Plusieurs fois ministre depuis 30 ans en Centrafrique, Jean Willybiro Sako croit en ses chances pour la prochaine élection présidentielle. Le candidat mise sur son expertise et sa « bonne gestion » pour convaincre. Cela sera-t-il suffisant pour s’imposer ? Interview.
La situation sécuritaire et humanitaire en Centrafrique peine à se stabiliser. Malgré la présence de 2000 soldats français et les forces africaines de la Misca, l’insécurité et les exactions perdurent. La nouvelle présidente de la transition, Catherine Samba-Panza, termine ses 100 premiers jours à la tête de la Centrafrique avec un bilan très mitigé. Elle est chargée de mener la Centrafrique aux élections en février 2015. Au vu de la situation chaotique du pays, il semble peu probable que le calendrier électoral soit tenu.
Plusieurs personnalités se sont pourtant déjà déclarées candidates pour la prochaine présidentielle, comme Martin Ziguélé ou Anicet Dologuélé. Jean Willybiro Sako s’est lancé dans la course à la présidentielle le 26 avril dernier à Bangui. Cet ancien magistrat à la retraite, de 68 ans, n’est pas un inconnu en Centrafrique. Plusieurs fois ministre, depuis son premier poste en 1980 à la « Sécurité publique » sous la présidence de David Dacko, Jean Willybiro a enchaîné les maroquins jusqu’en 2013. A cette date, il était ministre d’Etat à l’enseignement supérieur sous François Bozizé (destitué par la rébellion de la Séléka en mars 2013).
Pas certain que cette « longévité ministérielle » hors norme soit le principal atout de Jean Willybiro. Le candidat s’explique sur son rôle pendant ses 34 années au service de l’Etat. Willybiro mise sur sa bonne expertise de la machine étatique et sur sa « gestion rigoureuse » des ministères qu’il a tenu ou des misons qu’il a dirigé. Il affirme être aujourd’hui un « homme libre, qui a des principes et n’a jamais succombé à la corruption« . Sur le conflit centrafricain, Jean Willybiro ne pense pas qu’il s’agit d’un conflit interreligieux et ne croit pas non plus au retour des ex-Séléka à la lutte armée. Nous avons rencontré Jean Willybiro lors de son passage à Paris le 10 mai 2014.
– Afrikarabia : Quel bilan dressez-vous des 100 premiers jours de la présidente de la transition, Catherine Samba-Panza ?
– Jean Willybiro Sako : Le rôle de la présidente de la transition est d’amener le pays aux élections. La tâche qui est la sienne est particulièrement difficile, je le consens. Au niveau de la ville de Bangui, on voit que la sécurité commence à revenir dans la capitale. Mais malheureusement, sur le reste du territoire, il y a encore beaucoup à faire. Il faut restaurer l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue du pays. Nous avons des zones que le gouvernement ne contrôle pas. Il y a encore de nombreuses poches de résistance, notamment des anciens Séléka qui reprennent position dans des villes de province. Mais le gros effort qui reste à effectuer pour la présidente de la transition, c’est la reconstitution de notre armée nationale. Nous notons également la volonté de la présidente de rencontrer les différentes communauté, les membres de la société civile, peut-être un peu moins les leaders politiques. Les politiques ont pourtant un rôle à jouer en ce moment.
– Afrikarabia : On avance les dates de février ou mars 2015 pour la tenue des prochaines élections. Dans le contexte actuel, ce calendrier est-il réaliste ?
– Jean Willybiro Sako : Le souhait de tout le monde est d’aller le plus vite possible aux élections. Mais la réalité sur le terrain est tout autre. L’administration n »est pas totalement rétablie sur le territoire. La libre circulation des personnes et la sécurité ne sont pas garanties. Est-ce que les fonds nécessaires à la bonne tenue de ces élections sont mobilisés ? Est-ce que le recensement a été fait ? Les comités pour l’organisation des élections dans les communes sont-ils en place ? Il reste beaucoup à faire. Si nous devons aller aux élections en février 2015, je pense que cela est trop juste. Quelques mois de plus seront sans doute nécessaires.
– Afrikarabia : Quelle est votre lecture de la crise centrafricaine que l’on présente désormais comme un conflit religieux entre musulmans et chrétiens ? Les tensions religieuses ne sont-elles pas aussi « manipulées » par les politiques ?
– Jean Willybiro Sako : Je ne pense pas que l’on puisse parler de conflit religieux. Il y a des tensions, c’est évident, mais on ne dit pas assez souvent que dans certaines parties du pays, chrétiens et musulmans continuent à vivre ensemble. Il y a eu à l’arrivée des Séléka, des actes, des menaces sur certaines églises et sur certaines pratiques qu’ils ont voulu imposer. Par l’exemple l’interdiction de consommer du porc ou l’abattage des élevages de porcs. La population a vu arriver une menace islamiste. Il y a donc eu une réaction de la population contre la Séléka et ensuite contre tous les musulmans en général. Mais ce n’est pas un conflit interreligieux. D’ailleurs, les principaux responsables chrétiens, protestants et musulmans sont ensemble pour essayer d’apaiser les tensions.
– Afrikarabia : Craignez-vous un risque de partition de la Centrafrique, avec l’Ouest qui serait chrétien et l’Est musulman ?
