Etat de siège, entrée des troupes ougandaises en RDC, rôle de la Monusco… Le député UNC du Nord-Kivu, Juvénal Munubo, analyse la difficile équation à laquelle se heurte Félix Tshisekedi pour ramener la paix à l’Est du pays.
Afrikarabia : Quel bilan faites-vous de l’état de siège à l’Est du Congo, sept mois après son instauration ?
Juvénal Munubo : C’est assez mitigé. La rébellion ougandaise des ADF continue de tuer la population. On a encore enregistré des massacres, il y a seulement quelques jours. Le problème, c’est que l’armée congolaise n’arrive pas à consolider les positions qu’elle reprend aux ADF. Il y a des sanctuaires rebelles comme Madina ou Mayangose qui ont été repris par les FARDC, mais il ne suffit pas de reconquérir des positions, mais il faut les garder.
Afrikarabia : Comment expliquez-vous les difficultés de l’armée congolaise ?
Juvénal Munubo : Il y tout d’abord un problème d’effectifs, mais surtout un problème de moyens. Les militaires n’ont pas leurs rations, pas leurs soldes. Les régiments n’ont pas assez de carburant et de médicaments. Tous ces problèmes rendent difficiles l’action des FARDC.
Afrikarabia : Comment améliorer cette situation ?
Juvénal Munubo : Une évaluation de l’état de siège a été réalisée par la Commission de défense et sécurité de l’Assemblée nationale avec de nombreuses recommandations. Si on les applique, il y a moyen de rationaliser l’état de siège et de le rendre plus efficace. La Commission préconise notamment de remanier la chaîne de commandement en remplaçant certains officiers qui ne font pas bien leur travail. Il faut également accroître les moyens de l’armée congolaise, mais aussi lutter contre l’impunité au sein des FARDC. Je pense qu’en appliquant ces recommandations, nous pouvons avoir de meilleurs résultats dans la lutte contre les groupes armés. Aujourd’hui, nous en sommes à la quatorzième prorogation de l’état de siège et cela donne une impression d’enlisement.
Afrikarabia : Faut-il continuer de reconduire l’état de siège ?
Juvénal Munubo : On peut encore proroger l’état de siège, mais en appliquant les recommandations de la Commission de défense. Mettre fin à l’état de siège alors qu’il n’y a pas encore de résultats, ce serait vécu comme un échec politique.
Afrikarabia : Est-ce que l’Etat a les moyens de mieux financer l’armée congolaise ?
Juvénal Munubo : Il n’y a pas beaucoup de moyens en effet. C’est le problème de la mobilisation des recettes de l’Etat. Il y a beaucoup d’argent qui échappent au Trésor public, dans le domaine des mines ou des hydrocarbures. Il faut élargir les restrictions budgétaires au niveau des institutions budgétivores, comme la Présidence ou le gouvernement. Mais ce ne serait qu’une solution palliative. Pour une solution durable, il faudrait doter le Congo d’une loi de programmation militaire avec un vrai budget, beaucoup plus élevé que les 400 millions de dollars alloués aux FARDC.
Afrikarabia : Si les budgets sont contraints, qu’est-ce-qu’attend Félix Tshisekedi pour remanier la chaîne de commandement des FARDC ?
Juvénal Munubo : Lors de notre dernière rencontre avec le président Tshisekedi et les députés du Nord-Kivu et de l’Ituri, la question lui a été posée. Il nous a dit qu’il le ferait, mais de manière méthodique et pas de manière brusque.
Afrikarabia : Comment avez-vous accueilli le déclenchement d’opérations militaires ougandaises sur le sol congolais pour lutter contre les ADF ?
Juvénal Munubo : L’arrivée des Ougandais est un choix difficile. On sait que l’Ouganda a été condamnée par la Cour internationale de justice pour l’agression du Congo. On sait que l’armée ougandaise a affronté l’armée rwandaise en 2000 à Kisangani. On sait aussi que les rebelles du M23 ont trouvé refuge en Ouganda et qu’ils ont récemment attaqué l’armée congolaise pendant quelques heures. Dans ce contexte, il me paraît difficile de présenter l’armée ougandaise comme un partenaire fiable. Je ne suis pas convaincu que cela soit une bonne approche. Je pense que cette coopération aurait dû rester à un échange de renseignements, sachant que les ADF sont d’origine ougandaise.
Afrikarabia : En tant que député, vous avez été prévenu de l’intervention ougandaise ?
Juvénal Munubo : Les accords de défense n’ont pas été examinés à l’Assemblée nationale. C’est ce qui ressort de l’esprit, et pas seulement de la lettre, de l’article 214 de la Constitution.
Afrikarabia : En savez-vous davantage sur le contour et la durée de la mission de l’armée ougandaise en RDC ?
Juvénal Munubo : Moi qui conteste l’arrivée de l’armée ougandaise, je n’en sais rien ! Je n’ai pas vu l’accord. Même les autres collègues députés, qui soutiennent la venue des Ougandais, n’ont pas vu cet accord. Certains parlementaires sont en train d’appuyer un accord qu’ils n’ont pas lu. On ne sait pas finalement combien d’éléments ougandais sont entrés, avec quels types d’armes et pour combien de temps ? Est-ce que cette intervention ougandaise ne va pas pousser le Rwanda à intervenir également au Congo ? Il y a beaucoup de questions et peu de réponses. Il devrait y avoir un débat organisé au parlement autour de cette question. On est suspendu au hasard. Il n’y a que le hasard pour faire que cette intervention réussisse.
Afrikarabia : Alors que l’on parle d’un plan de désengagement de la Monusco, quel rôle devrait jouer les casques bleus dans l’état de siège et dans les opérations conjointes avec l’Ouganda ?
Juvénal Munubo : Le gouvernement congolais devrait capitaliser davantage la présence de la Monusco au Congo. L’un des succès de la Monusco, c’est la capitulation du M23 en 2013, et on a vu l’efficacité d’une réelle planification conjointe des opérations militaires.
Afrikarabia : La Monusco joue-t-elle son rôle pendant cette période d’état de siège ?
Juvénal Munubo : Non, elle ne joue pas son rôle qui est de protéger les civils. Au cours de certaines attaques, on a vu que la Monusco, qui n’était pas très loin, n’est pas intervenue. Le bilan de la Monusco est négatif de ce point de vue. Mais attention, la responsabilité est aussi gouvernementale, du côté congolais.
Afrikarabia : En 2023, il y aura des élections en RDC. Ne craignez-vous pas que ces zones sous état de siège soient privées de participation au vote, comme certaines régions lors du scrutin de 2018 ?
Juvénal Munubo : Il y a inévitablement un risque. La sécurisation du scrutin est un élément très important de la préparation des élections. Pour organiser les élections, il faut un cadre légal, la loi électorale, qui n’a pas encore été examinée à l’Assemblée ; il faut également un financement, et cela n’a pas encore été discuté ; et il y a bien sûr la sécurisation. En période pré-électorale, comme cela a été le cas en 2006 et 2011, il y avait un plan de sécurisation. Ce plan a-t-il déjà été conçu ? Je ne crois pas. Il faudrait intégrer ce plan à l’état de siège, car 2023 c’est déjà demain.
Afrikarabia : Etes-vous optimiste sur le retour de la paix à l’Est à plus ou moins longue échéance ?
Juvénal Munubo : Je suis optimiste, mais tout dépend des choix que l’on fait. Il y a moyen de prendre des décisions responsables en appliquant les recommandations de la Commission de défense de l’Assemblée. Il y a aussi moyen de discuter franchement avec la Monusco pour examiner son apport dans le contexte de l’état de siège. On a lancé l’état de siège sans une concertation conjointe avec la Monusco. Et il faut surtout être très prudent avec nos voisins et savoir ce que l’on attend de ces opérations conjointes.
Propos recueillis par Christophe Rigaud
Je suis émerveillé de constater qu’il existe des hommes politiques congolais capables de faire une analyse lucide et non partisane de la situation sécuritaire à l’Est RDC. Ces hommes doivent surtout se faire entendre, composer le camp de la patrie face aux courtisans de tout bord qui pensent que fermer les yeux devant la réalité est leur seule chance de survie. Nous souhaitons que les députés qui représentent la nation prennent plus d’initiatives pour amener le chef de l’État, Mr Tshisekedi, à miser sur les solutions de souveraineté pour sauver la nation. L’assainissement du commandement militaire, un vrai engagement pour la lutte contre la corruption et la trahison au sein de l’armée, et des moyens matériels et financiers conséquents sont gage de réussite. C’est vraiment là que les députés doivent travailler. Merci à l’honorable Munubo pour son courage et sa lucidité.