L’Assemblée nationale a adopté samedi soir le très contesté projet de modifications de la loi électorale, présenté par la Majorité présidentielle. L’opposition craint que son application ne prolonge le mandat de Joseph Kabila et appelle à manifester lundi 19 janvier.
Drôle d’ambiance à l’Assemblée nationale congolaise ce samedi. Tout commence par la convocation in extremis des députés, un samedi, jour férié en hommage à l’assassinat de Patrice Lumumba, héros national. L’opposition crie au sacrilège et demande à ses députés de boycotter la séance. Elle conteste violemment ce projet de loi, qui vise notamment à lier la tenue de l’élection présidentielle aux résultats du recensement de la population. Recensement qui n’a pas encore commencé et qui pourrait repousser les élections générales, prévues fin 2016. L’hémicycle apparaît donc clairsemé à la télévision nationale (RTNC), qui retransmet la plénière en direct. Plus d’une centaine de députés d’opposition sont absents. Très vite, les esprits s’échauffent autour de deux articles.
La présidentielle conditionnée au recensement de la population
L’article 8 est particulièrement dans le viseur de l’opposition, qui estime que son application repousserait l’élection présidentielle, fixée en 2016. Cet article part pourtant d’une bonne intention : effectuer le recensement de la population, obsolète depuis… 1984. L’opposition avait d’ailleurs plusieurs fois milité pour un comptage précis de la population, permettant notamment de connaître le corps électoral, mais aussi de répartir les sièges au Parlement au prorata du nombre de Congolais. Le problème pour l’opposition réside dans le conditionnement des élections à ce fameux recensement. Les experts notent qu’il faudra sans doute plusieurs années pour effectuer cette opération, dans un vaste pays-continent, bénéficiant de faibles infrastructures de communication. Pour l’opposition, il y a donc une volonté de la majorité de faire glisser le calendrier électorale au-delà de 2016. Lié la tenue des élections au recensement pourrait donc retarder considérablement la présidentielle. Un possible décalage déjà annoncé par Lambert Mende sur RFI – voir notre article. Au MLC, parti d’opposition, on considère que « les élections sont plus importantes que le recensement et qu’il n’est pas nécessaire pour faire voter la population. Seul le fichier électoral compte et beaucoup de temps a été perdu pour en faire l’audit ».
La parité oubliée
Un autre article a semé le trouble dans l’hémicycle. Il concerne la loi sur la parité électorale, demandant ainsi de présenter 1/3 de femmes aux élections. L’article a été supprimé par amendement, provoquant le départ des femmes députées de la séance. Les députés (hommes) de la majorité ont estimé que cet article « favorisait » les femmes alors qu’il devait y avoir « compétition ». Les députées de la majorité ont alors quitté la salle en signe de protestation, avant de revenir, trente minutes plus tard (pour finalement voté le projet). Dernier article de friction : la caution de 110.000 dollars non remboursable, demandée à chaque candidat à la présidentielle, ou sur les « diplômes » nécessaires pour pouvoir se présenter devant les électeurs. Un vif débat, intéressant, s’est tenu sur le rôle des « témoins » pendant les élections et le délai « trop long » entre le moment du vote et l’annonce des résultats, favorisant les risques de « trucages des chiffres ».
L’opposition mise sur la rue
Après onze heures de (trop longs) débats, le vote a finalement validé les propositions de la majorité. C’est en fin de soirée, à 23h30, que les députés se sont exprimés. Le texte a été adopté par 337 voix : 8 députés ont voté contre et 24 se sont abstenus. Le projet partira ensuite au Sénat lundi, et sera voté avant la fin de la session extraordinaire fixée au 26 janvier. En attendant, les principaux partis d’opposition (UDPS, MLC, UNC… ) ont appelé la population à se mobiliser contre ce projet de loi en manifestant lundi 19 janvier « dès 8 heures » devant le Palais du Peuple, siège du Parlement. Pour l’opposition, les « arrières pensées » de la majorité sont claires : « ils jouent la montre et ne veulent pas aller aux élections ». Les dernières manifestations de l’opposition de la semaine dernières avaient été violemment dispersées par la police et le quartier du Palais du Peuple bouclé. La mobilisation populaire reste assez faible pour le moment à Kinshasa. 300 personnes seulement étaient descendues dans la rue lundi 12 janvier. En cause, la répression toujours plus forte : les partis politiques avaient dénombré une dizaine de victimes et une cinquantaine d’arrestations. Signe d’une certaine fébrilité du régime : plusieurs médias d’opposition, notamment Canal Kin appartenant à Jean-Pierre Bemba, ont été fermés dès vendredi.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia