Condamné par le Tribunal pénal international pour son rôle crucial dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, le colonel Bagosora est décédé dans la nuit du 24 au 25 septembre au Mali où il purgeait sa peine. Son refus de reconnaître ses crimes laisse bien des zones d’ombre qu’exploitent les négationnistes.
C’est par une brève annonce de son fils Achille sur son compte Twitter que la nouvelle de la mort du colonel Bagosora a été révélée samedi matin 25 septembre. Arrêté en mars 1996 au Cameroun, Théoneste Bagosora avait été condamné à la réclusion à perpétuité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), siégeant à Arusha (Tanzanie). Sa peine fut ramenée à 35 ans de réclusion en 2011 par le caprice d’un magistrat très âgé. Une réduction de peine surtout symbolique : le détenu de la prison de Koulikoro, à 57 km de Bamako, la capitale malienne(1), avait célébré son quatre-vingtième anniversaire le mois dernier. Il lui restait dix années à purger. Souffrant d’une sévère pathologie cardiaque, le colonel Bagosora avait été récemment admis dans une clinique de la capitale du Mali. C’est là qu’il s’est éteint.
Un rôle crucial entre le 6 et le 9 avril 1994
Sa disparition après tant d’années de déni sur son rôle laisse dans l’ombre bien des aspects de l’organisation du génocide des Tutsi du Rwanda. Le 6 avril 1994, lorsque l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana donna le signal de l’assassinat des opposants hutu et du génocide des Tutsi du Rwanda, Bagosora était le chef de cabinet du ministre de la Défense. Ce dernier se trouvait en visite officielle à l’étranger. Quand au chef d’état-major des Forces Armées Rwandaises (FAR), il accompagnait dans son avion le président Habyarimana… à l’instigation de Bagosora.
Devenu de facto le patron de l’armée rwandaise, Bagosora tenta aussitôt un coup d’Etat. Une tentative contrée par l’ambassadeur des Etats-Unis, par le général Roméo Dallaire, patron de la Mission militaire des Nations-Unies au Rwanda (MINUAR), et par Jacques Roger Booh-Booh, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU à Kigali. Ils lui firent valoir qu’il restait des autorités légitimes : la Première ministre hutu, Agathe Uwilinyimana, le Président de la Cour constitutionnelle Joseph Kavaruganda, le ministre de l’Agriculture Frédéric Nzamurambaho, le ministre du Travail Landoald Ndasingwa, le ministre de l’Information Faustin Rucogoza, etc. Un argument qui valait condamnation à mort : dès le matin du 7 avril, toutes ces personnalités étaient assassinées par la Garde présidentielle, qui obéissait aveuglément à Bagosora. Ce dernier mettait en place un « comité de crise » rassemblant les hauts gradés, les uns partageant ses visées les autres décidés à « s’aligner ». L’ambassadeur de France agréa le 8 avril un « gouvernement intérimaire » chargé d’organiser l’extermination des Tutsi et la chasse aux opposants hutu.
Un obsessionnel de la haine des Tutsi
Bien avant le dernier génocide du XXe siècle, Théoneste Bagosora était connu comme un obsessionnel de la haine des Tutsi, un homme qui ne « lâchait » rien dans ce dessein exterminateur. Chargé de suivre la négociation des accords de paix d’Arusha en 1992 et 1993, Théoneste Bagosora, furieux de constater le progrès des travaux, avait claqué la porte en annonçant « je rentre à Kigali préparer l’Apocalypse ». Des propos qu’il a répétés à plusieurs reprises, lui valant au Rwanda le surnom de « Colonel Apocalypse » (2).
Secret mais porté sur l’alcool, « Colonel Apocalypse » a tenu à plusieurs reprises des propos publics « prophétisant » l’extermination des Tutsi, comme le rapporte notamment le général Roméo Dallaire dans son livre « J’ai serré la main du diable ». Cependant, comme organisateur en chef présumé du génocide des Tutsi, Bagosora n’a laissé aucun document écrit accréditant ce dessein. Il n’a fait que transmettre des ordres verbaux à quelques relais fidèles et mutiques.
En octobre 2005, lors de son témoignage pour sa propre défense devant le TPIR, Bagosora récusa le terme de génocide, parlant de « massacres excessifs ». Une question reste pendante :à partir de combien de morts un massacre devient-il un génocide ?
« Je continue de dire que j’ai été victime de la propagande inlassable du FPR qui a déclenché des massacres qui ont dégénéré dans le génocide dont la planification n’a pas encore été démontrée par le procureur », s’est-il contenté de dire au site Hirondelle qui rendait compte du procès.
Un génocide ? Non : « Des massacres excessifs »
Aussi bien dans sa fuite que dans le box des accusés, Bagosora n’a produit que des textes et déclarations négationnistes. Il repéra très vite les lacunes des enquêteurs et, quoique interrogé longuement par le procureur, ne montra aucune fissure dans son système de défense. Au point que le TPIR, où il avait comparu initialement pour génocide, incitation publique et directe à commettre le génocide, complicité de génocide, crimes contre l’humanité, violations des conventions de Genève et entente en vue de commettre le génocide, finit par abandonner ce dernier chef d’inculpation.
Selon les magistrats d’Arusha, les preuves produites par l’accusation de la préparation du génocide n’étaient pas suffisantes « au delà du doute raisonnable ». Un argument repris et usé jusqu’à la corde par les négationnistes depuis lors. L’universitaire français Bernard Lugan, expert de la défense de Bagosora auprès du TPIR, prétendit que le jugement constituait un renversement de perspective : « Si le cerveau du génocide est innocent de l’organisation du génocide c’est que ce génocide, visiblement, n’a pas été prémédité ». Plus tard, Bernard Lugan affirma même que le TPIR avait « prouvé » (sic) que le génocide n’était pas programmé.
Bagosora sera-t-il inhumé en France ?
La mort de « colonel Apocalypse », qui reste aux yeux des véritables historiens « le cerveau du génocide », si elle laisse bien des questions judiciaires en pointillé, ne solde pas tous les comptes. La famille du colonel Bagosora avait trouvé refuge en Europe après le génocide. Son épouse réside aux Pays-Bas avec une partie de ses enfants, un de ses fils, Achille, qui occupait un poste important au ministère de la Défense à Kigali en avril 1994, réside dans une grande ville de l’Est de la France. Beaucoup de rescapés en Europe craignent que la dépouille de Bagosora soit inhumée en France, comme le furent deux « génocidaires » morts en détention, Jean-Bosco Barayagwiza décédé en avril 2010 au Bénin et Simon Bikindi mort le 15 décembre 2018, également au Bénin.
Alain Gauthier et son épouse Dafroza, à la tête du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), inlassables traqueurs de génocidaires cachés en France, sont inquiets de voir Colonel Apocalypse enterré à son tour en France : « Il ne faudrait pas en effet que la France, qui est déjà une terre d’asile pour de nombreuses personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi, devienne un lieu de pèlerinage pour les nostalgiques du régime génocidaire de Juvénal Habyarimana. Nous demandons instamment aux autorités françaises, pour le cas où la demande leur serait adressée, de refuser que la dépouille de Théoneste Bagosora soit enterrée en France où résident plusieurs membres de sa famille. »
Environ un million de personnes ont été exterminées au Rwanda en 1994, soit presque un sixième de la population. Théoneste Bagosora, « Colonel Apocalypse », n’y est pas pour rien. Qu’il soit inhumé en France ou pas, sa mort laisse un bel héritage aux négationnistes du génocide des Tutsi.
François MOLYNEUX
(1) Trois pays africains, le Botswana, le Bénin et le Mali, ont accepté de recevoir les génocidaires définitivement condamnés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
(2) Cf. Jean-François DUPAQUIER, « Rwanda, l’agenda du génocide », Ed. Karthala, Paris, 2010.