Une réunion avec la Commission électorale (CENI) a permis à l’opposition congolaise de faire part de ses inquiétudes sur le respect des délais électoraux, l’exclusion de près de 10 millions de jeunes majeurs et un plan de financement des plus flous.
Le défi est de taille. La République démocratique du Congo doit organiser sept scrutins électoraux en moins de deux ans. Un challenge qui doit débuter dans six mois avec les élections provinciales, fixées pour la mi-octobre 2015. Mais depuis les élections chaotiques de 2011 et la réélection contestée du président Joseph Kabila, l’opposition et de nombreuses ONG tirent régulièrement la sonnette d’alarme sur un risque de dérapage du calendrier électoral, faute de financement et d’une organisation fiable et transparente. Une réunion s’est toutefois tenue mardi 27 avril 2015 entre une partie de l’opposition et la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Une première pour l’opposition, qui a pu exposer ses craintes à la Commission.
Tensions politiques
Première critique : un climat politique dégradé. Depuis la réforme de la CENI en 2013, l’opposition regrette que « les dirigeants de cette institution refusent d’entendre les voix de plusieurs acteurs politiques et sociaux, toute tendances politiques confondues ». Le manque de dialogue a toujours été le point faible de la CENI, prise entre la collégialité de son institution et les « pressions » de la majorité présidentielle. L’opposition parle de « collusion avec la mouvance kabiliste ». La CENI a fini par créer « un environnement pré-électoral tendu », référence aux dernières manifestations de janvier 2015 contre le projet de modification de la loi électorale.
« La transparence commence par le fichier électoral »
L’opposition axe ses revendications sur trois points essentiels à la bonne tenue des prochains scrutins. Elle demande tout d’abord que les élections locales, municipales et urbaines soient repoussées après les élections présidentielle et législatives de novembre 2016. Les élections locales étant « bien plus complexes » à organiser « dans le contexte actuel » – voir notre article. Le deuxième point concerne « l’enrôlement des nouveaux majeurs depuis novembre 2011 ». L’opposition demande que ces jeunes électeurs (estimés à 10 millions) puissent voter en 2016 conformément à l’article 5 de la Constitution. Dernier point litigieux : l’audit du fichier électoral. Les élections chaotiques de 2011 avaient relevé de nombreux « doublons » dans le fichier des électeurs congolais. Certains n’étaient au contraire pas inscrits alors que d’autres, inscrits, étaient mineurs. L’Aprodec, une ONG spécialisée dans le litige électoral, estime que le fichier électoral congolais contiendrait entre 9 et 10 millions d’électeurs fictifs. Or, l’audit du fichier qui devait débuter le 24 mars 2015 et se terminer le 12 avril « n’a pas eu lieu » selon l’opposition, pour qui, « la transparence commence par le fichier électoral ».
L’absence de Malu-Malu
Les candidatures des futures élus posent également problème. La CENI a en effet convoqué « l’électorat » le 15 avril 2015 pour déposer les candidatures pour les élections provinciales. « Dans quel fichier électoral cet électorat est-il répertorié ? » se demande l’opposition, « alors que l’actuel est corrompu ». Sur le financement des scrutins, l’opposition demande ensuite des éclaircissements sur le « plan de décaissement des fonds » qui nécessite normalement une loi de finance rectificative, toujours en attente – voir notre article. La santé du Président de la CENI, l’abbé Apollinaire Malu-Malu inquiète enfin. En soin à l’étranger depuis trois mois, l’absence de Malu-Malu « confronte la CENI à un problème on ne peut plus crucial de gestion et d’administration » souligne le texte signé par l’opposition.
L’UDPS divisée
Cette rencontre aura également eu le mérite de « clarifier » les lignes de fractures au sein de l’opposition. Le « mémorandum à la CENI », dont nous avons fait écho dans cet article a été signé par les principaux partis de l’opposition : Vital Kamerhe de l’UNC, Samy Badibanga de l’UDPS, Alexis Lenga du MLC, Martin Fayulu de l’Ecidé, José Makila de l’ATD, Jean-Lucien Busa de CDER et Jean-Claude Mvuemba du MPCR. Ces signataires conditionnent leur participation aux élections provinciales à trois revendications principales : « l’enrôlement de tous les électeurs âgés de 18 ans, l’adoption d’un calendrier électoral réaliste et la neutralité de la CENI ». Mais une autre partie de l’opposition, plus restreinte, se dit « favorable » à sa participation aux provinciales et dépose déjà des listes de candidatures. La principale ligne de clivage se trouve (comme souvent) au sein de l’UDPS, où Bruno Mavungu, le secrétaire général du parti se retrouve dans le camp de ceux qui posent des conditions, avec l’UNC, le MLC et l’Ecidé… alors que le fils d’Etienne Tshisekedi, Félix, secrétaire aux relations extérieures du parti, prône le dépôt de listes aux provinciales. Une confusion qui ne manquera pas d’alimenter l’éternel débat sur « l’unité » de l’opposition congolaise.
La CENI prévenue
Les opposants seront-ils entendus par la CENI ? Rien n’est moins sûr. Petite victoire pourtant : la CENI a au moins pris note des préoccupations de l’opposition (c’est une première). Mais elle continue de faire la sourde oreille sur la faisabilité des scrutins, alors que l’opposition juge le calendrier électoral « irréalisable ». Le rapporteur de la CENI, Jean-Pierre Kalamba doit transmettre les préoccupations de l’opposition à la plénière, « instance compétente pour se prononcer ». Au moins, « la CENI aura été prévenue » se console-t-on dans l’opposition.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
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