Le président congolais a pris ce week-end la tête de l’Union africaine (UA) pour une année. Un mandat qui offre une chance à Félix Tshisekedi de conforter sa stature internationale et de renforcer sa légitimité en interne.
Le timing est idéal pour Félix Tshisekedi. Après une violente crise politique interne et la rupture avec son partenaire Joseph Kabila, l’horizon s’éclaircit pour le président congolais avec la reprise en main de l’Assemblée nationale et, sans doute, bientôt du Sénat. La situation politique intérieure quasi stabilisée, Félix Tshisekedi peut désormais prendre les rênes de l’Union africaine avec une certaine sérénité. Le rendez-vous a été minutieusement préparé depuis plusieurs mois par une cellule spéciale pilotée par Alphonse Ntumba Luaba, coordonnateur du « panel » chargé d’accompagner la mandature du président Félix Tshisekedi à la tête de l’Union africaine.
A la recherche d’une stratégie sanitaire africaine
Les dossiers chauds ne vont pas manquer sur le bureau du nouveau président de l’Union africaine. Sur le plan sanitaire tout d’abord, la crise du Covid-19 reste toujours sur le haut de la pile. Si l’Afrique a été peu touchée par la première vague, avec seulement 4% des morts officiellement recensés dans le monde, la seconde vague est plus préoccupante et le continent peine à accéder aux vaccins. Une véritable stratégie sanitaire est attendue de la part de l’institution panafricaine : l’Afrique aura besoin de 1,5 milliard de doses pour vacciner 60 % de sa population et espérer une immunité collective. L’impact économique de la pandémie a également fortement frappé de le continent.
Ramener la paix
L’autre dossier brûlant est sécuritaire. De nombreux conflits menacent encore la sécurité du continent, en Ethiopie, au Sahel, en Libye, en République centrafricaine, au Nigeria, au Cameroun et bien sûr à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Le président Tshisekedi aura donc du pain sur la planche pour tenter de ramener la paix dans ces zones, alors que l’Union africaine n’a jamais démontré son efficacité pour résoudre les conflits. Les solutions sous-régionales devraient être privilégiées. Félix Tshisekedi espère pouvoir peser sur deux dossiers. Tout d’abord sur les différends qui opposent l’Ouganda et le Rwanda. Le président congolais avait déjà été à l’initiative de réunions quadripartites sur le sujet. Et enfin sur le conflit qui oppose les riverains du Nil avec la construction d’un grand barrage en Ethiopie qui affecterait l’approvisionnement en eau de l’Egypte et du Soudan. En visite récente au Caire, Félix Tshisekedi a promis de s’impliquer pour trouver une solution.
Capitaliser sa présidence en interne
En prenant la tête de la présidence tournante de l’Union africaine, l’objectif est double pour le chef de l’Etat congolais. Marquer le retour de la RDC dans le concert des nations en faisant avancer les principaux dossiers panafricains. Mais aussi, et surtout, obtenir des retombées positives significatives pour la RDC et les Congolais. On pense au méga projet hydroélectrique du grand barrage d’Inga, qui pourrait alimenter plusieurs pays africains, mais qui peine encore à décoller. En quête de légitimité sur la scène internationale, le président congolais l’est aussi sur la scène congolaise après son élection contestée de 2018. Félix Tshisekedi compte bien profiter de son mandat à la présidence de l’UA pour asseoir sa stature internationale mais aussi pour faire oublier son prédécesseur Joseph Kabila, toujours en embuscade pour reprendre le pouvoir au Congo.
Soutien international
En pleine offensive politique pour éclipser le camp pro-Kabila des institutions congolaises, le président congolais a déjà mis la main sur la majorité à l’Assemblée nationale, récupérer le poste de Premier ministre pour son « Union sacrée », avant sans doute de prendre le Sénat. Le coup de pouce de la présidence de l’Union africaine devrait permettre à Félix Tshisekedi d’accélérer ses réformes avec le soutien de ses pairs africains, mais aussi avec celui du nouveau président américain, Joe Biden, qui promet « un partenariat plus resserré avec l’Afrique ». Toutes les planètes semblent donc s’aligner pour le chef de l’Etat congolais.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Toutes les planètes semblent s’aligner pour Tshisekedi, nous dit-on ici, mais encore ? Mais encore quels sont les réels atouts propres dont dispose le president Congolais pour ne pas rater son mandat à l’Union Africaine ?
On énumère ici sa victoire en interne face au Fcc qui vient de perdre tous ses bastions institutionnels et un bénéfice substantiel des Congolais ralliés à sa cause mais aussi sa présidence factuelle de l’Union Africaine, factuelle parce que non due à ses qualités personnelles mais au tour chronologique du Congo de la présider.
Qu’en est-il exactement de la stabilité politique acquise au pays ? L’Union Sacrée de la Nation (USN) est largement son oeuvre mais n’oublions pas que non seulement elle est en construction mais aussi que derrière elle sont tapis des partenaires étrangers qui l’ont imaginée et favorisée. Au-delà de la volonté des Americains à en finir avec ‘JK’ qui leur avait notamment fermé le pactole minier du pays pour la Chine, que pensent-ils des qualités et capacités de Tshisekedi à gérer le Congo ? C’est un point important si l’on veut mesurer leur implication dans la durée auprès de Tshisekedi, le premier cap passé. Surtout si l’homme et le président Tshisekedi ne remplissent pas toutes les conditions attendues ; un Tshisekedi en homme de transition n’est pas une fiction…
Que pensent réellement les pairs de Tshisekedi à l’UA dont l’absence physique à Addis Abeba pour cause de Cornavirus n’a pas empêché à
une poignée d’entre eux d’aller à Brazzaville le même jour. Et lorsque dans un passé récent Tshisekedi a pris des positions précipitamment définitives et parfois contraires à la doxa africaine sur le Sahara occidental, sur la querelle autour du barrage de Nil, sur la défense des Palestiniens face à Israël… et plus généralement lorsque Tshisekedi donne l’image d’un homme versatile qui ne respecte pas toujours sa parole, ses engagements (Geneve, Nairobi…) ?
Bref je reste relativement réservé quant à célébrer d’ores et déjà les atouts de Tshisekedi que je lis ici. Il a encore à prouver ses capacités à mener de concert une bonne gouvernance de son pays et une bonne présidence de l’UA. Je pense ici notamment à ses dérapages sur l’Etat de droit qu’il proclame pourtant allègrement, dans les dernières péripéties autour de diverses destitutions. Il y’a là comme des germes d’une dictature qui ne dit pas son nom et dont l’on sait qu’à terme elle n’est presque jamais efficace et bénéfique pour les pays.
Quelles garanties supplémentaires sa présidence de l’institution continentale apporte-t-elle au succès de son mandat dans son pays, quelles retombées positives previsibles pour le Congo et les Congolais malgré les évidences émises ici ? Je ne plaiderais pas aussi vite pour elles malgré l’apparente logique, ses deux mandats concomitants pouvant représenter au contraire une difficulté de plus…