Le nouveau président Félix Tshisekedi se retrouve dans une situation de cohabitation très défavorable qui perpétue la mainmise de Joseph Kabila sur tous les pouvoirs. Une cohabitation qui pourrait faire des déçus alors que « les Congolais attendent un changement de régime », analyse Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Joseph Kabila a bien quitté le fauteuil présidentiel en janvier 2019, mais a-t-il vraiment laissé le pouvoir au nouveau président Félix Tshisekedi ? Pour de nombreux analystes, la réponse est non. La victoire contestée de Félix Tshisekedi serait le fruit d’un accord de partage du pouvoir, passé avant l’annonce des résultats avec Joseph Kabila, que la Constitution empêchait de se représenter. Résultat : la présidence est bien passée aux mains du patron de l’UDPS, mais l’Assemblée nationale, le Sénat, les Assemblées provinciales, l’armée et les principaux leviers économiques restent contrôlés par l’ancien président Joseph Kabila. Pour le chercheur Thierry Vircoulon (Ifri), cette cohabitation inédite débute par des négociations en coulisses dans un contexte de rapport de force largement déséquilibré, en faveur du FCC de Joseph Kabila.
Qui détient le pouvoir ?
Dans une note intitulée « République démocratique du Congo : la cohabitation insolite », Thierry Vircoulon dresse un bilan contrasté dans premiers pas au pouvoir de Félix Tshisekedi. « Le climat politico-sécuritaire est à la détente » constate d’abord le chercheur : « Libération de prisonniers politiques, comportement moins abusif des forces de sécurité, liberté d’expression et de réunion, mise à l’écart du chef de l’ANR (service de renseignements congolais – ndlr), sanctions pour corruption contre des membres du régime précédent… », mais aussi une diplomatie plus ouverte que son prédécesseur.
Une fois ces signaux positifs posés, on peut se demander « qui détient vraiment le pouvoir en RDC ? » Les interlocuteurs interrogés à Kinshasa par Thierry Vircoulon sont clairs : « le clan Kabila ». « Cette vision n’est pas seulement celle de Martin Fayulu et de l’Église catholique » précise-t-il, c’est aussi celle de « la grande majorité des Kinois ». Sur le plan économique, la reconduite d’Albert Yuma, un proche de Joseph Kabila à la tête de la très puissante Gécamines, démontre que Félix Tshisekedi a dû faire des concessions au FCC. Idem dans les services de renseignements, où le simple jeu de « chaises musicales » entre le numéro un et numéro deux de l’ANR démontre que Félix Tshisekedi « n’a pas remanié en profondeur » l’agence.
Sénat, gouvernorats : deux défaites pour Tshisekedi
Face à la très puissante coalition FCC, « Félix Tshisekedi a également dû battre en retraite sur deux points : la méthode de formation du gouvernement et l’élection des sénateurs » analyse la note de l’Ifri. « Contrairement à ce qu’il avait annoncé, il n’y a pas eu de nomination d’un « informateur »pour former le gouvernement. » comme le prévoit l’article 78 de la Constitution. « Le FCC a fait valoir qu’il constitue la majorité parlementaire avec 330 députés et qu’en conséquence le poste de Premier ministre lui revient de droit. » Selon Thierry Vircoulon, « Les deux élections indirectes (les sénatoriales et l’élection des gouverneurs) qui font suite aux élections directes marquent la première véritable défaite de Tshisekedi. A la suite de la révélation de l’achat des votes pour les sénatoriales et face au mécontentement des militants de l’UDPS, Félix Tshisekedi a bloqué l’installation des sénateurs, reporté l’élection des gouverneurs et lancé une enquête pour corruption. » Finalement, le président « n’est pas parvenu à bloquer l’élection corrompue des sénateurs » et « a dû se résoudre à autoriser leur installation, officiellement pour respecter les délais constitutionnels ».
