De nouvelles têtes, des caciques évincés… le gouvernement congolais dévoilé ce lundi renouvelle le paysage politique, mais reste sous la haute surveillance de Joseph Kabila.
Les grands événements sont généralement annoncés nuitamment en République démocratique du Congo (RDC). Mais pour la formation du premier gouvernement de la présidence Tshisekedi, c’est au petit matin que la liste du gouvernement du premier ministre Sylvestre Ilunga a finalement été dévoilée. Il aura tout de même fallu attendre plus de 7 mois de tergiversations, de consultations et de négociations sans fin, pour connaître les noms des ministres de ce subtil dosage entre la coalition CACH de Félix Tshisekedi et le FCC de l’ancien président Kabila.
Les poids lourds du PPRD recalés
Si le rapport de force entre les deux formations tourne largement en faveur du FCC, avec 42 ministres sur 66, la première surprise vient du fort taux de renouvellement de l’exécutif congolais. 76% des nouveaux ministres n’ont jamais fait partie d’un gouvernement. Et première victoire pour Félix Tshisekedi : aucun cacique du PPRD n’a été retenu dans ce premier gouvernement d’alternance. L’ancien patron des renseignements, Kalev Mutond, l’ancien directeur de Joseph Kabila, Néhémie Mwilanya, ou l’homme d’affaires Moïse Ekanga, n’ont pas survécu au bras de fer entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Le nouveau président peut donc se targuer d’avoir fait disparaître du paysage politique toute la garde et l’arrière-garde du kabilisme.
Des absents remarqués
Si Félix Tshisekedi a tiré son épingle du jeu en refusant un certain nombre de noms imposés par le FCC, Joseph Kabila a également remporté quelques arbitrages. A commencé par l’absence du dissident Modeste Bahati, en délicatesse avec la coalition de l’ancien chef de l’Etat, qui finalement, n’intégrera pas le nouveau gouvernement. Absents également, les ralliées de la dernière heure à Félix Tshisekedi : Delly Sesanga, Adam Bombole, Mbusa Niamwisi ou l’ancien kabiliste Kin Kiey Mulumba. Quelques rescapés de l’ancien gouvernement subsiste comme Steve Mbikayi, Thomas luhaka, Aime Ngoy Mukena, ou Jean-Lucien Bussa. Des dinosaures de la politique congolaise, seul Azarias Ruberwa revient au ministère à la Décentralisation. un poste qu’il connaît bien pour l’avoir déjà occupé maintes fois.
Des figures renouvelées
Des nouveaux visages font leur apparition, avec là aussi des surprises. Une femme sera à la tête de la diplomatie congolaise : Marie Tumba Nzeza, qui provient de l’UDPS, le parti de Félix Tshisekedi. Le nouveau ministre de l’Intérieur, Gilbert Kankonde, vient lui aussi du parti présidentiel. Et Jean Baudoin Mayo occupera le ministère du Budget au nom de l’UNC, partenaire de l’UDPS au sein de la coalition CACH. Pour le parti de Vital Kamerhe, qui reste au très stratégique poste de directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, 8 ministères lui ont été attribués. Et c’est David Jolino Makelele, le porte-parole de l’UNC, qui hérite du très sensible ministère de la Communication et des médias, en remplacement du célèbre Lambert Mende.
Les seconds couteaux de la kabilie
Mais qu’on ne s’y trompe pas, le FCC garde la main sur les ministères clés. Le ministre de la Défense est attribué à Aimé Ngoy Mukena, un proche de Joseph Kabila, qui avait profondément remanié l’Etat major à sa main avant les élections de 2018. Le très rémunérateur ministère des Mines va à Willy Samsoni, membre du FCC, mais surtout ancien ministre des Mines de la riche province du Haut-Katanga. Aux Finances, c’est également un fidèle de Joseph Kabila qui s’occupera des cordons de la bourse. José Célé Yalaghuli, l’ancien directeur général des Impôts, occupera le ministère des Finances. Le ministre du Portefeuille, qui gère les entreprises étatiques, est lui aussi dévolu au FCC.
Tshisekedi : un Badibanga et Tshibala “amélioré”
D’apparence, ce nouveau gouvernement donne l’image d’un réel changement à la tête de l’exécutif. Des piliers du kabilisme ont été écartés, de nouvelles têtes sont arrivées, dont des ministres issus de l’opposition… On pourrait croire que l’alternance politique est sur la bonne voie en République démocratique du Congo (RDC). Mais en fait, Joseph Kabila reste le grand manoeuvrier de l’architecture gouvernementale. Car depuis deux ans, on l’avait un peu oublié, mais Joseph Kabila gouvernait déjà avec un premier ministre issu de l’opposition. Samy Badibanga en 2016, puis Bruno Tshibala ensuite. Deux premiers ministres débauchés à l’UDPS, le parti de Félix Tshisekedi. En deux ans, Joseph Kabila a vidé la Primature de sa substance et le pouvoir a clairement été délocalisé à Kingakati, la ferme de l’ancien président congolais. Et en 2019, le Bruno Tshibala et le Samy Badibanga de Joseph Kabila s’appelle Félix Tshisekedi.
Un gouvernement sous haute surveillance
Les nouveaux ministres seront très encadrés, et Joseph Kabila pas très loin. Les ministères régaliens gérés par CACH seront doublonnés. Les Affaires étrangères, ou l’Intérieur seront chaperronnés par des vices-ministres FCC, eux-mêmes sous surveillance de leur “autorité morale”, Joseph Kabila. L’inverse sera aussi vrai pour les ministères gérés par le FCC, mais le rapport de force avec de nombreux ministres novices et sans poids politique risque de pencher lourdement en faveur de la coalition pro-Kabila. Si on rajoute une Assemblée nationale et un Sénat majoritairement dans les mains du FCC… autant dire que les décisions gouvernementales seront sous contrôle.
Le risque du surplace
Cette cohabitation dure pèsera sans doute sur les premières décisions du gouvernement congolais dont les défis à relever sont immenses : retour de la sécurité à l’Est, l’épidémie Ebola, la possible révision du code minier ou la très coûteuse gratuité de l’enseignement. Il faudra trouver, certes, les ressources pour mener à bien ces projets, mais il faudra surtout trouver les moyens de faire travailler ensemble CACH et le FCC. Et lorsque l’on voit la difficulté avec laquelle les deux plateformes peinent à se mettre d’accord sur une simple liste de 65 noms, on est en mesure de se poser des questions sur la capacité de fonctionnement de cet étrange Etat bicéphale… un Etat à deux têtes qui risque essentiellement de faire du sur place.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Enfin le gouvernement tant attendu est là sept mois après l’investiture du nouveau PR Tshisekedi !!! Le président Tshisekedi a pu s’envoler avec le sentiment du devoir accompli vers Tokyo pour le sommet Afrique-Japon à Yokohama après avoir signé l’ordonnance nommant les membres de son premier gouvernement et le PM a pu nous donner au petit matin du 26 août (5h) leurs noms après d’interminables négociations.
Comme prévu, le Gouvernement Ilunga 1 compte 65 (66 !) membres, 5 Vice-premiers ministres, 10 Ministres d’État, 31 Ministres, 3 Ministres Délégués, 17 Vice-ministres ; 42 sont estampillés du FCC (la plateforme de l’ancien président, 23 de CACH (plateforme autour du nouveau président). De même quel que soit l’ordre protocolaire adopté au final, la répartition des ministres régaliens et stratégiques reste celle de l’accord signé entre les deux composantes au pouvoir : Affaires Étrangères, Intérieur, Budget… à CACH, Justice, Finances, Défense, Mines… au FCC.
Qu’en dire ?