– Jean Willybiro Sako : Je n’y crois pas tellement. La grande majorité des ex-Séléka ne sont pas pour la scission. Même les chefs de guerre d’hier sont en train de faire machine arrière aujourd’hui au vu des réactions de la communauté internationale et de certains de leurs propres membres. A voir le chaos qui règne au Sud-Soudan, plus personne ne soutient de telles initiatives.
– Afrikarabia : On a pourtant l’impression que les ex-Séléka sont en train de se reformer en se dotant d’un nouveau « président politique » en la personne de Mohamed Dhaffane et d’un nouveau chef d’Etat-major, Joseph Ndeko. La Séléka peut-elle redevenir une menace ?
– Jean Willybiro Sako : Non, toutes ces personnes sont les ex-Séléka qui sont à Bangui et ont donc refusé la sécession. Ce sont des personnes qui cherchent à former un groupe de pression et non un groupe qui pourrait revenir sur le terrain militaire.
– Afrikarabia : Vous êtes candidat à la prochaine élection présidentielle. Quel est votre principal atout sur l’échiquier politique centrafricain ?
– Jean Willybiro Sako : Mes atouts sont connus du peuple centrafricain. Je suis un homme d’Etat qui a servi son pays avec loyauté et intégrité. Je n’ai jamais soutenu les esprits tribalistes et divisionnistes. Je n’ai pas non plus succombé à la corruption. Demain, les Centrafricains attendent un dirigeant qui puisse leur donner des repères et la possibilité de se rassembler au-delà des partis. Je veux redonner la confiance aux Centrafricains. J’en ai l’expérience et j’en ai la pratique.
– Afrikarabia : Vous avez participé à quasiment tous les gouvernement depuis 30 ans en Centrafrique. On pourrait vous accuser d’avoir cautionné tous ces régimes qui ont mené la Centrafrique dans le chaos actuel ? Avez-vous votre part de responsabilité dans la situation de votre pays ?
– Jean Willybiro Sako : Non, on ne peut pas apporter de jugement global comme cela. Un membre du gouvernement est avant tout un homme d’Etat au service de son pays. Vous êtes un technicien dans votre domaine. L’homme doit être jugé sur son travail à chacun des postes qu’il a occupé. Si certaines organisations internationales m’ont confié la gestion de leurs projets, c’est parce qu’elle ont pensé que j’avais une certaine crédibilité.
– Afrikarabia : En étant membre de ces gouvernements, sous les présidents Dacko, Kolingba, Patassé ou Bozizé, cela veut dire que vous avez validé certaines « mauvaises pratiques » de ces régimes, on parle notamment de corruption ? Vous auriez pu démissionner ?
– Jean Willybiro Sako : Vous avez raison sur ce point. Mais si je n’ai pas démissionné, c’est que tout le monde savait dans ces gouvernements que je n’avais pas la langue de bois. J’ai toujours défendu mes positions quelque soit le gouvernement. Sous Bozizé, tout le monde savait que j’avais la possibilité de parler franchement au chef de l’Etat. J’ai mes convictions et mes principes, que j’ai toujours défendu, au service de mon pays. Je n’ai jamais encouragé aucun acte de prévarication et je n’ai jamais soutenu l’impunité. J’ai toujours donné l’exemple d’une gestion rigoureuse. Dire que tout au long de ces régimes, rien n’a été fait, c’est un peu exagéré. La République centrafricaine a évolué et des réalisations ont été faites. Si vous prenez le dernier gouvernement, nous étions arrivés à un équilibre budgétaire et les Centrafricains étaient régulièrement payés. A côté de ces efforts, je suis d’accord qu’il a y eu des comportements qui ont entaché tout le reste. C’est ce que je regrette.
– Afrikarabia : Si vous êtes élu, quelles seront vos premières mesures ?
– Jean Willybiro Sako : Il faut rétablir la sécurité. J’ai de par mon expérience, une bonne expertise en la matière (Jean Willybiro a été Directeur général de la Police et Ministre de l’Intérieur, ndlr). Il faut rapidement restaurer notre armée nationale dans ses fonctions régaliennes. Cela est possible, avec les fonds propres de l’Etat, mais aussi avec l’appui de la communauté internationale. Je souhaite aussi relancer l’économie du pays. Certains secteurs ont été délaissés comme l’agriculture. Il faut tenir correctement d’autres secteurs, comme celui des mines qui n’était pas bien géré, il faut le reconnaître. Le plus important reste pour moi la bonne gestion. Nous amènerons la rigueur dans les ressources de l’Etat. Tout ceux qui me connaissent savent que c’est le principe de ma gouvernance. Enfin, pour restaurer la confiance des Centrafricains, nous devons lutter contre l’impunité. Pour que les Centrafricains respectent le droit, il faut que l’on cesse avec l’impunité. Dans notre pays, des gens commettent des exactions et deux jours plus tard, on les retrouve, non seulement en liberté, mais pour certains à des postes de responsabilité. Je suis moi-même magistrat à la retraite. Un bon fonctionnement de la magistrature, soutenue par la police judiciaire et l’existence de véritables prisons, permettra d’obtenir des Centrafricains honnêtes, dignes et citoyens.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia