Jean-Pierre Lacroix, Secrétaire général adjoint et chef des opérations de maintien de la paix de l’ONU, est cette semaine en visite de cinq jours en RDC. L’occasion de faire le point au moment où la MONUSCO amorce sa « stratégie de retrait » et devrait voir, ce vendredi 18 décembre, son mandat renouvelé par le Conseil de sécurité. Un mandat de transition de la mission onusienne qui devrait, selon les ONG de la société civile et le Prix Nobel de la Paix, intégrer enfin une stratégie globale de mise en œuvre des mécanismes de la justice transitionnelle que les victimes des crimes de masse qu’a connu la RDC attendent maintenant depuis plus de vingt ans.
Par Luc Henkinbrant *
Dans son dernier rapport sur la MONUSCO du 21 septembre 2020, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Gutteres, déclarait « Je suis préoccupé par le recul du respect des droits dans les provinces touchées par des conflits, sachant qu’un nombre croissant d’atteintes aux droits humains et de violations de ces droits sont imputées à des groupes armés, mais également aux forces de défense et de sécurité de la République démocratique du Congo. J’encourage le Gouvernement à adopter une stratégie nationale de justice transitionnelle, qui permettrait de lutter contre l’impunité et de rendre justice aux victimes ». La cheffe des droits de l’homme de l’ONU, la Haute Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, Michelle Bachelet, a, elle aussi, récemment appelé les autorités congolaises à renforcer leurs efforts pour prévenir de nouvelles violations des droits de l’homme et de nouveaux abus dans l’est de la RDC et à prendre des mesures concrètes pour mettre en place des processus de justice transitionnelle qui accordent aux milliers de victimes des conflits successifs leurs droits à la justice, à la vérité et aux réparations.
Dans la même période, les mots « justice transitionnelle » ont été prononcés, probablement pour la première fois, par un Président de la République Démocratique du Congo. Lors d’une communication au Conseil des Ministres du 7 août 2020, Félix Tshisekedi Tshilombo, a déclaré que « Pour remédier au lourd héritage des abus des droits humains dans les sociétés qui sortent de conflits armés, le mécanisme de justice transitionnelle s’offre comme un des outils à même de contribuer à lutter contre l’impunité des crimes graves, à faciliter la reconnaissance et l’indemnisation des victimes ». Simultanément, il a constaté que le dossier relatif à la justice transitionnelle n’a guère évolué et a demandé de le soumettre dans le meilleur délai au Conseil des Ministres pour examen et adoption éventuelle.
Dans le même temps, le Gouvernement de la RDC a négocié avec les Nations Unies une « stratégie commune sur le retrait progressif et échelonné de la MONUSCO ». Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 2502 (2019) § 49, a prié le Secrétaire général de collaborer avec le Gouvernement de la République démocratique du Congo à l’élaboration d’une stratégie commune et à la définition d’une série d’indicateurs mesurables en vue de permettre le transfert progressif des tâches de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) aux autorités congolaises, à l’équipe de pays des Nations Unies et aux autres parties prenantes. Les deux parties se sont déjà rencontrées. Un accord a été signé et le Secrétaire général, fin octobre dernier, a partagé avec le Conseil de Sécurité la stratégie commune sur le retrait progressif et échelonné de la MONUSCO. Cette « exit strategy » ne dit rien à propos d’une stratégie de justice transitionnelle et de la mise en place de ses mécanismes en RDC tels qu’ils sont pourtant recommandés dans un rapport des Nations Unies : le Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo (Août 2010). Depuis plus de dix ans maintenant, le Rapport Mapping, selon l’expression utilisée par le Prix Nobel de la Paix, continue de « moisir dans les tiroirs », à New York et à Genève, alors qu’il devrait être un des piliers fondamentaux de la stratégie de retrait de la MONUSCO et orienter les tâches à remplir par la Mission avant son départ de la RDC. C’est ce qu’a encore réclamé le Dr. Mukwege dans un tweet à la veille du 10 décembre : « Dans le cadre de la prochaine résolution du CS des NU sur le mandat de la MONUSCO, nous invitons les Etats membres du Conseil à soutenir la mise en place des mécanismes judiciaires et extra-judiciaires de la justice transitionnelle pour instaurer une paix durable en RDC. »
Il devient donc très urgent de formuler une véritable stratégie nationale globale de justice transitionnelle, axée sur les victimes et sensible au genre, reposant sur les quatre piliers ou mécanismes de la justice transitionnelle qui apporteront enfin une réponse satisfaisante aux droits des victimes à la justice, à la vérité, aux réparations et aux garantie de non-répétition des atrocités qu’elles ont connues.
La mise en œuvre de cette stratégie appropriée de justice transitionnelle par les institutions gouvernementales pertinentes, les Nations Unies, la société civile et les principales parties prenantes, notamment les victimes, sera certes échelonnée, mais certains de ses éléments doivent être mis en place sans plus tarder et être intégrés dans un nouveau mandat de la MONUSCO, afin de commencer à répondre au besoin de justice largement exprimé par les Congolais.es descendu.e.s par milliers dans les rues de Bukavu et de nombreuses autres villes, à l’occasion du 10ème anniversaire de la publication du Rapport Mapping, le 1er octobre 2010.
La demande est très forte aujourd’hui de voir enfin donner une suite, en termes de poursuites pénales, d’établissement de la vérité, de réparations, de garanties de non-répétition, aux 617 incidents de violence documentés par le Rapport Mapping. Ces « incidents », au regard des cadres juridiques national et international applicables, constituent différents types de violations graves des Droits de l’Homme et du Droit International Humanitaire, qui, si elles sont établies et prouvées devant un tribunal impartial et indépendant, pourraient être qualifiées de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et même de crimes de génocide.
Cette « demande de justice transitionnelle » est catalysée par le Prix Nobel de la paix, le Dr. Mukwege. Dans son message de parrainage du Mémorial en ligne www.memorialrdcongo.org il déclare : « Je suis convaincu, comme les jeunes initiateurs de ce mémorial, que la réponse appropriée à cet héritage douloureux de violences et de crimes est la mise en œuvre des mécanismes de la justice transitionnelle à savoir, les poursuites pénales, l’établissement de la vérité, les réparations pour les victimes et les réformes institutionnelles pour empêcher que de tels crimes ne puissent se reproduire en RDC . Pour reprendre mon Appel d’Oslo : « Ayons le courage de révéler les noms des auteurs des crimes contre l’humanité pour éviter qu’ils continuent d’endeuiller cette région. Ayons le courage de reconnaître nos erreurs du passé. Ayons le courage de dire la vérité et d’effectuer le travail de mémoire », et d’ajouter : « Au nom de toutes les veuves, tous les veufs et des orphelins des massacres commis en RDC et de tous les Congolais épris de paix, j’appelle la communauté internationale à enfin considérer le Rapport du Projet « Mapping » et ses recommandations. »
Les recommandations du Rapport du Projet Mapping
La « demande de justice transitionnelle » fortement relayée par la population se traduit donc aujourd’hui en une demande de mise en application des recommandations du Rapport du projet Mapping qui avait comme un des points principaux de son mandat : « Élaborer, compte tenu des efforts que continuent de déployer les autorités de la RDC ainsi que du soutien de la communauté internationale, une série de formules envisageables pour aider le Gouvernement de la RDC à identifier les mécanismes appropriés de justice transitionnelle permettant de traiter les suites de ces violations en matière de vérité, de justice, de réparations et de réforme ».
Il sied donc d’examiner attentivement quelles sont ces « formules envisageables » ou ces recommandations formulées par le Rapport Mapping qui peuvent servir de base à la définition d’une stratégie nationale et globale de justice transitionnelle. Il ne faut toutefois pas les transformer en une bible dont pas même un mot ne pourrait être modifié. En effet, ces recommandations, formulées il y a plus de 10 ans déjà (et restées quasi totalement inappliquées) ne peuvent évidemment prendre en compte les développements qu’a connu la justice transitionnelle dans de nombreux pays post-conflit durant ces dix dernières années. Que l’on pense, par exemple, à la mise en place des mécanismes de la justice transitionnelle en République centrafricaine, dans plusieurs pays arabes, etc. Les leçons apprises de ces expériences plus récentes pourraient amener à « modaliser » certaines des recommandations du Rapport Mapping en ce qui concerne, par exemple, les mécanismes de recherche de la vérité.
