La Cour de cassation vient de confirmer le non-lieu dans l’instruction initiée par le juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière pour rechercher les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994 à Kigali, contre l’avion du président rwandais, son entourage et l’équipage français. L’assassinat de Juvénal Habyarimana servit de signal à l’extermination des Tutsis du Rwanda. En 2006 le juge Bruguière avait désigné le Front patriotique rwandais (FPR) et son chef Paul Kagame comme les auteurs de l’attentat. Une accusation qui s’est révélée le résultat d’une « enquête » grossièrement manipulée par la famille Habyarimana et ses séides.
Par jean-François Dupaquier
Le capitaine de gendarmerie Paul Barril, ancien membre de la cellule des « gendarmes de Mitterrand », était présent au Rwanda début avril 1994, comme il le reconnaît dans son livre « Guerres secrètes à l’Elysée » (Ed. Albin Michel, 1996). Reconverti à cette époque en « privé » [mercenaire] vendant ses services à divers chefs d’Etat en Afrique, il n’a jamais expliqué ce qu’il faisait en ce jour fatidique du 6 avril 1994 lorsque son client Juvénal Habyarimana, président du Rwanda est mort abattu par un missile dans le Falcon 50 en phase d’atterrissage à Kigali. Paul Barril est aussitôt passé au service d’Agathe Habyarimana, la veuve de Juvénal. Il a répété urbi et orbi que le Front Patriotique Rwandais, le mouvement rebelle à majorité tutsie qui s’apprêtait à partager le pouvoir, était à l’origine de l’attentat. Il a argumenté que le FPR et son chef Paul Kagame avaient commis cet acte pour provoquer le chaos et prendre le pouvoir, comme ce fut le cas trois mois de guerre et un million de morts plus tard.
Comme si la guerre civile était gagnée d’avance…
Le mercenaire Barril passe d’un client à sa veuve
En 1997 Paul Barril tenta de déclencher une enquête judiciaire au nom d’Agathe Habyarimana et de sa parentèle. Mais les plaignants étaient des étrangers, on lui opposa le droit. Paul Barril ne se découragea pas. En 1998, il persuada les veuves et les enfants des trois Français composant l’équipage du Falcon de se joindre à la plainte. Le juge Jean-Louis Bruguière fut chargé du dossier quelques semaines avant que commencent les travaux de la Mission d’information parlementaire (MIP) sur le rôle de la France au Rwanda, présidée par l’ancien ministre de la Défense Paul Quilès.
Des membres de la Mission d’information parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda souhaitaient entendre Paul Barril, pour tenter de comprendre son rôle trouble dans la tragédie qui avait emporté les trois-quarts des Tutsi du Rwanda et de nombreux Hutus opposants aux « génocidaires ». Mais Paul Quilès les persuada que c’était inenvisageable : selon le principe de la séparation des pouvoirs, les parlementaires ne pouvaient interférer dans une enquête judiciaire. Le juge Bruguière les ayant devancés avait le pouvoir de faire clore leurs travaux. Etait-ce exact ?
Bien joué pour Paul Barril
En tout cas, c’était bien joué pour Paul Barril qui semblait avoir table ouverte au cabinet du juge d’instruction. Sur ses conseils, Bruguière auditionna les membres de la parentèle Habyarimana et divers témoins qui étaient les clients de la famille ou les obligés du mercenaire, parmi lesquels se trouvaient même des journalistes français et camerounais. Tous exprimaient la même conviction : Paul Kagame, devenu « l’homme fort » du Rwanda, avait commandité l’attentat. Dans une instruction inquisitoriale secrète et menée uniquement à charge, Jean-Louis Bruguière et son équipe de policiers de la Division nationale anti-terroriste (DNAT) mirent moins d’un an à se persuader que Barril disait vrai.
Cependant, le juge avait la religion de l’aveu. Coup de chance, des Rwandais étaient prêts à témoigner qu’ils avaient fait partie du commando ayant abattu l’avion sur ordre de Paul Kagame. Mystérieusement exfiltrés d’Ouganda et amenés jusqu’au cabinet du juge Bruguière, ils livrèrent force détails sur leur rôle personnel dans l’attentat.
Des faux témoins et un faux interprète « impartial »
Le juge Bruguière allait-il faire emprisonner ces individus qui se reconnaissaient responsables de la mort – entre autres – de trois Français ? Pas du tout : choyés par l’équipe de la DNAT, ils se voyaient proposer un asile politique négocié dans les pays nordiques. Ceux qui ne parlaient pas français avaient eu pour un interprète un curieux expert : Fabien Singaye, ancien chef du réseau d’espionnage rwandais en Europe, gendre de Félicien Kabuga le « financier du génocide »… et ancien salarié de Paul Barril.
Comme si cela ne suffisait pas, l’équipe du juge Bruguière alla interroger les détenus du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha (Tanzanie). Très bien informés des dessous de l’enquête par leur agent camerounais, les « gros bonnets » du génocide des Tutsis firent fête aux policiers français. Ils se disaient des victimes. C’était Paul Kagame qui avait « sacrifié les Tutsis », pas eux ! La « colère populaire spontanée » des Hutus avait fait le reste, à leur corps défendant. La lecture de leurs PV d’audition montre que les hommes de la DNAT compatissaient !