1. D’emblée que les Congolais ont de quoi se réjouir qu’enfin leur pays dispose d’un gouvernement qui peut travailler pour leurs nombreuses attentes, souhaitons juste que celui-ci soit en mesure de s’atteler efficacement aux multiples priorités de ce pays mais aussi aux programmes de moyen terme tout en préparant le long terme…
2. Ouf ! Il n’y a presque pas des vieux caciques de l’ancien régime même si ceux qui sont restés ou ont été nommés ne sont pas moins dans la fidélité à leur autorité morale. Dans quelle mesure ne mettront-ils pas des bâtons dans les roues à Tshisekedi et sa vision de changement eux qui sont dans la continuité, quel maître serviront-ils, le légal ou l’arbitraire, Tshisekedi ou ‘JK’ ? Nous les jugerons à l’acte, entre-temps bravo quand même à notre nouveau PR Tshisekedi d’avoir si longtemps et si fermement résisté à des noms qui auraient révulsé l’opinion nationale. Espérons que son fameux deal ne lui interdira pas de faire dans la suite la même preuve de négociation pour arracher d’autres victoires utiles pour la Nation…
3. Un cas de revenant ou d’habitué installé depuis un moment mérite attention : Ruberwa maintenu qu’il pleuve ou qu’il y’ait canicule, donc à dessein à la Décentralisation et Réformes Institutionnelles ! Personne n’ignore en effet que ce dernier est le leader de ceux qu’on appelle « Banyamulenge », des Tutsi Congolais immigrés de longue ou de fraiche date dans le plateau d’Itombwe à Minembwe. Personne n’ignore non plus qu’aujourd’hui il y’a là un conflit meurtrier entre communautés autochtones et immigrés Tutsi. Quel rôle va-t-il y jouer en sa qualité de Ministre, seulement pour ses « frères » ou pour tous les Congolais et le pays ? Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas nommé régulièrement à ce poste pour rien, son appartenance à ce coin de la République où des restructurations administratives et foncières quasi arbitraires ont été dénoncées y est pour beaucoup. Tshisekedi devrait davantage le suivre au collet car il y’a risque de balkanisation et de protectorat derrière, car dans un Congo peuplé de quelques centaines d’ethnies les unes plus minoritaires que les autres on a commis l’erreur de faire de ces fameux rwandophones une minorité plus importante que d’autres, il faut en sortir pour éviter qu’ils ne deviennent un abcès de fixation à cette frontière rwandaise. Le bon voisinage commence par le respect mutuel de la souveraineté des voisins…
4. Par ailleurs s’agissant de la représentativité géographique nationale on peut regretter un tropisme centro-oriental trop marqué dans le gouvernement qui colle dangereusement aux origines territoriales des leaders au pouvoir. Pas encore de quoi s’inquiéter autrement sauf si cela se manifeste par trop des projets dans ce sens dans la gestion car il y’aurait quelque risque quant à la cohésion si ceux de l’Ouest ainsi frustrés le revendiquaient d’une manière ou d’une autre…
5. Il y’a aussi la facilité dangereuse d’avoir composé un gouvernement éléphantesque de façon opportuniste (faire partager toutes les sensibilités au pouvoir au « gâteau national ») qui sera « budgétivore », (5 millions Usd seulement pour les indemnités d’entrée en fonction de ses membres). Ce qui reste préoccupant pour un pays de plus de 80 millions d’habitants avec un budget lilliputien d’à peine 6 milliards Usd ; forcément des dépenses de fonctionnement (environ 737 millions Usd par an soit 12% du budget national ; il faut y ajouter les 345 millions pour la Présidence; le Parlement et la Primature) s’avéreront prohibitives par rapport à celles nécessaires pour le bien direct de la population.
6. Mutatis mutandis une équipe aussi pléthorique risque fort de ne pas avoir (la), de ne pas être et d’agir en cohérence pour optimiser son fonctionnement d’autant que la guerre larvée entre les deux composantes au pouvoir a poussé le vice jusqu’à dédoubler les ministères eux-mêmes comme il a doublonné certains postes de façon qu’un vice-ministre puisse « surveiller » son ministre et vice-versa… Dommage !
7. Enfin nous devons rappeler que notre pays a des défis immenses à relever, prioritaires comme structurels relevant du moyen terme sous oublier de préparer le long terme. C’est le travail de ce gouvernement : la meurtrière insécurité chronique à l’Est, Ebola toujours tueur encore à l’Est, le défi de la gratuité de l’enseignement de base dont on a peut être trop précipité la mise en application dès septembre, le dossier du code minier, l’impératif trop oublié jusque-là trop oublié de la « bonne gouvernance », l’attention à la « cohésion nationale », etc, etc…
Et maintenant que dire sinon que le peuple attend du gouvernement une gestion efficace différente de celle qui a toujours régné en espérant que malgré hélas une coalition contre-nature à la tête du pays, un gouvernement bicéphale sous contrôle, la bonne volonté politique affichée par le nouveau PR, sa petite victoire à avoir réussi à recaler les poids lourds de la kabilie, la présence de nouvelles têtes… engendreront un nouvel esprit et aideront ainsi ce gouvernement à gérer le pays ensemble au mieux ? C’est le vœu de toute une Nation que ce gouvernement doit faire sien en conjurant le surplace et les faux pas d’hier. Ce n’est pas gagné d’avance mais c’est encore possible car à terme nous n’aurons pas d’autre alternative pour notre pays de s’en sortir sinon la rupture de l’ancien, un « changement de gouvernance »…