Joseph Kabila a perdu Goma. La capitale du Nord-Kivu est tombée mardi presque sans combats aux mains des rebelles du M23. La rébellion contrôle entièrement la ville et les postes frontières avec la ville rwandaise voisine de Gisenyi. L’armée congolaise s’est repliée vers Saké à 20 km à l’ouest de Goma. Que va faire le M23 de cette victoire ? Il y a pour l’instant plus de questions que de réponses.
Goma est tombée à 11h33 ce mardi. Il aura fallu 6 jours d’offensives aux rebelles du M23 pour prendre la capitale du Nord-Kivu. La ville est tombée comme un fruit mûr, l’armée congolaise ayant préféré fuir vers l’Ouest. Le M23 a aussi pris le contrôle des 2 postes frontières avec la ville rwandaise de Gisenyi… tout un symbole, le Rwanda est accusé de soutenir le M23.
Tenir la ville
Si la chute de Goma est un coup dur pour le président Kabila, les difficultés commencent pour les rebelles. Car après avoir pris la ville, le M23 va devoir la garder. La capitale provinciale du Nord-Kivu compte 300.000 habitants sur un territoire de 75 km2. Le M23 n’a jamais dévoilé le nombre de ses hommes, mais en comptant 2 à 3.000 soldats, quadriller la ville et en contrôler l’accès ne sera pas chose facile. La rébellion administre plusieurs territoires autour de Bunagana et Rutshuru, qui nécessite déjà une forte présence militaire.
Risques d’exactions
Deuxième élément, il faudra éviter les pillages, les règlements de comptes, sans parler des risques de provocations. Sur ce plan, le M23 a souvent fait preuve d’une certaine « discipline ». Discipline toute relative si l’on écoute les ONG des droits de l’homme et l’ONU qui ont noté plusieurs cas d’exactions. Dans une note rédigé aujourd’hui, International Crisis Group s’inquiète des « risques de représailles, d’exécutions extrajudiciaires ciblée », notamment « envers les autorités et les activistes de la société civile qui ont pris position contre le M23 ». Il faudra donc gagner la confiance des habitants de Goma.
Vers une guerre régionale ?
Troisième inquiétude : les risques de généralisation du conflits dans la région des Grands Lacs. International Crisis Group (ICG) craint une « nouvelle guerre régionale » qui risquerait de relancer « une dynamique de guerre entre la RDC et le Rwanda » voisin. Il faut dire que depuis 1994, Kigali a déjà envahi par deux fois le Congo (1996 et 1998). Le Rwanda est également accusé par 2 rapports de l’ONU de soutenir le M23, ce qu’il récuse. Pour éviter l’embrasement régional, il faudrait, toujours selon ICG, une plus grande implication de la communauté internationale et notamment de la Monusco, la mission de l’ONU en RDC. Il y a environ 6.700 casques bleus au Nord-Kivu, qui ont assisté en simples « spectateurs » à la prise de la ville. Une situation « absurde » pour Laurent Fabius, le Ministres des Affaires étrangères français, qui a réclamé une révision du mandat des casques bleus déployés en RDC.
Kigali et Kampala
Si le problème est régional, la solution l’est aussi. On sait que l’Ouganda et le Rwanda, deux voisins ‘turbulents » de la RDC, sont fortement soupçonnés d’aider militairement la rébellion. Il semblerait que le président Joseph Kabila, qui a notamment appelé la population congolaise « à se mobiliser » et à se « défendre », est déjà parti à Kampala, pour discuter avec les présidents ougandais et rwandais de la situation. Difficile de prévoir ce qui pourra en sortir. Seule indication : si Joseph Kabila, possède encore une « légitimité internationale », il sort très affaibli de sa défaite à Goma.
Trois scénarios
Que va faire le M23 de la prise de Goma ? Il est clairement trop tôt pour le dire. Mais il existe au moins trois scénarios. Le premier : pousser Joseph Kabila à négocier et à faire des concessions. Après avoir demandé la reconnaissance des accords du 23 mars, concernant l’intégration des ex-rebelles dans l’armée et à l’intégration politique de leur mouvement, le M23 a élargi ses revendications. Il parle maintenant d’un changement de gouvernement et de revenir sur les élections « truquées » de 2011. Que peut lâcher Joseph Kabila ? Sans doute pas grand chose. Deuxième scénario : le M23 poursuit son avancé et s’emparant d’autres villes… et pourquoi pas faire route sur Kinshasa. Beaucoup de rebelles ne cachent plus leur volonté de voir le président Kabila « partir ». Et il ne partira que par la force. Troisième scénario : le pourrissement. Le M23 « s’enferme » dans Goma, qu’il administre pour continuer d’avoir la main sur cette région riche ressources minières. Le Nord-Kivu deviendrait alors une simple annexe du Rwanda voisin. En attendant, la situation du M23 reste « confortable » militairement. L’armée congolaise est en « débandade » à une vingtaine de km de Goma et la Monusco n’a pas opposé de résistance.
100.000 réfugiés
Pour l’heure, la situation s’est « détendue » à Goma dans l’après-midi de mardi. La vie a timidement repris. Le seul bilan des combats disponible est celui noté par l’AFP sur place : 37 personnes blessées par balles, dont 12 enfants. Seul point noir, les réfugiés. Ils étaient plus de 100.000 décomptés par Médecins sans Frontières, « sans abris, sans eau et sans nourriture » et certains « porteurs du choléra ». Les civils paient le prix fort de la chute de Goma.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia