Les juges français Marc Trévidic et Nathalie Poux vont devoir entendre un ex-gendarme rwandais déniché par le polémiste Pierre Péan. Il viendrait accréditer la « piste de Masaka » pour impliquer Paul Kagame dans l’attentat.
Depuis 1997, date de l’ouverture de l’enquête à Paris sur l’attentat ayant coûté la vie notamment au chef de l’Etat rwandais, à son homologue burundais et aux trois membres français de l’équipage du Falcon 50, on ne compte plus les rebondissements. Cet attentat, qui a servi de signal au déclenchement du génocide des Tutsi du Rwanda, est devenu pour les « génocidaires » et leurs amis un élément central de leur narration. Selon eux, le génocide n’a jamais été programmé. Des Hutu en colère, persuadés que le FPR était à l’origine de l’attentat, auraient « spontanément » exterminé un petit million de voisins tutsi pour venger Juvénal Habyarimana. Les génocidaires et leurs amis ajoutent que les missiles ayant abattu le Falcon 50 ont été tirés de la colline Masaka, tenue par les Forces armées rwandaises (FAR), mais où le Front patriotique rwandais (FPR, la rébellion à majorité tutsi) aurait pu infiltrer un commando, avec la complicité de Casques bleus belges.
Kanombe ou Masaka ?
Cette légende a été battue en brèche par de nombreux analystes[1]. Le génocide était effectivement programmé par des extrémistes hutu. En outre, une enquête balistique commandée par les juges d’instruction français Nathalie Poux et Marc Trévidic, a démontré que les tireurs de missiles étaient postés soit dans le camp militaire Kanombe, tenu par les extrémistes hutu, soit à ses abords immédiats. Cette démonstration scientifique a – un temps – décontenancé les génocidaires et leurs amis, mais après des années de sophismes, ils n’avaient plus le moyen de changer de logiciel. Malgré toutes ses invraisemblances, la « piste de Masaka » reste leur crédo. Aussi, faute d’éléments matériels, ils sortent périodiquement de leur chapeau un nouveau témoin accréditant avoir vu les tireurs opérer depuis la colline de Masaka.
« Nouveau » témoin repéré par Pierre Péan
Patiemment, les juges français Marc Trévidic et Nathalie Poux ont enchaîné les auditions de ces faux témoins, avant de balayer leurs « révélations » tant elle étaient contradictoires avec les faits avérés et les analyses balistiques. Au point de décider de clôturer l’enquête, laissant aux avocats des parties civiles et des mis en cause un ultime délai de trois mois pour demander d’autres auditions ou actes d’instruction. Quarante-huit heures avant ce terme, un « nouveau » témoin s’est fait connaître. Selon nos informations, il s’agit d’un ex-gendarme rwandais repéré par le polémiste Pierre Péan voici plusieurs années et que les juges avaient refusé d’entendre car il exigeait de témoigner de façon anonyme. L’homme accepterait enfin de déposer sous son nom… Contrairement à ce qu’avance Radio France International, on ne peut pas affirmer que « les juges français Marc Trévidic et Nathalie Poux rouvrent l’instruction dans l’affaire de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana le 6 avril 1994 ». C’est plutôt un ultime acte de procédure qu’accordent les juges pour éviter l’accusation d’avoir négligé le moindre témoignage ou indice dans ce dossier si sensible.
Vers un non-lieu ?
L’instruction, dix-sept ans après son ouverture, ne contient toujours rien de crédible pour accuser le chef du Front patriotique Paul Kagame, et pas davantage ses subordonnés, d’avoir trempé dans l’attentat du 6 avril 1994. Marc Trévidic et Nathalie Poux semblent sur le point de requérir un non-lieu pour les Rwandais actuellement mis en cause. A part les génocidaires et leurs amis, on voit mal qui aurait intérêt à user de procédés dilatoires pour retarder cette issue.
Jean-François DUPAQUIER
[1] Lire notamment Jean-François Dupaquier, L’Agenda du génocide, Ed Karthala, 2010 ; Politiques, militaire et mercenaires français au Rwanda, chronique d’une désinformation, Ed. Karthala, 2014.