Un agent des « génocidaires » infiltré dans l’équipe Bruguière
A la décharge de Jean-Louis Bruguière et de ses officiers de police judiciaire, il faut reconnaitre que des universitaires français et belge ont abreuvé le juge de fausses « expertises ». Nous n’étalerons pas les noms de ces intellectuels faussaires.
En 2006, le juge Bruguière rendit son « ordonnance de soit communiqué » qui constitue un résumé de l’enquête assorti de mandats d’arrêt contre les hauts-gradés rwandais accusée de l’attentat (Paul Kagame étant protégé par son statut de chef d’Etat). Après des années de secret de l’instruction, la diffusion de ce texte fit l’effet d’un coup de tonnerre. Jean-Louis Bruguière s’y livrait à une réécriture racialiste de l’histoire de Rwanda – pays où il n’avait pas jugé utile de se rendre.
L’ordonnance révélait les clefs d’une enquête stupéfiante de partialité. Aussitôt le Rwanda rompit ses relations diplomatiques avec Paris. Elles ne seront rétablies que quatre ans plus tard sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Une réécriture racialiste de l’histoire du Rwanda
En mars 2007, Jean-Louis Bruguière avait apporté son soutien à Nicolas Sarkozy. Il se présenta aux élections législatives qui suivent la présidentielle dans la troisième circonscription de Lot-et-Garonne. Durant la campagne, l’incompatibilité de sa candidature avec ses fonctions de magistrat conduit le Conseil supérieur de la magistrature à obtenir sa démission de la magistrature. Le dossier de l’attentat est alors repris par le juge d’instruction Marc Trévidic.
Pragmatique, ce dernier se rend à Kigali pour enquêter et ordonne une expertise balistique. Les débris de l’avion son analysés pour la première fois (Jean-Louis Bruguière n’y avait pas pensé). En 2012, l’expertise démontre que les tireurs des missiles étaient postés dans le camp Kanombe de la Garde présidentielle ou à ses abords immédiats. Un commando du FPR ne pouvait avoir accès à ce site voisin de la résidence présidentielle, l’endroit le plus sécurisé du Rwanda.
Un enquête balistique ? Bruguière n’y avait pas pensé…
Dès lors, les sociologues faussaires pouvaient se démener, l’enquête Bruguière était définitivement discréditée. Il ne reste à la famille Habyarimana qu’à tenter de présenter de nouveaux « témoins cruciaux » et à user de tous les artifices de procédure pour retarder le naufrage de l’accusation. Les avocats de l’Etat rwandais, Mes Bernard Maingain et Leff Forster, leur opposent des arguments convaincants. Le non-lieu est prononcé par les juges d’instruction et confirmé par la cour d’appel de Paris. La famille Habyarimana et ses séides font alors un pourvoi en cassation, qui vient d’être rejeté dans des termes sévères.
Dans l’ordre judiciaire français, le pourvoi en cassation représente le dernier recours qu’une personne puisse exercer contre une décision rendue en dernier ressort. Lorsque la Cour de cassation déclare le pourvoi irrecevable ou mal fondé, la décision est frappée de l’autorité de la chose jugée. L’enquête Bruguière est ainsi définitivement enterrée, après vingt-quatre années d’une caricature d’instruction qui a coûté très cher aux contribuables, a traîné dans la boue des innocents, attenté aux relations diplomatiques entre Paris et Kigali, et donné une image désastreuse de la justice française de par le monde.
Avec Bruguière, une image désastreuse de la justice française
Pour Me Bernard Maingain, « la défense a pu démontrer les multiples manipulations et falsifications d’une coalition d’intérêts hétéroclites motivés par des considérations étrangères à la recherche de la vérité judiciaire. Cette manipulation a échoué totalement. »
Faut-il se réjouir que le « juge » Jean-Louis Bruguière ne paye pas le prix de ce naufrage dont il a été l’initiateur, pas plus à titre personnel qu’à titre fonctionnel ? Il est actuellement Haut représentant de l’Union européenne auprès des États-Unis pour la lutte contre le financement du terrorisme dans le cadre du « Terrorism Finance Tracking Programme/ SWIFT ». Un mandat prestigieux et, paraît-il, très bien rétribué.
De leur côté, les intellectuels faussaires français qui ont contribué à l’escroquerie de l’instruction Bruguière persistent de nos jours à donner des leçons de déontologie.
Des faussaires toujours donneurs de leçons
Dans un communiqué diffusé peu après la publication de l’arrêt de la Cour de cassation, les avocats de l’Etat rwandais observent que « le génocide a été soigneusement planifié et préparé par ceux qui ont organisé le coup d’état des 6 et 7 avril 1994 et ceux qui les y ont aidés, ces mêmes personnes étant vraisemblablement impliquées dans l’attentat contre le Falcon. »
Les véritables auteurs de l’attentat qui a donné le « top-départ » au génocide courent toujours. A moins qu’il croupissent dans les prisons et les « maisons sécurisées » du Tribunal Pénal International qui avait laissé, bien à tort, le juge Bruguière s’occuper de ce chapitre introductif du génocide des Tutsis du Rwanda.
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1 – Rose Kabuye, Sam Kanyemera, James Kabarebe, Jackson Nziza, Charles Kayonga, Jacob Tumwine et Frank Nziza