Les récents affrontements entre l’armée congolaise et la rébellion du M23 ont forcé des dizaines de milliers de Congolais à fuir les zones de combats. Un nouveau défi pour les ONG qui opèrent dans un pays qui compte plus de 5 millions de déplacés internes.
« Ils sont arrivés en deux jours. Cela faisait longuement que je n’avais pas vu un déplacement de population aussi important sur une aussi petite zone » raconte Justine Muzik Piquemal, responsable géographique de Solidarités International, actuellement en mission dans l’Est de la RDC. Depuis le retour des affrontements entre l’armée congolaise et le M23 dans la province du Nord-Kivu, plus de 72.000 personnes ont été contraint de fuir leur foyer, selon les derniers chiffres du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA). A chaque poussée de fièvre dans la région, qui abrite encore plus d’une centaine de groupes armés, ce sont les civils qui paient le plus lourd tribu à cette guerre sans fin qui secoue l’Est du Congo depuis plus de 25 ans.
A Kibati, les déplacés se rajoutent aux sinistrés du volcan
Solidarités International travaille sur l’accès à l’eau, l’assainissement et l’hygiène depuis plus de 20 ans en RDC. Un peu plus de 200 personnes, expatriés et personnels locaux, interviennent dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu depuis leurs bases opérationnelles de Bunia et Beni. Alors, dès les combats des 22 et 24 mai dernier, qui ont jeté sur les routes des dizaines de milliers de déplacés, l’ONG a décidé d’organiser une distribution d’eau d’urgence sur les deux territoires les plus touchés : Nyiragongo et Rutshuru. L’ONG s’installe notamment sur les sept sites de déplacés de Kibati. Ironie du sort, souligne Justine, « on est intervenu exactement au même endroit après la coulée de lave du volcan Nyiragongo en 2021. Sur le site, on a d’ailleurs encore des sinistrés du volcan, auxquels se rajoute la population locale… et les déplacés qui arrivaient des zones de combats ».
« J’ai vu des gens remplir leurs gobelets d’eau dans des flaques de boue »
La pression sur la demande d’eau est très importante dans cette zone volcanique. « Il y a pas de points d’eau, pas de forage, et la population ne fonctionne qu’avec de l’eau achetée à des porteurs d’eau, raconte Justine. Lorsque nous sommes arrivés pour l’évaluation sur place, j’ai vu des gens remplir leurs gobelets d’eau dans des flaques de boue pour cuisiner le soir, et la boire lorsque la boue serait redescendue ! J’ai vu des personnes sortir des casseroles pour les remplir d’eau de pluie qui servira d’eau de boisson pour la journée ». Solidarités International fait alors monter des camions d’eau depuis Goma, jusqu’à quatre rotations par jour, pour remplir des tanks. Des récupérateurs d’eau de pluie sont aussi installés dans un premier temps « Ce qui est délicat, explique également Justine, c’est de ne pas déstabiliser la zone dans laquelle nous intervenons, notamment vis à vis des populations locales qui accueillent les déplacés. On ne va pas, évidemment, trier entre les déplacés qui auraient le droit d’utiliser l’eau et la population hôte. Et puis, il faut beaucoup de pédagogie pour expliquer que notre intervention d’urgence n’a pas vocation à durer ».
« A la moindre incursion, les déplacés reviendront »
Après une dizaine de jours de combats, l’armée congolaise a réussi stopper les rebelles, qui étaient arrivés à une vingtaine de kilomètres de Goma, la capitale provinciale. Une légère accalmie s’est alors faite sentir dans la zone. La route Goma-Rutshuru a été rouverte pour permettre aux personnes déplacées de rentrer chez elles. A Kibati, Justine a observé un timide retour des déplacés vers Kibumba, « mais c’est extrêmement sensible. A la moindre incursion ou combats, les déplacés reviendront aussitôt se réfugier ». D’ailleurs, depuis ce lundi, les affrontements ont repris entre le M23 et l’armée congolaise dans le Rutshuru venant rompre ainsi une très fragile trêve. Pour la responsable de Solidarités International au Congo, le bout du tunnel n’est pas encore demain au Congo. « Au-delà de l’urgence du moment, nous n’avons pas de stratégie de sortie du pays, nous confie Justine. Quand l’urgence sera terminée, on a toujours la problématique d’Ebola, de la variole du singe, ou du choléra… Toutes ces thématiques sont extrêmement compliquées à gérer dans un pays aussi grand que la RDC. »
Christophe RIGAUD – Afrikarabia