Le tribunal de Kolwezi vient d’obliger la société Panda International Congo Engineering à payer les frais médicaux et les salaires impayés d’un travailleur congolais blessé dans la mine de cobalt et de cuivre de Kisanfu. Une condamnation rarissime saluée par les ONG qui ont défendu la victime.
L’habitude veut que les puissantes entreprises extractives fassent la pluie et le beau temps sur le secteur minier en République démocratique du Congo (RDC). Et lorsque l’on parle des conditions de travail, souvent désastreuses des ouvriers de ces sociétés et de leurs sous-traitants, le pot de terre gagne rarement contre le pot de fer. Pourtant, ce qui s’est déroulé le 21 octobre 2021 au tribunal de grande instance de Kolwezi, dans l’ex-province minière du Katanga, est assez rare pour être signalé.
« Un précédent pour le droit des travailleurs »
La justice congolaise a ordonné à la société à Panda International Congo Engineering de payer la totalité des frais de santé et des salaires impayées à Patient Mukenge Zaluke, un mécanicien blessé dans la mine de Kisanfu, appartenant à China Molybdenum. Selon les ONG CAJJ (Centre d’Aide Juridico-Judiciaire) et RAID (Rights and Accountability in Development) qui ont porté le dossier devant la justice, « cette victoire judiciaire est l’issue d’un des premiers cas où un Congolais travaillant sur un site minier industriel a poursuivi avec succès son employeur pour des dommages corporels subis au travail (…) et constitue un précédent important pour les droits des travailleurs en RDC ».
La peur de perdre son travail
Le 28 août 2021, Patient Mukenge Zaluke, s’est gravement blessé à la suite de la chute d’un moteur de camion qui lui a brisé la main gauche. Mais comme cela est trop souvent le cas au Congo, l’employeur de Patient refuse de lui payer ses frais médicaux, ce qui l’empêche de travailler pendant plus de 3 mois. Si le Code du travail congolais prévoit la prise en charge des frais de santé, peu d’employeurs paient et peu de travailleurs portent l’affaire en justice. Par peur de perdre leur travail, mais aussi par manque d’argent. Patient Mukenge a eu ce courage, assisté devant la justice congolaise par maîtres Josué Kashal et Etienne Ngoie du Centre d’Aide Juridico-Judiciaire (CAJJ).
Les dérives de la sous-traitance
Le 29 octobre 2021, le parquet du tribunal de grande instance de Kolwezi a finalement donné raison aux avocats de Patient Mukenge et condamné Panda à payer tous les frais de santé, ainsi que la totalité de son salaire pendant la période où Patient n’a pas pu travailler. Les ONG de défense des droits de l’homme dénoncent régulièrement « le modèle de sous-traitance selon lequel les travailleurs comme Patient Mukenge sont employés indirectement via des entreprises, plutôt que d’être embauchés directement par les sociétés minières ». Cette pratique provoque de nombreux abus. « Les travailleurs embauchés par des sous-traitants gagnent des salaires extrêmement bas, souvent bien inférieurs au salaire de subsistance de 402 $ par mois ».
Un signal d’espoir
Les conditions de travail des ouvriers des entreprises sous-traitantes sont le plus souvent désastreuses, comme le décrit un récent rapport de RAID. Selon ces organisations, les ouvriers « bénéficient de prestations de soins de santé limitées ou inexistantes, travaillent des heures excessives et, souvent, sont soumis à des traitements dégradants, à de la violence, à de la discrimination et à du racisme. Les travailleurs ont exprimé leur désespoir de ne pas pouvoir se sortir de la pauvreté malgré un emploi formel ». La décision de justice rendue à Kolwezi sonne tout de même comme un signal d’espoir pour les milliers travailleurs du secteur minier.
Une reconnaissance des droits des travailleurs
Pour Anneke Van Woudenberg, la directrice exécutive de RAID, « Cette affaire illustre clairement ce qui est possible lorsqu’un travailleur courageux fait équipe avec des avocats bénévoles pour contester le statu quo et exiger que les droits des travailleurs soient respectés ». Maître Josué Kashal, du CAJJ, qui a représenté Patient Mukenge se réjouit également « qu’un tribunal local modifie ce déséquilibre de pouvoir et reconnaisse publiquement les droits humains d’un travailleur est sans précédent ». En espérant que la décision du tribunal de Kolwezi ne soit pas la dernière.
Christophe Rigaud – Afrikarabia