joseph Kabila) et de ses alliés dans les provinces de l’Ouest du pays réputées pourtant hostiles au pouvoir en place. L’étrange progression du PPRD est particulièrement sensible dans la province de l’Equateur, où le parti présidentiel passerait de 3 à 11 députés ou au Bandundu, où il passerait de 4 à 10 députés entre 2006 et 2011. Là encore, l’International Crisis Group s’interroge.
Afin de « tirer tous les enseignements » de ce scrutin, pour le moins chaotique, Crisis Group se pose plusieurs questions :
– afin de comprendre pourquoi la cartographie des bureaux de vote et le fichier électoral qui ont coûté plusieurs millions de dollars étaient à ce point lacunaires et inexacts et comment plusieurs millions de voix ont-elles pu être perdues et pourquoi la CENI a accepté l’expertise du NDI et d’IFES avant de se rétracter ?
– afin de comprendre selon quelle procédure et avec quelles garanties d’indépendance des magistrats supplémentaires de la Cour suprême de justice ont été nommés en pleine campagne électorale ?
– afin de comprendre pourquoi les experts électoraux du PNUD n’ont pas alerté sur les problèmes de préparation des scrutins et la nécessité de décaler le vote d’une semaine ou deux, dans quelle mesure ils ont participé à la commission de consolidation des résultats, dans quelle mesure la MONUSCO s’est assurée de l’intégrité des caisses de bulletins qu’elle transportait, dans quelle mesure la mission de bons offices de la MONUSCO a été menée à bien et pourquoi des groupes armés annoncés comme défaits en 2011 font-ils de nouveau parler d’eux en 2012 ?
– afin de savoir pourquoi les missions d’observation de la SADC, de l’UA, de la CEEAC, de la CIRGL, la COMESA se sont contentées d’une observation de court, voire de très court terme ?
– afin de comprendre quel raisonnement a conduits les bailleurs à investir plus de 100 millions de dollars dans un processus électoral biaisé dès le départ, pourquoi la contribution de l’Union européenne a été prélevée sur le budget consacré aux infrastructures indispensables à la RDC, dans quelle mesure l’UE va payer sa dernière contribution pour des élections qualifiées de non crédibles par sa mission d’observation et dans quelle mesure les bailleurs sont prêts à financer le scrutin provincial dans un contexte de domination du parti au pouvoir et avec une CENI décrédibilisée ?
– afin de comprendre si l’UDPS va mener la politique de la chaise vide ou s’il est capable d’utiliser le forum parlementaire et d’être le moteur d’une alliance de l’opposition ?
En posant cette série de questions, l’International Crisis Group vient tout simplement de lister les différents dysfonctionnements qui ont conduit la République démocratique du Congo dans un fiasco électoral. Il serait grand temps que les responsables congolais prennent la mesure de leurs erreurs et que la communauté internationale trouve le courage de faire respecter les engagements pris par les autorités congolaises pour rendre transparent leur processus électoral. Dans quelques mois, des élections provinciales doivent être organisées et 7 circonscriptions doivent à nouveau voter après annulation pour les législatives. Ces scrutins se doivent d’être enfin digne, la RDC n’est plus en mesure d’accepter un nouveau simulacre d’élection.
Christophe RIGAUD
Photo : Centre de compilation des élections au Katanga (déc 2011)