L’intervention des « Etats tiers »
Il faut aussi très sérieusement prendre en compte une grande particularité de la situation congolaise : les crimes documentés par le Rapport Mapping n’ont pas été commis uniquement par des congolais ou entre Congolais, lors de conflits armés internes. La majorité de ces crimes ont été commis par des groupes et des forces armées étrangères, lors de conflits armés internationaux ou internationalisés. Le Rapport Mapping identifie clairement, et c’est là probablement la raison de sa « mise au tiroir », des « Etats tiers », des pays « qui peuvent être tenus responsables de violations graves des droits de l’homme commises par leurs armées nationales pendant la période sous considération en RDC, notamment l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et l’Angola ». En 2001, le Conseil de sécurité a souligné dans sa résolution 1341 (2001) « que les forces occupantes devront être tenues responsables des violations des droits de l’homme commises dans le territoire qu’elles contrôlent ». Quant aux responsabilités individuelles, le Conseil de sécurité a rappelé l’obligation de l’État congolais et aussi des autres États de la région, notamment les États impliqués dans le conflit armé, « de traduire les responsables [des violations] en justice et de permettre que le nécessaire soit fait… pour que ceux qui auraient commis des violations du droit international humanitaire aient à en répondre ». Sans cette coopération, la responsabilité des commandants et des donneurs d’ordre pourrait s’avérer impossible. Le Rapport Mapping note qu’à ce jour, aucun des pays tiers impliqués dans les conflits en RDC n’a engagé de poursuites contre les nationaux impliqués dans la commission des crimes graves, malgré l’existence d’indices sérieux quant à la responsabilité de leurs armées dans les crimes commis en RDC. (§1015-1016)
Cette forte implication des pays tiers dont la responsabilité internationale est engagée pour violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire doit être prise en compte lors de l’élaboration de la stratégie nationale de justice transitionnelle et de ses mécanismes de poursuites pénales, de recherche de la vérité, de réparations, de garanties de non-répétition.
Droit à la justice
Il faut avant tout veiller à ce que le droit des victimes à la justice soit respecté. En tant qu’un des piliers de la justice transitionnelle, les poursuites judiciaires peuvent et doivent jouer un rôle essentiel afin d’établir les responsabilités des auteurs de violations, faciliter la réconciliation, octroyer une réparation aux victimes et avoir un effet dissuasif pour que de tels violations et abus ne soient plus commis à l’avenir, particulièrement dans des contextes où l’impunité a prévalu depuis des décennies.
La demande la plus souvent entendue ces derniers temps, dans les marches, les médias, les webinaires, etc., en matière de poursuites judiciaires des auteurs présumés est celle de la création d’un Tribunal Pénal International pour la RDC. Paradoxalement, cette demande n’est ni préconisée par le Rapport du projet Mapping, ni formulée en ces termes par le Dr. Mukwege. Ce dernier, dans ces discours ou déclarations, évoque toujours la création d’un TPI et/ou de chambres spécialisées mixtes au sein des tribunaux congolais. Le Rapport Mapping, quant à lui, rappelle que la résolution n° 5 de la Commission Paix et Réconciliation du Dialogue intercongolais appelait dès avril 2002 à la création d’un « Tribunal pénal international pour la RDC et que cette demande n’a pas fait l’objet d’une requête officielle, pourtant prévue dans les résolutions du Dialogue intercongolais. Ce type de juridiction, toujours selon le Rapport Mapping, présente des avantages et des faiblesses.
En conclusion du Chapitre III (Mécanismes judiciaires) de la SECTION IV (Options de justice transitionnelle pour la RDC) du Rapport Mapping, on peut lire : « L’Équipe Mapping considère qu’un mécanisme de poursuites mixte – composé de personnel international et national – est nécessaire pour rendre justice aux victimes étant donné le manque de capacité des mécanismes existants « et les nombreux facteurs qui entravent l’indépendance de la justice ». Les modalités de fonctionnement et la forme exacte d’une telle juridiction « devraient être décidées et détaillées par une consultation des acteurs concernés, ainsi que des victimes affectées… ». Un tel mécanisme devrait, entre autres, appliquer le droit pénal international relatif aux crimes internationaux, y compris « sur la responsabilité des supérieurs pour les actes commis par les subordonnés ; exclure la juridiction des tribunaux militaires en cette matière et avoir compétence sur toutes les personnes qui ont commis ces crimes, nationaux ou étrangers, civils ou militaires (§ 1052/1054). »
Le Rapport Mapping détaille ensuite les deux formules de juridictions mixtes qui ont été utilisées dans le passé : les tribunaux spéciaux mixtes internationaux ou internationalisés qui ne font pas partie de l’ordre juridique interne et fonctionnent à l’extérieur du système national (Sierra Leone, Liban) et les chambres mixtes et spécialisées qui sont intégrées dans l’ordre juridique interne et font partie du système judiciaire national (Cambodge, Bosnie Herzégovine).
Dans le contexte spécifique des conflits armés internationaux qu’a connu la RDC, on peut se demander si ce n’est pas une combinaison et une répartition des tâches entre ces deux types de juridictions mixtes qui serait la formule la plus appropriée à adopter en RDC.
Afin de ne plus perdre de temps dans des controverses et des débats qui durent depuis bientôt vingt ans, la stratégie en matière de mécanismes judiciaires pourrait s’articuler comme suit :
1 / Conformément à la résolution n° 5 de la Commission Paix et Réconciliation du Dialogue intercongolais (avril 2002) adresser une requête du Gouvernement congolais au Conseil de Sécurité des Nations Unies en vue de l’institution d’un Tribunal Pénal International pour la RDC, doté de compétences nécessaires pour connaître de crimes de génocide, crimes contre l’humanité, y compris le viol utilisé comme arme de guerre, crimes de guerres et violations massives des droits de l’homme.
2 / Si le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui, pour diverses raisons, n’a plus créé de Tribunal Pénal International ad hoc depuis 25 ans (TPIY 1993, TPIR 1994), ne répond pas favorablement à cette requête lui adressée par le gouvernement, le Président de la République pourra solliciter l’aide des Nations Unies en vue de créer un mécanisme de poursuites mixte sous la forme d’un Tribunal pénal spécial pour la RDC, en s’inspirant de la démarche adoptée par son homologue de la République de Sierra Leone. Par une telle demande, un Tribunal spécial pour la RDC peut être créé, non par une Résolution du Conseil de sécurité, mais sur base d’un Accord entre le Gouvernement congolais et les Nations Unies. Ce Tribunal spécial, de caractère international et fonctionnant à l’extérieur du système judiciaire congolais, siégerait dans le pays, et appliquerait le droit international et, si approprié, des dispositions de droit interne congolais. Cette juridiction serait constituée d’une majorité de juges, magistrats, procureurs et enquêteurs internationaux travaillant conjointement avec leurs collègues congolais. Bien que rien n’oblige à ce que la majorité de tous les employés d’une telle institution soient internationaux, il sera néanmoins nécessaire de s’assurer que les acteurs internationaux jouent un rôle prépondérant dans les décisions du tribunal, notamment par rapport aux poursuites engagées et aux jugements rendus, afin de renforcer la perception d’indépendance et d’impartialité qu’apporte leur présence au sein de la Cour (§1039). Le Rapport Mapping décrit plusieurs des avantages de la mise sur pied d’une telle juridiction mixte dont certains pourraient se révéler très importants dans le contexte régional des conflits qui ont frappé la RDC. Un tel tribunal pourrait poursuivre des nationaux mais aussi des ressortissants d’Etats tiers, qui portent « la responsabilité la plus lourde » dans les crimes internationaux commis en RDC .»
3 / Un tel Tribunal pénal spécial pour la RDC ne pourra traiter qu’un nombre limité de cas, en se focalisant sur les plus hauts responsables des crimes. Se pose alors la question du sort judiciaire réservé aux nombreux auteurs présumés de rang moyen ou inférieur. Pour qu’ils ne puissent échapper à la justice, la deuxième formule de tribunaux mixtes préconisée par le Rapport Mapping pourrait les prendre en charge judiciairement parlant. En s’inspirant cette fois de la démarche adoptée par son homologue de la République Centrafricaine, le Président de la République peut soumettre une demande pour l’adoption de « mesures spéciales temporaires » au président du Conseil de sécurité de l’ONU. Cette sollicitation formelle et officielle adressée aux Nations Unies sera suivie de la signature entre la MONUSCO et le Gouvernement congolais, d’un Mémorandum d’entente sur la mise en place de chambres spécialisées mixtes au sein de Cours d’appel, composées de juges nationaux et internationaux. Ces juridictions spécialisées peuvent être créées en tant qu’institution nationale, au moyen d’un acte de droit congolais, conformément à l’article 149, alinéa 6 de la constitution : « La loi peut créer des juridictions spécialisées ».
4 / Même si un fondement juridique, sous la forme d’une Résolution du Conseil de sécurité, d’un Accord entre les Nations Unies et le Gouvernement Congolais, d’une loi nationale, est établi pour la création d’un TPI ou d’un Tribunal pénal spécial pour la RDC et de Chambres spécialisées mixtes – ce qui, au mieux, pourrait prendre quelques mois, et, au pire, quelques années -, il s’avère urgent de procéder à la collecte et à la préservation des preuves qui pourront servir devant ces juridictions. Ces preuves, et plus particulièrement les nombreuses fosses communes inventoriées en partie par le Rapport Mapping, sont essentielles pour établir la responsabilité pénale des auteurs présumés des crimes internationaux commis en RDC. Les fosses communes restent parmi les preuves les plus décisives qui pourraient permettre à un tribunal indépendant de qualifier certains des actes de violence documentés dans le Rapport Mapping de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre ou de crimes de génocide.
En s’inspirant de la lettre adressée par le Gouvernement irakien aux Nations unies (S/2017/710), le Président de la république (ou le Gouvernement congolais) devrait adresser une lettre au Conseil de sécurité dans laquelle il demande l’aide de la communauté internationale et l’adoption d’une résolution du Conseil de Sécurité pour s’assurer que les auteurs présumés des crimes inventoriés dans le Rapport du Projet Mapping et dont l’identité est consignée dans la base de données confidentielle maintenue par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, répondent des crimes qu’ils auraient commis en RDC, y compris lorsque ces crimes sont susceptibles de constituer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide. Par cette résolution, le Conseil de Sécurité des Nations Unies pourra prier le Secrétaire général de constituer une Équipe d’enquêteurs, dirigée par un Conseiller spécial et intégrée dans la MONUSCO, à l’appui des efforts engagés à l’échelle nationale pour amener les auteurs présumés de ces actes, en particulier ceux qui portent la responsabilité la plus lourde, à rendre des comptes, en recueillant, conservant et stockant des éléments de preuve en RDC d’actes susceptibles de constituer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide perpétrés en RDC, selon les critères les plus rigoureux, qui devraient être définis dans le mandat de cette équipe d’enquêteurs. Les éléments de preuve relatifs à ces crimes, notamment ceux recueillis par l’Equipe d’enquêteurs lors de l’excavation des fosses communes, devraient être utilisés dans le cadre de procédures pénales justes et indépendantes menées, conformément au droit international applicable, devant les tribunaux compétents, nationaux, internationaux et internationalisés.
Il devrait être précisé dans le mandat de l’Equipe d’enquêteurs que des magistrats congolais et d’autres experts en droit pénal, y compris des membres expérimentés des services de poursuites, devront être nommés en son sein pour travailler aux côtés d’experts internationaux sur un pied d’égalité. Par cette mesure, l’Equipe d’enquêteurs deviendrait une équipe mixte.
Le mandat de cette équipe d’enquête pourrait s’inspirer du mandat de l’Equipe d’enquêteurs des Nations Unies chargée de concourir à amener Daech/État islamique d’Iraq et du Levant à répondre de ses crimes.
La constitution d’une telle équipe d’enquêteurs est aujourd’hui une priorité. Elle est un élément essentiel et indispensable d’une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle mettant l’accent sur la lutte contre l’impunité et donc sur les mécanismes judiciaires.
Un nouveau rôle pour la MONUSCO et le BCNUDH
Il faut remarquer que le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a pas créé lui-même par une Résolution le tribunal mixte à l’intérieur du système judiciaire centrafricain mais qu’il a appelé les autorités centrafricaines à mettre en place certaines mesures relatives à la justice transitionnelle et a mandaté la Mission des Nations Unies sur le terrain, la MINUSCA, de les soutenir dans ces efforts. En particulier, le Conseil de sécurité a demandé au gouvernement de prendre des mesures immédiates et concrètes visant à lutter contre l’impunité, notamment en rétablissant l’administration de la justice pénale et de rendre la Cour pénale spéciale “opérationnelle dans les meilleurs délais” . Le Conseil de sécurité a donné à la MINUSCA le mandat de fournir une assistance technique pour la mise en place de la Cour pénale spéciale et un appui au renforcement de la capacité des autorités centrafricaines en particulier dans les domaines des enquêtes judiciaires et du droit à un procès équitable et à une procédure régulière. Pourquoi ce rôle important attribué à la MINUSCA en République centrafricaine ne pourrait-il être attribué à la MONUSCO en République Démocratique du Congo ?
Au moment où le Gouvernement de la RDC et les Nations Unies négocie une stratégie commune sur le retrait progressif et échelonné de la MONUSCO et donc le contenu d’un nouveau mandat pour la Mission, celui-ci devrait être fortement axé sur l’appui à la mise en place des mécanismes judiciaires et extra-judiciaires de justice transitionnelle. Ce mandat devrait intégrer, dès que possible, la constitution de l’Equipe d’enquêteurs des Nations Unies chargée de concourir à amener les auteurs présumés de crimes internationaux à répondre de leurs crimes. Il devrait également comprendre un appui solide à la mise en place des deux types de juridictions mixtes, recommandées par le Rapport Mapping.
Droit à la vérité
Il faut aussi veiller à ce que le droit des victimes à la vérité soit respecté. Le projet de Décret actuellement à l’étude au Ministère des Droits Humains propose de créer une « Commission de Justice Transitionnelle et de Réconciliation », CNJTR en abrégé qui n’est en fait que le remake de la première Commission Vérité et Réconciliation (CVR) qu’a connu la RDC de 2003 à 2006 et qui a complètement failli à sa mission.
Les commissions de vérité sont des instances provisoires mises en place par des gouvernements, généralement « de transition » (de la dictature vers la démocratie, de la guerre vers la paix), pour établir une « vérité » sur les principales violations des droits de l’homme, planifier les réparations à octroyer aux victimes, et, dans des cas peu nombreux, appuyer une politique de poursuites judiciaires limitées (en transmettant leurs conclusions aux tribunaux, en octroyant des amnisties individualisées…).
La CNJTR proposée, « commission chargée de mettre en œuvre la politique nationale de justice transitionnelle en République Démocratique du Congo, en vue d’assurer la médiation et la réconciliation entre les auteurs et les victimes des crimes graves et procéder aux réparations nécessaires en faveur des victimes » n’est qu’une mauvaise photocopie de la première CVR et en reproduit tous les défauts bien connus qui ont conduit à son échec : manque d’indépendance de sa composition, structures bureaucratiques, mandat irréaliste comprenant un double mandat de recherche de la vérité et de médiation, etc.
En l’état actuel, la CNJTR ne pourra pas « mettre en œuvre la politique nationale de justice transitionnelle en République Démocratique du Congo » puisque cette politique n’existe pas. Elle sera plutôt une commission qui pourrait protéger les auteurs d’exactions de futures poursuites judiciaires, qui poursuit un objectif de réconciliation irréaliste et qui va doublonner le travail de recherche de la vérité déjà en très grande partie accompli par le projet « Rapport Mapping ».
Les Congolais.es ne veulent pas d’une « Commission Justice transitionnelle et Réconciliation » qui n’aura de justice que le nom. Ils/Elles ne veulent pas que la Justice soit la première victime de la Vérité. Les Congolais.es ne veulent pas d’une CVR qui soit une solution « faute de mieux » ou « par défaut », compensant l’absence de poursuites judiciaires systématiques au moyen de la reconnaissance d’une « vérité » historique et de l’éclaircissement de quelques cas individuels. Une « Commission de Justice Transitionnelle et de Réconciliation » ne doit pas venir faire obstacle à une application du droit et à l’incrimination des auteurs présumés des crimes internationaux commis en RDC. Il y a lieu de craindre qu’une nouvelle Commission Vérité et Réconciliation ou une CVR bis soit utilisée comme la seule réponse à l’impunité, flouant les victimes et reportant les mesures de justice pénale aux calendes grecques.
De plus, le Rapport Mapping a, en très grande partie, déjà fait le travail d’une commission vérité nationale et a rempli la plupart des fonctions d’une commission de vérité. Ces fonctions sont décrites par l’International Center for Transitional Justice (ICTJ) dans son « manuel » : Recherche de la vérité, Eléments pour la création d’une commission de vérité efficace : Préparer un rapport établissant un bilan historique précis et impartial des violations des droits humains ; Collecter des informations ; Protéger l’intégrité et le bien-être des victimes ; Mener des activités de sensibilisation pédagogique ; Offrir des propositions politiques pour garantir que les violations ne se répètent pas ; Soutenir le travail du système judiciaire ; Promouvoir la réconciliation communautaire et nationale. Outre cette dernière fonction de « réconciliation », une seule des autres tâches d’une Commission vérité n’a malheureusement pas été réalisée par le Projet de Mapping : « Mener des activités de sensibilisation pédagogique ». On ne voit pas l’intérêt qu’il y aurait à recréer une CVR officielle ou une CNJTR en RDC pour uniquement combler cette carence et remplir cette fonction. En effet, ces activités de communication et de sensibilisation prennent aujourd’hui la forme d’activités d’un « travail de mémoire » qui permettent l’expression publique des victimes (si elles le souhaitent bien sûr) et qui sont aussi de véritables mécanismes non officiels de recherche de la vérité, le plus souvent mis en œuvre par des associations de victimes et des organisations de la société civile. Il s’agit d’activités qui se multiplient aujourd’hui telles les marches de lutte contre l’impunité, la construction de monuments, les journées et cérémonies commémoratives des victimes des massacres, la construction d’un Mémorial en ligne www.memorialrdcongo.org , les demandes d’ouverture et d’exhumation des fosses communes, etc.
Enfin, d’autres considérations invitent à un usage réfléchi de la notion de « réconciliation », notamment en raison de la nature internationale des conflits qu’a connu la RDC et sur lesquels la tâche d’une Commission Vérité et Réconciliation devrait porter. On l’a vu, la RDC a connu des conflits internationaux ou internationalisés durant lesquels les forces armées de plusieurs pays ont été engagées. Il n’est pas évident que, dans un tel contexte international de commission des crimes, une CVR purement congolaise avec un mandat de «réconciliation nationale» permettrait de contribuer à une réconciliation entre Congolais alors qu’il s’agit plutôt de contribuer à une « réconciliation internationale » entre Etats qui ont été engagés dans ces conflits. Dans cette perspective, ne faudrait-il pas songer plutôt à la mise en place d’un mécanisme de recherche de la vérité de dimension internationale ou régionale.
En matière de mécanismes de recherche de la vérité, la stratégie de justice transitionnelle pourrait donc s’articuler en 3 directions :
1/ Apporter un soutien aux mécanismes non officiels de recherche de la vérité et à toutes les initiatives mémorielles mises en œuvre par les communautés et organisations de victimes, par les OSC, par les confessions religieuses, etc.
2/ Mettre en place une « Commission de vérité et réconciliation de la région des Grands Lacs », instance régionale qui se consacrerait à l’établissement des faits sur les crimes internationaux et autres graves violations des droits de l’homme commises pendant les conflits armés internationaux dans la région des Grands Lacs et qui ont impliqués la RDC et plusieurs Etats tiers.
3/ Mettre en place plusieurs Commissions Vérité et Réconciliation provinciales centrées sur plusieurs des conflits armés internes qu’a connu (et parfois connaît encore) la RDC. Ces CVR « provinciales » pourraient traiter les graves violations commises, par exemple, dans les zones suivantes : Kasaï central, , Shaba (Katanga), Nord-Kivu, Sud-Kivu (Hauts plateaux / Minembwe), Ituri, etc.
Droit à la réparation
La mise en place, par Décret, d’un établissement public dénommé « Fonds d’indemnisation des victimes des crimes graves en République Démocratique du Congo » ne peut pas faire l’économie de la définition d’une stratégie et d’un programme national en matière de réparation. En raison du grand nombre de victimes et au regard de la complexité des réparations à mettre en oeuvre, il serait judicieux de confier l’élaboration et la gestion d’un programme national de réparations à un organe spécifique. Cette institution nationale devrait identifier les spécificités des conflits en RDC, notamment leur caractère international, ayant une incidence sur l’approche à adopter pour chaque type de réparation (restitution, satisfaction, réadaptation, indemnisation). Elle devrait se pencher sur les modalités de mise en œuvre des réparations, arriver à une vision des préjudices subis centrée sur les victimes et sensible au genre, et formuler des recommandations sur les diverses formes de réparations individuelles ou collectives les plus appropriées selon les diverses catégories de victimes. Enfin, un fonds fiduciaire ou un « Fonds d’indemnisation des victimes des crimes graves » pourrait être mis en place, afin de fournir les ressources indispensables à la mise en œuvre du programme national de réparation.
Droit des victimes à des garanties de non-répétition
Dans les situations de transition faisant suite à un régime autoritaire ou à un conflit armé, comme c’est le cas en RDC, les garanties de non-répétition ou de non-renouvellement représentent, dans un cadre de justice transitionnelle, des mesures conçues pour empêcher que des violations graves des droits de l’homme ne se reproduisent à l’avenir. Les garanties de non-répétition peuvent comprendre un large éventail de mesures et se décliner sous différentes formes, notamment la réforme des institutions, le démantèlement des groupes armés, l’assainissement des forces de sécurité et de l’appareil judiciaire, la protection des défenseurs des droits de l’homme, la fourniture d’une formation relative aux droits de l’homme aux forces de sécurité, etc. Elles impliquent une association d’actions délibérées et diverses qui contribuent à réduire la probabilité de la répétition de violations.
Où en sommes-nous aujourd’hui en RDC en ce qui concerne ces garanties de non-répétition et plus particulièrement le processus de réforme des forces de sécurité, notamment de la police, de l’armée et des services de renseignement ? Le processus de réforme des FARDC n’a jusqu’à ce jour aucunement intégré les préoccupations de la justice transitionnelle. Plutôt que faire sortir de l’armée les suspects de violations graves on les y a fait entrer. Le processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), visant à désarmer les combattants et à leur donner un choix entre le retour à la vie civile ou l’intégration dans l’armée nationale, a conduit, en vertu du principe d’inclusivité consacré dans les accords de paix, à intégrer dans les institutions politiques mais aussi dans les services de sécurité de nombreux éléments de groupes armés présumés responsables de violations graves. Le Rapport Mapping fait le constat que de nombreuses personnes soupçonnées de violations graves du droit international humanitaire se trouvent aujourd’hui dans plusieurs institutions, notamment dans les hauts rangs de l’armée. Pendant la transition et au cours des années qui l’ont suivie, plusieurs nominations d’individus dénoncés comme étant responsables de crimes graves commis en RDC, dont certains pour des faits remontant à la période couverte par le rapport, sont devenus gradés lors de leur intégration dans l’armée nationale. Les décisions des gouvernements congolais successifs vont ainsi clairement à l’encontre des mesures de vetting (assainissement) réclamées par le Conseil de sécurité, les Rapporteurs des sept procédures spéciales thématiques sur l’assistance technique au Gouvernement de la RDC, le Groupe d’experts pour la RDC ainsi que par la société civile congolaise.
Assainir les FARDC aurait un impact très important non seulement sur l’augmentation du niveau de « républicanisme » de l’armée nationale , mais aussi sur la protection des victimes et des témoins qui vivent sous la menace des représailles que pourraient exercer leurs anciens bourreaux ainsi que sur la protection des populations civiles, mandat prioritaire de la MONUSCO, qui peuvent légitiment craindre de voir aujourd’hui les mêmes officiers reproduire à leur encontre les mêmes exactions que celles subies dans le passé.
Le processus d’assainissement, composante de la réforme du secteur de sécurité en RDC, devrait donc prioritairement être appliqué aux FARDC. Il ne devrait pas cependant épargner la police, car si la majorité des personnes contre qui pèsent de sérieuses allégations de violations graves des droits de l’homme ont été intégrées dans l’armée, d’autres, issues notamment des groupes maï maï, ont été aussi intégrées dans la police nationale. Les services de renseignements et de sécurité, tels l’ANR (Agence Nationale de Renseignement), la DEMIAP (Détection militaire des activités anti-patrie), etc. hérités de l’époque mobutiste, n’ont été ni assainis ni réformés, ce qui explique facilement les nombreuses violations des droits de l’homme et atteintes aux libertés fondamentales qu’ils continuent à commettre jusqu’à ce jour..
Il est primordial de réformer les institutions militaires, judiciaires et de maintien de l’ordre, ainsi que les services de renseignements et les institutions chargées de la lutte contre la criminalité, afin qu’ils puissent remplir leurs rôles constitutionnels tout en respectant l’état de droit et les droits fondamentaux. La réforme des institutions doit s’accompagner d’un assainissement du personnel (vetting), c’est-à-dire veiller notamment à ce que les personnes ayant commis de graves violations ne restent pas au sein de ces institutions, et que les antécédents droit de l’homme de ceux qui postulent à des postes dans de telles institutions soient vérifiés.
En conclusion, au moment où l’on parle de plus en plus de « Stratégie commune sur le retrait progressif et échelonné de la MONUSCO », il est urgent de demander au Conseil de sécurité non pas de décider d’un retrait pur et simple de toute la Mission, mais plutôt de reconfigurer son mandat, de maintenir et même de renforcer les composantes et les équipes appropriées indispensables afin de lui faire jouer un rôle essentiel dans la mise en œuvre des mécanismes judiciaires et extra-judiciaires de justice transitionnelle.
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*Luc Henkinbrant est docteur en Droit (UCL), Ancien directeur d’Amnesty International Belgique Francophone (AIBF) (1985-1995), Ancien Human Rights Officer et Coordonnateur de l’Unité de lutte contre l’impunité et de justice transitionnelle du BCNUDH en RDC (2001-2011), Professeur invité à l’Université Catholique de Bukavu (UCB) depuis 2013 (Cours : DPI, DIH, Mécanismes de la Justice Transitionnelle) et à l’ACAMIL (Académie militaire de la RDC)(2014), Cofondateur et Conseiller juridique de l’Observatoire de la parité et de l’égalité H/F depuis 2008 et conseiller éditorial de son média féministe en ligne www.deboutcongolaises.org
Contact : luc.henkinbrant@gmail.com
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il est imperatif que le congo la rdc se dote d’ un outil comme le tribunal penal international
n’ayont pas peur des occidentaux qui utilisent nos voisins comme des sous traitants pour detruire un peuple innocent a cause de sa propre richesse.
vive la justice rien que la justice pour un avenir certain