En 1990, Richard Mugenzi avait été recruté par le Renseignement militaire rwandais. comme espion radio pour désinformer les militaires français de l’Opération Noroît. Invité par le Memorial de la Shoah à Paris en tant que « Grand témoin » de la préparation du génocide, il a multiplié les révélations.
Richard Mugenzi est ce que les Anglo-Saxons appellent un Insider (« initié » ou « témoin au cœur du secret »). Son histoire particulière et notamment sa connaissance des langues parlées dans la région des Grands Lacs lui ont valu son recrutement comme espion radio. Né le 15 décembre 1960 à Mukarange (préfecture de Byumba, Rwanda), Richard Mugenzi était le fils d’André Nyagahene, un conducteur d’engins de terrassement travaillant pour la société belge MINETAIN. La mère de ce dernier, veuve très jeune, avait épousé en secondes noces un notable hutu de la région, qui avait adopté le fils du premier lit. C’est pourquoi, bien que fils de Tutsi, André Nyagahene le père de Richard Mugensi, a été « catalogué » Hutu, et par voie de conséquences Richard Mugenzi lui-même s’est vu décerner une carte d’identité « ethnique » hutu. Une confusion assez fréquente au Rwanda où le « changement d’ethnie », sévèrement réprimé par les autorités, n’était pas toujours le résultat de calculs, attestant plutôt de liens et vieilles solidarités familiales entre Hutu et Tutsi.
Chargé de surveiller l’application des quotas ethniques
Avant la « Révolution sociale » de 1959 et l’institutionnalisation de la discrimination contre les Tutsi, ces questions d’ethnie n’avaient pas grand sens. Richard Mugenzi a suivi ses parents qui, pour la société Minetain, ont dû s’établir au Congo Belge (aujourd’hui RDC) Richard Mugenzi a grandi au milieu des enfants congolais, adoptant leur accent, leur façonde et leurs postures. Lorsqu’il a dû rentrer au Rwanda pour chercher du travail au Rwanda, ne présentant que peu de signes de la supposée « morphologie tutsi » Richard Mugenzi a été assez naturellement considéré comme un Hutu marqué par son long séjour au Congo. Il a obtenu un poste d’inspecteur du Travail à Gisenyi, où il était chargé de surveiller l’application des quotas ethniques dans le recrutement des entreprises privées comme des administrations.
Témoin du Wannsee rwandais
Au terme d’un parcours complexe détaillé dans le livre de Jean-François Dupaquier L’Agenda du génocide (Ed. Karthala, Paris, 2010), Richard Mugenzi a été recruté comme agent secret au service de renseignement militaire (G2) des Forces armées rwandaises. Installé dans le camp ultra-secret de Butotori, près de Gisenyi, il s’est retrouvé au cœur du dispositif de désinformation de la machine de propagande du génocide. Le 21 novembre 1992, Richard Mugenzi a assisté au Wannsee rwandais : une réunion au plus haut niveau des extrémistes civils et militaires qui coordonnaient la préparation du génocide des Tutsi.
Sous les ordres du colonel Anatole Nsengiyumva, Richard Mugenzi a été l’un des rouages de la subversion de la société rwandaise, diffusant massivement au Rwanda et auprès des chancelleries occidentales, de fausses interceptions des « rebelles » du Front patriotique rwandais (FPR). Les plus connus de ces mensonges sont les messages qu’il diffuse le 7 avril 1994 au matin et qui sont censés revendiquer par le FPR l’attentat qui a coûté la vie au président Hazbyarimana (attentat qui sert de signal au génocide des Tutsi du Rwanda).
Le mensonge des « interceptions accablantes »
Richard Mugensi a été l’un des principaux témoins du TPIR dans le procès intenté à Théoneste Bagosora, présenté comme « l’architecte du génocide » et de son adjoint le colonel Anatole Nsengiyumva. Les policiers du juge Jean-Louis Bruguière envoyés à Arusha feront authentifier par Richard Mugenzi son écriture des messages du 7 avril sans lui demander s’il s’agissait d’interceptions ou de transcriptions. Dans ses conclusions, le juge Jean-Louis Bruguière a ensuite considéré les « revendications de l’attentat » comme la pierre de touche de ses accusation contre le Front patriotique rwandais. Ce mensonge des « interceptions accablantes » dure encore de nos jours.
Richard Mugenzi a également témoigné au Memorial de la Shoah à Paris de la présence du chef mercenaire français Paul Barril au Rwanda durant le génocide. Il l’a vu à Gisenyi en compagnie du colonel Nsengiyumva, commandant OPS de la région, vers la mi-mai 1994. L’officier français de gendarmerie était accompagné d’un groupe de mercenaires français que Richard Mugenzi évalue à une trentaine de personnes.
De ses échanges avec Richard Mugenzi qu’il interviewe ici, Jean-François Dupaquier a tiré le livre L’Agenda du génocide, le témoignage de Richard Mugenzi, ex-espion rwandais. Il a poursuivi ses investigations sur la désinformation dans Politiques, militaire et mercenaires français au Rwanda, chronique d’une désinformation (Ed. Karthala, Paris, 2014.)