Le procès de l’ancien chef rebelle Roger Lumbala à Paris pourrait ouvrir la boîte de Pandore sur les rôles des ex-seigneurs de guerre congolais. Jean-Pierre Bemba, allié politique de poids du président Félix Tshisekedi, pourrait se retrouver fragilisé pour sa participation présumée aux crimes commis en RDC entre 2002 et 2003.

C’est un drôle de procès qui se déroule actuellement au Palais de justice de Paris. La personnalité de l’accusé tout d’abord. Roger Lumbala, 67 ans, est un ancien rebelle congolais, accusé de « complicité de crimes contre l’humanité » commis à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) entre 2002 et 2003. Le procès revêt également un aspect historique. C’est en effet la première fois qu’un Congolais est jugé en France pour des crimes commis en RDC, au titre de la compétence universelle. La méthode de défense de Roger Lumbala, ensuite, qui est peu orthodoxe. Dès le premier jour, l’ex-rebelle récuse ses avocats et annonce qu’il refusera, à l’avenir, de comparaître. Le chef du RCD-N estimera ensuite la justice française illégitime. « La France n’est pas compétente pour me juger, vous allez me juger tout seuls ». Roger Lumbala dénoncera enfin la composition de la Cour, composée exclusivement de « blancs » et qui « ne maîtrise rien de la situation en République démocratique du Congo ». Les jours suivants, Roger Lumbala restera en cellule et annoncera entamer une grève de la faim.
La compétence universelle contestée
Ce début chaotique n’étonnera pas les ONG présentes aux assises de Paris et venues soutenir les victimes. Pour Daniele Perissi, responsable du programme RDC de Trial International, « Les tactiques de Lumbala ne sont qu’une distraction et une tentative d’échapper à toute responsabilité. Nous avons déjà vu cela auparavant, lors du procès de Bosco Ntaganda devant la Cour pénale internationale (CPI), et cela a échoué. Les victimes attendent justice depuis plus de 20 ans. Il appartient à la Cour de veiller à ce que la justice différée ne devienne pas la justice refusée. » Décidé à se taire et à ne plus se faire représenter par ses avocats, Roger Lumbala espérait pouvoir convaincre la justice que son procès ne pouvait se tenir à Paris, à plus de 8000 kilomètres du Congo. Ses avocats contestaient la compétence universelle, arguant qu’une demande d’extradition de Roger Lumbala avait été demandée par la RDC dès 2013, renouvelée par trois fois en 2025 et refusée par la France. Ce qui rendait caduque la tenue d’un procès en France puisque la RDC réclamait vouloir juger sur son territoire l’ancien chef rebelle.
Pas de procès équitable en RDC
En y regardant de plus près, la demande d’extradition concernait la période où Roger Lumbala était poursuivis pour s’être rallié aux rebelles du M23, en 2013, et non pour les commis entre 2002 et 2003 en Ituri. « À aucun moment, ces 20 dernières années, la justice congolaise n’a entrepris d’enquête sur ces crimes » souligne Clément Boursin responsable Afrique subsaharienne d’ACAT-France (1). « Si la justice congolaise voulait réellement juger ces faits, elle aurait entrepris des enquêtes. Ce qui n’a jamais été fait. Il aura fallu une arrestation et une procédure judiciaire menée en France pour que la RDC se réveille » ironise le défenseur des droits humains. Quant à la compétence universelle, les avocats des parties civiles estiment que la RDC ne peut offrir un procès équitable à Roger Lumbala. Le président Félix Tshisekedi avait lui-même qualifié sa justice de « malade », et le moratoire contre la peine de mort a récemment été levé, même si aucune exécution n’a eu lieu.
Jean-Pierre Bemba cité dans le rapport mapping
On peut pourtant se demander pourquoi Kinshasa a renouvelé récemment sa demande d’extradition et si la RDC tient réellement à reprendre la main sur le dossier Lumbala ? Pour tenter de répondre à la question, il faut replonger dans la deuxième guerre du Congo, entre 2002 et 2003, dans les provinces de l’Ituri et du.Nord-Kivu. Le RCD-N, le mouvement politico-militaire piloté par Roger Lumbala, affronte aux côtés du bras armé du MLC, le parti de Jean-Pierre Bemba, le RCD-KML de Mbusa Nyamwisi. L’opération « Effacer le tableau » est alors lancée, au cours de laquelle des atrocités, des exécutions sommaires et des viols, seront commis, particulièrement contre les minorités ethniques Nande et Bambuti. Pour se défendre, Roger Lumbala affirme avoir uniquement endossé le costume de politique et récuse avoir joué un rôle militaire. Pour lui, ce sont les troupes de Jean-Pierre Bemba qui opéraient majoritairement. C’est d’ailleurs en substance ce que laisse entendre le rapport mapping des Nations unies, qui documente cette période et explique que le mouvement de Roger Lumbala agissait plutôt en sous-traitant du MLC.
Lumbala « ne disposait que de peu de troupes en propre »
Le RCD-N « est un petit mouvement politico-militaire apparu en 2001 et présent militairement dans les régions d’Isiro et de Watsa, détaille le rapport onusien. Ce mouvement (…) ne disposait sur le terrain que de peu de troupes en propre ». Une moindre participation, si l’on en croit le rapport mapping, qui n’exempt pas Roger Lumbala de sa responsabilité dans les crimes commis, puisque le chef du RCD-N est poursuivi pour « complicité de crimes contre l’humanité ». Mais cette omniprésence de l’actuel ministre des Transports, Jean-Pierre Bemba, dans l’opération « Effacer le tableau » interroge. Tout comme le rôle de Constant Ndima qui commandait les troupes de Bemba sur le terrain. Le procès devrait nous éclairer sur les rôles de chacun. Le donneur d’ordres était-il Bemba, et Lumbala un simple exécutant de basses oeuvres ? Ou bien Roger Lumbala avait-il un rôle plus pro-actif et autonome ?
Les fantômes du passé
Le système de défense de l’ancien chef rebelle s’est effondré lorsqu’il s’est rendu compte que le procès avait toutes les chances d’aller à son terme et que « charger » Jean-Pierre Bemba n’atténuerait pas sa responsabilité. Quant au pouvoir de Kinshasa, pourquoi replongerait-il dans la mélasse des crimes des guerres du Congo, alors que de nombreux acteurs jouent encore des rôles de premiers plans ? Dans le contexte de crise sécuritaire et politique actuel, Félix Tshisekedi n’a pas intérêt à réveiller les fantômes du passé, et à préserver un allié politique encore utile, en la personne de Jean-Pierre Bemba.
Bemba et Ndima témoins ?
Mais attention, les prochains jours pourraient bien jeter une lumière crue sur les rôles de Jean-Pierre Bemba et du commandant militaire de ses troupes, Constant Ndima. La défense de Roger Lumbala a en effet demandé à entendre Jean-Pierre Bemba et Constant Ndima comme témoins. Un système de visioconférence est prévu d’être installé à Kinshasa pour recueillir leurs témoignages. Si on peut douter que l’actuel ministre des Transports et l’ancien gouverneur du Nord-Kivu acceptent d’être entendus, la chronologie et les crimes commis pendant l’opération « Effacer le tableau » seront méticuleusement détaillés devant la Cour. Le niveau de responsabilité de Roger Lumbala devra être évalué. Et ce qui sera dit devant les assises de Paris pourrait avoir des répercussions importantes sur l’actuel ministre des Transports et son poids politique dans la majorité présidentielle. Jean-Pierre Bemba pourrait devenir un allié encombrant pour Félix Tshisekedi. D’autant qu’il y a peu de doute sur les ambitions présidentielles du patron du MLC. Le procès de Paris pourrait finalement servir de prétexte à Kinshasa pour écarter un concurrent politique si les accusations contre Jean-Pierre Bemba devenaient gênantes.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
(1) ACAT – Action des chrétiens pour l’abolition de la torture


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