Accusé de soutenir la rébellion du M23 à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda passe à l’offensive. Médiatique tout d’abord, avec l’interview fleuve de James Kabarebe, le ministre de la défense rwandais. Militaire ensuite, en retirant un bataillon de RDC, qui opérait « officieusement » avec l’armée congolaise. Dans les deux cas, l’objectif est le même : embarrasser et gêner Kinshasa sur la scène internationale, voir l’humilier.
Depuis avril 2012, les rebelles du M23 mènent la vie dure aux soldats de l’armée congolaise au Nord-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). En quelques semaines, la rébellion s’est emparée des plusieurs localités et menace aujourd’hui la ville de Goma, la capitale provinciale. L’armée congolaise, mal payée, mal préparée, mal encadrée et peu motivée, cède du terrain, presque sans combattre. Très rapidement, le Rwanda voisin est pointé du doigt. Un rapport de l’ONU soupçonne Kigali de soutenir et de fournir en hommes et en armes le M23. Le Rwanda dément, mais le rapport fait grand bruit et embarrasse Paul Kagame, le maître de Kigali.
Dans un premier temps, Kigali se défend timidement en apportant une réponse écrite aux allégations des experts de l’ONU. Le rapport serait « biaisé« , les sources « peu fiables » et certaines informations « invérifiables« . Les explications sont jugées peu convaincantes par l’ONU. Kigali décide donc de contourner l’obstacle… en attaquant Kinshasa. L’opération se passe en deux temps. Premier acte : interview-explication de James Kabarebe, le ministre de la défense rwandais. Deuxième acte : retrait des dernières troupes rwandaises de RDC, alors que tout le monde les croyait parties depuis 2009 et la fin de l’opération « Umoja Wetu« .
Acte I L’explication
Dans une interview fleuve, menée par Colette Braeckman, James Kabarebe, ministre de la défense du Rwanda, se lance dans une explication de texte périlleuse dans laquelle il tente de prouver que Kigali n’a jamais soutenu le M23. Spécialiste ès Congo, Kabarebe connaît bien le dossier. Il était aux côtés de Laurent-Désiré Kabila en 1997 lors de la prise de Kinshasa et a même occupé le poste de ministre de la défense de la RDC jusqu’en 1998, avant de revenir au Rwanda.
Selon Kabarebe, le Rwanda a toujours joué les bons offices entre les autorités congolaises et les officiers congolais « futurs M23« , à l’époque proche de Bosco Ntaganda, que Kinshasa voulait capturer. Kabarebe explique les différentes navettes entre les officiers congolais et Kigali pour trouver un terrain d’entente. Concernant le rapport des experts de l’ONU, le ministre de la défense y trouve de nombreuses incohérences. Par exemple au sujet des renforts rwandais au M23 à Runyonyi : « J’ai connu cette région autrefois. Runyonyi ne se trouve pas sur la frontière, marcher depuis la frontière rwandaise jusque Runyonyi, cela prend au moins onze heures de marche, il faut traverser la forêt car il n’y a pas de routes, il n’y a aucun lien entre Runyonyi et le Rwanda. Toute cette histoire de soutien que le Rwanda aurait apporté est une manipulation. » Au sujet des soldats du M23, trouvés avec des cartes d’identités rwandaises : « alors que nous nous trouvions à Goma pour une réunion, le chef de l’intelligence militaire congolaise vint me voir dans ma chambre et, à propos de l’histoire de ce capitaine, il me dit « nous commettons une grande erreur en fabriquant ce genre d’histoires contre le Rwanda, cela nous a déjà coûté tellement cher…Ce capitaine Saddam appartient l’armée congolaise, mais c’est Kalev qui a décidé de fabriquer une fausse carte d’identité rwandaise et d’envoyer ce témoignage truqué aux Nations unies…Comment imaginer que des décisions soient prises sur de telles bases ?« . Concernant, la présence de soldats rwandais au sein du M23 : « Nous avons de grosses ambassades au Rwanda, et elles ont les moyens de faire du renseignement. Elles surveillent certainement les mouvements de troupes, de logistique, les mouvements vers la frontière. Or depuis les six dernières années au moins, il n’y a aucun mouvement vers la frontière…Comment le Rwanda pourrait il combattre en RDC sans qu’aucun mouvement ne soit visible ?« . Au final, si les arguments avancés par Kabarebe sont plausibles, le contraire l’est aussi et le catalogue de preuves du groupe d’experts de l’ONU laisse peu de place aux doutes. Retenons seulement qu’avant le début des hostilités et la création du M23, Kabarebe explique que Kigali a été à la manœuvre pendant toutes les discussions préalables entre Kinshasa, Ntaganda, les officiers mutins et les futurs M23. Toutes les réunion se passaient à Kigali ou au Rwanda. On peut donc s’avancer sans se tromper, qu’au moins une partie de la solution de la guerre du Kivu se trouve… à Kigali.
Tout aussi intéressant, certaines réponses de Kabarebe traduisent bien la tonalité des rapports entre Kigali et Kinshasa : exécrables, voir désobligeants. Dans son interview, Kabarebe n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur l’armée congolaise (qu’il a bien connu) et le gouvernement de Kinshasa. « Au Congo il n’y a ni gouvernement ni armée, seulement un grand vide« , explique Kabarebe. « Le mauvais management des troupes est au cœur du problème » poursuit-il, « comment pouvez vous envoyer des troupes en opération en leur donnant seulement une poignée de haricots secs ! Au lieu de leur envoyer de la nourriture, vous leur donnez un sac de haricots, sans eau, sans sel, sans riz, sans casserole ni bois de feu… C’est impossible« . Et de conclure : « on ne peut pas dire que l’armée congolaise a échoué à battre le M23, car le M23 était soutenu par le Rwanda. Non. Ils ont échoué parce qu’ils ne peuvent pas se battre, dans les conditions où ils se trouvent. Ils ne tueraient même pas un rat…« .
Acte II L’humiliation
Après l’interview assassine de James Kabarebe au journal belge Le Soir, le deuxième acte se déroule deux jours plus tard sur le terrain militaire. Le 31 août, le Rwanda annonce le retrait d’environ 280 de ses hommes de l’Est du Congo. Problème : tout le monde croyait les soldats rwandais partis. Les opérations conjointes entre les deux armées congolaises et rwandaises avaient pris fin en 2009 avec l’opération baptisée « Umoja Wetu« . La présence de soldats rwandais sur le sol congolais, alors même que l’on accuse Kigali de soutenir une rébellion à l’Est du pays, jette un trouble à Kinshasa. Selon Thierry Vircoulon, directeur pour l’Afrique centrale de l’International Crisis Group, qui s’exprimait sur RFI : « Kigali a voulu montrer qu’elle avait eu l’autorisation par le passé d’avoir des troupes présentes au Nord-Kivu pour lutter contre les FDLR. Et ceci avait été agréé par Kinshasa, sans bien sûr en informer son opinion publique« . Un bon moyen donc, pour le Rwanda d’embarrasser son voisin congolais aux yeux de la communauté internationale. Kinshasa s’est en effet souvent drapé des habits de la victime face au méchant Rwanda. Kigali a voulu ainsi se venger en révélant ses accords secrets avec Kinshasa, qui autorisaient la présence de soldats rwandais sur son sol.
Redorer l’image écornée du Rwanda et gêner Kinshasa étaient donc les deux objectifs de l’offensive médiatique de Kigali. Dans son interview, James Kabarebe désigne pour terminer les deux « responsables » de la crise actuelle au Nord-Kivu : l’Occident qui voulait arrêter Bosco Ntaganda et Kabila qui voulait le faire pour faire plaisir à la communauté internationale après sa réélection douteuse. « Tout cela a engendré un grand chaos » conclut Kabarebe. Sur ce dernier point, on ne peut pas le contredire.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia