Le 30 août 2023, une manifestation tourne au drame à Goma. Au moins 57 personnes sont tuées par les forces de sécurité congolaises. Si quatre militaires ont été reconnus coupables, Human Right Watch (HRW) demande aux autorités « d’enquêter sur le rôle joué par des responsables de haut rang », mais également « d’indemniser les familles de victimes ».
Les premières vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont rapidement donné la mesure de la répression sanglante qui s’est déroulée le 30 août 2023 à Goma, alors qu’une manifestation contre les casques bleus de la Monusco et la force est-africaine était organisée par le mouvement mystico-religieux, Foi naturelle judaïque et messianique vers les nations (FNJMN). Une marche interdite par les autorités en raison de l’état de siège dans la région. Sur la première vidéo, on voit d’abord des soldats de la Garde républicaine entassant des corps dans la benne d’un camion militaire. Une seconde vidéo montre des tirs nourris d’armes automatiques, dignes de scènes de guerre, dans un nuage de fumée, puis des militaires traînant leurs victimes au sol. Les vidéos laissent peu de doute sur la violence des exactions commises par l’armée et le nombre important de victimes. Le bilan officiel a fait état de 57 morts, mais le dernier rapport du groupe d’experts des Nations Unies indique qu’il pourrait être bien plus élevé. A ce jour, ce que l’on appelle désormais, « le massacre de Goma » est sans aucun doute de la répression la plus sanglante commise par les services de sécurité congolais sous la présidence de Félix Tshisekedi.
Raid meurtrier
Un an après les faits, Human Rights Watch (HRW) reconnaît que « les autorités congolaises ont poursuivi en justice avec succès plusieurs personnes ». En octobre 2023, un tribunal militaire a condamné quatre membres des forces armées, « mais les enquêtes ont été très limitées et aucune indemnisation n’a été versée aux victimes », estime Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale de l’ONG. « Il est essentiel d’établir la responsabilité du commandement et de punir de manière appropriée tous les responsables afin d’éviter la répétition de tels abus à l’avenir ». HRW s’est replongé dans la chronologie des événements du 30 août 2023. En commençant tout d’abord par l’irruption, entre 3h00 et 4h00 du matin, de militaires dans une station de radio proche du groupe mystico-religieux, Foi naturelle judaïque et messianique vers les nations (FNJMN) d’Ephraïm Bisimwa, qui est interpellé. L’arrivée d’autres membres du groupe devant la station de radio déclenche des tirs des militaires, qui tuent six personnes. Bisimwa a déclaré par la suite à Human Rights Watch : « Ils nous ont emmenés à la base [de la Garde républicaine], où ils nous ont ligotés, nous ont fait étendre sur le sol, puis nous ont aspergés d’eau et nous ont battus avec des bâtons ».
« Ils tiraient sur les blessés pour les achever »
Face aux violences des militaires, des membres de groupe de Bizimwa s’en prennent alors à un policier pour l’emmener au siège de leur mouvement. La police intervient et tue le fils d’Ephraïm Bisimwa. L’agent de police capturé est également tué. Vers 7h00, militaires et membres de la Garde républicaine arrivent au siège du mouvement, avec à sa tête le colonel Mike Mikombe, le commandant de la Garde républicaine de Goma. Human Rights Watch a pu vérifier l’authenticité d’une vidéo filmée sur place « qui montre le colonel Mikombe et le commandant Peter, chef d’une unité de forces spéciales de la Garde républicaine, s’adressant aux membres du groupe ». Selon plusieurs témoins, « Mike Mikombe a levé son pistolet en l’air et ordonné aux membres de la Garde républicaine d’ouvrir le feu (…). Les militaires ont tiré au fusil d’assaut sur les manifestants et sur des passants, tuant et blessant des dizaines de personnes, tandis que d’autres s’enfuyaient pour se mettre à l’abri ». Human Rights Watch a pu vérifier une vidéo filmée sur place, « montrant des nuages de poussière s’accumuler dans la ruelle alors que retentissent des tirs d’armes automatiques ». Plusieurs vidéos montrent de nombreux corps dans les rues. « Ils tiraient sur les blessés pour les achever » affirme un témoin. Les images de militaires traînant les corps dans les rues et les chargeant dans un camion, ont également pu être authentifiées par HRW.
Les familles de victimes attendent toujours d’être indemnisées
En octobre, le colonel Mikombe et cinq autres militaires ont été jugés par un tribunal militaire. Mike Mikombe a été condamné à mort, trois militaires ont été condamnés à 10 ans de prison, tandis que deux autres, dont l’adjoint du patron de la Garde républicaine, ont été acquittés. Mais selon Human Rights watch, « des enquêtes plus approfondies devraient être menées afin d’établir si des officiers situés au-dessus de Mikombe dans la hiérarchie militaire sont juridiquement responsables de ces crimes ». Un décompte complet des morts devrait être effectué par les autorités, ce qui n’a pas été fait. « Les victimes du massacre de Goma attendent toujours que des comptes soient rendus », s’indigne Lewis Mudge. Les familles de victimes attendent toujours d’être indemnisées. Enfin, l’ONG recommande aux autorités de revoir leurs dispositifs sécuritaires de contrôle des foules. « L’armée ne devrait pas être utilisée pour faire respecter la loi, fonction pour laquelle la police est mieux formée ».
Une armée hors contrôle ?
Le triste épisode du massacre de Goma d’août 2023 rappelle que l’armée congolaise est toujours largement dysfonctionnelle. Félix Tshisekedi peine à restructurer efficacement la chaîne de commandement au sein des FARDC. Le raid meurtrier de Goma montre une armée congolaise « en roue libre ». Il ne faut pas oublier que, selon l’ONU, les forces de sécurité congolaise (armée, police) sont, le plus souvent, le premier facteur d’insécurité au Congo… devant les groupes armés. Plus de 50% des exactions et des violations des droits de l’homme sont le fait de militaires ou de policiers. Goma n’est pas le premier massacre où des membres de la Garde républicaine sont impliqués. La répression a toujours été féroce. Elle est le plus souvent le fait d’excès de zèle de quelques subalternes qui pensent ainsi « contenter leur patron ». On peut rappeler la répression sanglante contre la secte Bundu dia Kongo en 2008 et 2020, contre les adeptes du pasteur Mukungubila en 2023 ou encore plus récemment contre les militants de l’Unafec, à Lubumbashi, en mars 2023. Dans toutes ces affaires, les auteurs des exactions sont restés pour la plupart impunis. La tuerie de Goma jette également un regard cru sur la cacophonie endémique et les luttes intestines qui règnent au sein d’une armée disparate. On peut alors se poser la question de savoir qui contrôle vraiment l’armée congolaise ? Personne ne semble vraiment avoir la réponse. Certes, Joseph Kabila a perdu de son influence dans l’armée, mais Félix Tshisekedi n’en a visiblement pas encore complètement la maîtrise.
Christophe Rigaud – Afrikarabia