Alors que le journaliste congolais, détenu depuis 7 semaines pour diffusion de fausses informations, doit de nouveau comparaître devant la justice ce vendredi, Reporters sans frontières (RSF) affirme que la note que le journaliste est accusé d’avoir fabriquée venait bien des services de renseignement congolais.
Cela va bientôt faire deux mois que le journaliste Stanis Bujakera Tshiamala est détenu à la prison de Makala de Kinshasa. Le journaliste, correspondant de Jeune Afrique, Reuters et directeur adjoint d’Actualité.cd, est accusé de « faux en écriture, falsification des sceaux de l’Etat, propagation de faux bruits et transmission de messages erronés et contraire à la loi ». Des charges qui pourraient lui valoir jusqu’à dix ans de prison. La justice reproche à Stanis Bujakera d’être à l’origine de la diffusion d’une note interne de l’Agence nationale de renseignement (ANR) évoquant le rôle joué par les services de renseignements militaires dans l’assassinat, en juillet dernier, de Chérubin Okende, porte-parole de l’opposant Moïse Katumbi. Document que le ministre de l’Intérieur, Peter Kazadi, considère comme un « faux » destiné à « désorienter l’opinion publique ».
« Le document a largement circulé »
La situation devient très vite ubuesque dès les charges connues contre Stanis Bujakera. La justice reproche en effet au journaliste un article publié sur le site de Jeune Afrique, mais qu’il n’a pas signé. Au cours des deux audiences au tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe, Stanis Bujakera est également accusé d’avoir lui-même conçu la note confidentielle de l’ANR avant de la transmettre à Jeune Afrique, ce que récuse le journaliste. La visite d’une délégation de Reporters sans Frontières (RSF) à Kinshasa, fin octobre, a permis de recueillir de nombreuses informations sur les charges qui pèsent sur le journaliste. L’enquête de RSF montre tout d’abord que Stanis Bujakera « n’est pas le premier à avoir reçu la note de l’ANR (…) Le document a largement circulé dans les milieux sécuritaires, les chancelleries et les médias avant même que Stanis Bujakera ou sa rédaction en ait connaissance ».
« Tout le monde sait que la note vient de l’ANR »
Plusieurs sources sécuritaires ont ensuite confirmé à RSF « que le document ressemblait en tous points à ce que peut produire l’ANR sur ce type d’événement ». L’ONG cite même une source proche de la présidence qui indique que « tout le monde sait qu’elle vient de l’ANR, probablement d’un échelon inférieur pour ensuite être traitée ». Des sources diplomatiques à Kinshasa indiquent également avoir reçu cette note au mois d’août 2023, bien avant l’article de Jeune Afrique. RSF rappelle enfin qu’un député de la majorité présidentielle, Léon Nembalemba, avait fait état, en direct sur la chaîne Molière TV, de « l’incompétence des services » accusé d’avoir « enlevé et tabassé à mort » Chérubin Okende avant de « maquiller » l’assassinat « à l’emporte-pièce ». D’ailleurs, depuis l’assassinat de Chérubin Okende cet été, l’enquête est toujours étrangement au point mort.
Une affaire qui pèse sur la liberté de la presse
Selon RSF, Stanis Bujakera pourrait être la victime d’une guerre interne au sein des renseignements congolais, notamment en voulant déstabiliser le patron l’ANR, Jean-Hervé Mbelu, qui a d’ailleurs été débarqué de son poste le 1er août 2023. L’ONG note que des sanctions ont aussi été prises en interne après la diffusion du document par Jeune Afrique. Mais le plus grave, c’est que l’affaire pèse aussi fortement sur la liberté de la presse en République démocratique du Congo (RDC), à moins de deux mois d’une élection présidentielle sous haute tension. Pour Amnesty international, « c’est encore une preuve supplémentaire de l’attaque à grande échelle que les autorités de la RDC, sous la houlette du président Félix Tshisekedi, ont lancée contre les droits humains, et notamment les droits des journalistes ». Même sonne cloche pour RSF qui fustigent « des accusations qui ne tiennent pas » et se demandent « ce que cherchent réellement ceux qui ont décidé d’arrêter ce journaliste ? »
500 atteintes aux médias pendant le mandat Tshisekedi
L’arrestation de Stanis Bujakera, la faiblesse des charges qui pèsent sur lui, son maintien en détention malgré de nombreux demandes de liberté provisoires, envoient un message, on ne peut plus clair, à tous les journalistes congolais dans cette période pré-électorale. Stanis Bujakera fait partie des journalistes les plus renommés pour son sérieux et la fiabilité de ses informations. Il est d’ailleurs suivi par plus de 550.000 personnes sur X (ex-Twitter) et le site Actualité.cd est devenu une référence dans le paysage médiatique congolais. En ciblant Stanis Bujakera, c’est toute la profession que se sent visé, nous ont indiqués plusieurs journalistes à Kinshasa. Le plus inquiétant, c’est que Stanis Bujakera n’est pas le seul journaliste à subir les foudres du pouvoir en place. Journaliste en danger (JED) a dénombré plus de 500 atteintes aux médias depuis le début du mandat de Félix Tshisekedi. Pourtant, l’arrivée d’un opposant à la présidence en 2018 avait suscité les espoirs de toute la profession, après « les violences, les arrestations et les brimades contre les médias » des années noires sous Joseph Kabila. Aujourd’hui, Journaliste en danger regrette « les promesses non tenues du nouveau président ». Un bien mauvais signal au moment où les Congolais doivent se rendre aux urnes le 20 décembre prochain.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Il faut réformer la justice en République Démocratique du Congo