Les Sénateurs ont amendé ce vendredi l’article contesté de la loi électorale. Mais un accord doit être trouvé au sein de la commission paritaire, sinon l’Assemblée nationale pourrait de nouveau être amenée à trancher.
Après quatre jours de violents affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, le signal d’apaisement est venu du Sénat ce vendredi après-midi. Les Sénateurs ont en effet amendé le fameux article 8 de la nouvelle loi électorale qui conditionnait la tenue de l’élection présidentielle de 2016 à un recensement de la population. L’opposition craint que ce recensement repousse l’élection présidentielle après 2016 et permette ainsi à Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà des délais constitutionnels. Son adoption par l’Assemblée nationale avait provoqué une flambée de violence par les opposants au projet de loi, à Kinshasa, Goma et Bukavu, provoquant la mort d’au moins 42 personnes selon la FIDH. Le régime s’est alors rapidement crispé : des opposants politiques ont été arrêtés, des médias proches de l’opposition ont été interdits, l’internet et les SMS ont été coupés pendant deux jours.
L’Assemblée nationale aura le dernier mot
Les quatre jours d’émeutes ont créés des brèches au sein de la majorité présidentielle. Evariste Boshab avait déjà temporisé mercredi devant les Sénateurs, en précisant que l’article 8 pouvait être modifié et déconnecter le recensement de l’organisation des élections. Aujourd’hui, Léon Kengo, le président du Sénat, a pris les devants, en précisant avoir « écouté la rue ». « Les amendements contenus dans cet article sur les données démographiques ne parlent plus de recensement, car le recensement aurait peut-être excédé la limite de temps prévue par la Constitution » a précisé Kengo à la tribune. Après l’amendement des Sénateurs, l’article 8 stipule désormais que « l’actualisation de la liste électorale en fonction des données démographiques disponibles se (ferait) dans le respect des délais constitutionnels et légaux prévus pour l’organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales ». 2016, reste donc la date de la prochaine présidentielle. Mais attention, tout n’est pas terminé pour le gouvernement, qui accuse le coup, mais ne s’estime pas encore totalement vaincu. Une commission paritaire Sénat/Assemblée nationale doit « fusionner » les deux textes pour trouver un accord avant le 26 janvier, jour de la clôture de la session parlementaire. Le texte amendé par les Sénateurs peut donc être encore modifié, et ce sont les députés qui auront le dernier mot.
Une crise politique profonde
Le débat n’est donc pas fini autour de la loi électorale. Le calendrier global des élections n’a pas encore été fixé par la Commission électorale (CENI) et l’opposition craint de le voir « glisser »… bien au-delà de 2016. Mais cette crise n’est pas le simple fait de la modification de la loi électorale. Elle est plus profonde et remonte au contentieux électoral de 2011. La réélection frauduleuse de Joseph Kabila avait été fortement contestée par l’opposition. L’Union européenne avait même déclaré les résultats « non crédibles ». Depuis, la guerre à l’Est avec la rébellion du M23 avait détourné l’attention de la crise politique qui couvait à Kinshasa. Après la victoire sur le M23, le débat s’est à nouveau fixé sur la possible candidature de Joseph Kabila en 2016 assortie d’une modification de la Constitution. Une polémique qui a aussi divisé la majorité présidentielle. Selon International Crisis Group (ICG), « la décision du Sénat prouve que le consensus n’existe même pas au sein de la majorité qui soutient le président ». Afin d’apaiser les tensions au Congo, ICG recommande au gouvernement de « suivre le Sénat et dissocier le recensement national de l’élection présidentielle » et demande « une enquête sur la violence de ces derniers jours, à Kinshasa et ailleurs ». L’opposition devrait également faire des efforts et « ne pas chercher à instrumentaliser les tensions actuelles et attiser davantage de troubles, mais plutôt appeler au calme ». Pour International Crisis Group, il est aussi « nécessaire que le gouvernement et l’opposition entament des discussions constructives avec la Commission électorale nationale indépendante (…) pour atteindre un consensus large sur les décisions électorales clés, en particulier un calendrier électoral complet respectant la Constitution ». Et ICG de prévenir : « tout comme au Burkina Faso, il s’agit là d’un exemple des conséquences de la tentative de maintien au pouvoir d’un dirigeant au-delà de la limitation constitutionnelle de son mandat ». Des rumeurs insistantes affirment que le président congolais pourrait s’exprimer prochainement, peut-être le 26 janvier, jour de la clôture de la session parlementaire extraordinaire.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia