Une bande-dessinée retrace l’histoire de la lutte pacifique pour le changement en République démocratique du Congo (RDC) à travers le mouvement citoyen La Lucha.
Au printemps 2012, un OVNI débarque dans la société congolaise. Un groupe d’étudiants de Goma fait parler de lui en se mobilisant pour réclamer l’accès à l’eau potable dans la capitale provinciale de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), pourtant située sur les bords du lac Kivu. La campagne « Goma veut de l’eau » marquera les esprits et lancera quelques mois plus tard, le mouvement citoyen Lucha (Lutte pour le Changement), conduit par de jeunes militants pacifistes.
Dans la bande dessinée, « Lucha, chronique d’une révolution sans armes au Congo », la journaliste Justine Brabant et la dessinatrice Annick Kamgang reviennent sur les cinq premières années de lutte des militants de La Lucha. De la dénonciation des massacres dans la région de Beni, à la campagne « Bye bye Kabila » contre un troisième mandat du président congolais, ce récit nous amène à la rencontre de Rebecca Kabugho, Micheline Mwendiké, Judith Maroy, Luc Nkulula, Fred Bauma, et Juvin Kombi, les membres fondateurs du groupe.
L’arrivée du mouvement citoyen dans le débat publique congolais ne passe pas inaperçu. Leur lutte contre la violence des groupes armés, l’impunité, la corruption et le clientélisme recueille le soutien de nombreux Congolais. Il faut dire qu’au même moment, d’autres mouvements pro-démocratie émergent un peu partout en Afrique : « Balai citoyen » au Burkina Faso, « Y’en a marre » au Sénégal. La chute de Blaise Campaoré à Ouagadougou en 2014 crispe le régime de Kinshasa, et la crise pré-électorale qui couve au Congo est l’occasion d’une forte répression contre les mouvements contestataires, dont la Lucha.
Didactique et chronologique, cette bande-dessinée a le mérite de raconter de l’intérieur les difficultés et le courage de ces jeunes militants pour faire passer leur message malgré les arrestations, les coups et les pressions des autorités congolaises. Les dessins en noir et blanc d’Annick Kamgang jettent une lumière crue sur les conditions de détention des militants de la Lucha, maintes fois emprisonnés. On y voit les séances de maltraitance dans les cachots de l’ANR, les services de renseignements qui font office de police politique.
L’ouvrage aborde également les délicates relations avec les partis politiques d’opposition… entre récupération et désillusions. En 2015, fort de son retentissement dans la jeunesse, la Lucha est invité à participer à une rencontre d’opposants sur l’île de Gorée au Sénégal. « Nous avions un objectif commun, raconte un militant, mais dès qu’ils ont pu aller négocier des postes avec le gouvernement, ils nous ont lâchés. Aujourd’hui, nous ne nouons plus d’alliances avec aucun parti ».
La chronique de la révolution de la Lucha s’arrête avant les élections de 2018 et la victoire contestée de Félix Tshisekedi. Mais les combats de ces militants restent toujours d’actualité : l’accès à l’eau, à l’électricité, à l’enseignement sont très loin d’être une réalité pour la majorité des Congolais. L’insécurité perdure à l’Est du pays et la répression des manifestations pacifiques se poursuit, malgré une légère accalmie au début du mandat de Félix Tshisekedi. Il y a donc encore du pain sur la planche.
Mais ce qu’il faut retenir de l’engagement et du courage de la Lucha, « c’est l’espoir que je n’avais jamais éprouvé et que l’on ressent en écoutant et en regardant oeuvrer les Luchéens » conclut Justine Brabant dans l’ouvrage. Encore aujourd’hui, la Lucha continue d’être une vigie importante de la vie politique congolaise et de ses vicissitudes. L’engagement de ses militants a surtout valeur d’exemple. Le mouvement a essaimé un peu partout au Congo : Filimbi, Les Congolais Debout… mais aussi de nombreuses organisations anti-corruption. Ces millions de Congolais victimes d’injustice ne sont plus réduit au silence. Ils ont un porte-voix.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
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Lucha, chronique d’une révolution sans armes au Congo
de Justine Brabant et Annick Kamgang
Editions : La Boîte à Bulles – Amnesty International
104 pages
14 euros