L’élection des gouverneurs signe une nouvelle défaite pour Félix Tshisekedi. « Les gouvernorats stratégiques de la capitale, Kinshasa, et du Kongo Central reviennent au FCC alors que l’élection directe de leurs assemblées provinciales avait été remportée par l’opposition », s’étonne le chercheur. « Dans ces deux provinces, les élections indirectes consacrent l’inversion complète des élections directes : ceux que les électeurs ont mis au pouvoir ont, sans changer de parti, voté en faveur du FCC. »
Les très fortes attentes des Congolais
Le nouveau pouvoir paraît donc bien impuissant face aux multiples attentes de la société congolaise. Avec un PIB de 487 dollars, une crise alimentaire qui se place juste dernière celle du Yémen, 87% de Congolais vivant en dessous du seuil de pauvreté, 5 millions de déplacés, le choléra, le virus Ebola… les défis à relever par le président Tshisekedi sont énormes. « Les revendications socio-économiques s’expriment déjà à Kinshasa » pointe Thierry Vircoulon, avec des grèves à répétition dans les entreprises publiques. Des attentes qui peuvent vite se transformer en frustration si les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Quelle issue peut-on espérer à cette cohabitation inédite au Congo ? Thierry Vircoulon balaie les différents scénarios possibles, tout en prévenant qu’à Kinshasa « peu de gens croient à une cohabitation fonctionnelle et encore plus rares sont ceux qui croient à une cohabitation fonctionnelle et durable ». Le chercheur explique ensuite que « L’asymétrie du rapport de force joue en défaveur du président et risque de l’empêcher d’incarner la volonté de rupture de la population avec le régime précédent. De ce fait, rares sont les interlocuteurs qui parient sur l’accomplissement normal du mandat du nouveau président. »
Cohabitation pacifique ou belliqueuse ?
Cinq scénarios d’évolution de cette cohabitation inédite sont envisagés : « Une cohabitation-captation. Tenu par ses engagements secrets avec Joseph Kabila, le président Tshisekedi est progressivement étouffé par le clan Kabila, n’a aucune marge de manœuvre et est réduit à un « roi sans royaume » à l’instar du Parti lumumbiste unifié (PALU) qui avait occupé le poste de Premier ministre de 2007 à 2012 sans que l’on s’en souvienne ». « Une cohabitation pacifique, où chacun se contente de son espace de pouvoir et respecte les engagements pris envers l’autre camp. Les deux camps trouvent un équilibre politique et la cohabitation se déroule sans accroc majeur jusqu’à la prochaine élection. »
« Une cohabitation guerre-de-tranchée. Chacun essaie de rogner progressivement l’espace de pouvoir de l’autre camp et tente de bloquer ses initiatives. La cohabitation devient une négociation permanente et une longue série de batailles juridico-constitutionnelles sur les limites du pouvoir présidentiel et législatif. Ces luttes inter-institutionnelles et bloquent les réformes. » « Une cohabitation belliqueuse : chacun essaie de déstabiliser l’autre grâce à des manœuvres politiciennes et des coups tordus (motions de défiance de l’assemblée nationale contre le président, dissolution de l’assemblée nationale par le président, instrumentalisation politique des groupes armés et des mouvements de mécontentement à Kinshasa…).»
Enfin, dernier scénario évoqué par Thierry Vircoulon, « Un coup de force orchestré par le clan Kabila qui peut prendre des formes multiples (accident, empoisonnement, putsch, etc…) vient mettre un terme au mandat du président Tshisekedi et replonge la RDC dans l’instabilité politique. » De ces cinq scénarios, retenons que le bloquage institutionnel est sans doute l’élément le plus certain. Reste à savoir comment réagira la population et si elle se retournera contre Félix Tshisekedi ?
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Le pessimisme de Monsieur Vircoulon nous déçoit nous les amis de la R D C qui semble en bonne voie de réorganisation de toutes ses administrations
Pessimisme ou réalisme et objectivité ?
Vous dites, Mr Debaille, que le « Congo semble en bonne voie réorganisation de toutes ses administrations », tant mieux parce que Vircoulon n’écarte pas vraiment ce scénario, il en voit juste d’autres en tant qu’analyste..
Sinon attention quand même, l’optimisme béat peut être aussi peu porteur que le pessimisme que vous lui reprochez…
Bonjour , Monsieur Vircoulon met en exergue ce que chaque think thank observe concrètement. C est une observation moins passionnée que celle que ferait un congolais qui est jugé et parti dont le sort impacte directement. L unite de l opposition a toujours été un enjeu et pour preuve regardez le cycle des élections et l echec du rassemblement. La faciliteront à joui la kabilie pour débaucher les gens. Ne getthoisez pas la RDC en ce qui concerne la situation de coalition qu on distingue difficilement avec la coalition. Ces phénomènes politiques existent partout…Kiev….etc. Sauf que la particularité de la RDC résulte à souffrir de son crime geneticogeologique si je puis dire: La course a la richesse de son sous-sol. Ses courtisans viennent de partout et la réalité politique est juste une question technique pour ces faiseurs de roi. Aucun acteur politique africain qu il soit de l opposition ou non aurait la capacité d etre indépendant et diriger le pays sans un diktat étranger alimenté par les guerres de business que les grands se font sur le dos des pays en l occurence la RDC. Huawei….ça vous dit quelque chose et d autres dossiers? Lorsque on enscence les réalisations de Kagame à qui on prête main forte et qu on ferme les yeux sur les massacres…viols et pauvreté qui engendre des maux interminables comme l insecurite ..donc la non sécurisation des fioles d Ebola..choléra et le risque de contamination qui se transformerait en Pandemie…..peut on trouver votre analyse profonde? Dans un certain angle en terme de suggestion de potentiels scénarios oui mais le reste…..donnez nous en plus. Le Congo doit trouver une vitesse de croisière avec cette maudite Kabilie dont les amis d hier doivent apprendre à s en départir via des mécanismes de sanctions pour crimes et autres choses graves comme Panama papiers entourant la Kabilie d hier et son entourage. Le FCC a des allures de purgatoire qu il faut fermer. Bon article..alarmiste inutilement pour un pays dont l espoir est devenu le seul tuteur de résilience. Bien a vous. Mme Fabiola Nadine Ngoy Ngongo
C’est bien beau de faire une analyse comme ça non objective de la situation mais la politique reste toute autre chose plein des mistères et des stratégies. Ceux qui, comme Vircoulon veulent voir Kabila et son FCC disparaître instantanément sont juste des partisans du candidat malheureux et des pessimistes qui, profite de la situation pour critiquer et donner l’impression qu’ils peuvent faire mieux or la réalité est tel que, comme c’est ne pas l’opposition qui avait organisé les élections, n’importe quel candidat de l’opposition qui allait remporté les élections se retrouverais dans la même situation. Supposons que une fois au pouvoir Félix commençait la chasse aux à la Kabilie, n’est-ce pas que ces gens qui ont d’abord pillés le pays et qui ont amassés des millions des dollars et qui ont encore l’expérience de créer des rébellions ont toute les possibilités d’aller en brousse et de créér une rébellion pour déstabiliser le pays? Voilà ce que Félix ne veut jamais. Car là, on va se retrouver toujours dans un cycle de violence et des guerres interminable. comment allez-t-il realiser le rêve de son père : le peuple d’abord? ou comment développer le Congo dans des tels conditions? Félix lui même l’à expliquer autant des Fois. Mais, le Vircoulon ne comprennent jamais ils sont là toujours pour critiquer et faire des analyses partisannes. Félix veut aller doucement doucement avec la Kabilie. Laissez-Le faire sa politique et observer. Nous n’avons pas besoin de votre pessimisme. Il est encore très tôt pour le juger.
@Delta Computer
Il est certes « encore très tôt de porter un jugement qui risque de paraitre définitif sur les six mois de Tshisekedi au pouvoir mais il est temps, mon cher Mr, de cesser de prendre tous les Congolais pour des vulgaires fanatiques tantôt pour un camp tantôt pour celui d’en face qui n’auraient aucune capacité d’analyse objective et réaliste de l’état de leur pays;
Autant que le fait ici le chercheur étranger, un patriote Congolais avisé est aussi capable de juger sereinement l’action politique de celui-ci ou de celui-là sans que vous le décrétez affidé d’un Gourou au pouvoir ou dans l’opposition. C’est là une pitoyable division de la population qui non seulement ne rend pas compte fidèlement de ses opinions et de ses capacités mais aussi dangereuse à brouiller le regard sur le pays parce que trop simpliste, caricatural.
En l’occurrence ici Vircoulon fait son travail en professionnel d’analyste politique et d’investigateur des situations de conflit ou de post-conflit comme celle que connait notre pays, je ne vois pas pourquoi on devrait le soupçonner à l’avance de prendre parti parce qu’il est un étranger qui juge sévèrement l’action politique du pays. S’il la trouve risquée c’est bien son droit et son intérêt à le dire en tant que chercheur. Vous semblez lui reprocher d’avoir imaginé des scenarii d’une cohabitation à haut risque comme si cela était une invention ex nihilo de sa part ou comme si tout celui qui serait critique envers la gestion de notre pays ne pouvait mériter que vos reproches, ne vous interdisez-vous pas plutôt d’affronter ainsi les yeux ouverts la dure réalité du pays ? A qui profitera à terme telle attitude ? Sûrement pas à vous en tant que Congolais mais au chercheur étranger qui a fait son job…
Ailleurs prendre comme un fait accompli auquel on aurait aucun recours ce qui est devant nous comme accepter impuissant que celui qui organise les élections doit le faire à son profit, c’est se demander si vous voulez un Congo meilleur demain ou si pour vous le « changement », le « déboulonnage du système dictatorial » qu’entend imprimer le nouveau PR au pays ne serait pas vain. Incroyable !