Les rebelles ADF opérant au Congo ont été ajoutés à la liste américaine des groupes terroristes affiliés à l’État islamique (EI). Un rapport de l’Université George Washington estime que la RDC « pourrait devenir un lieu de plus en plus attrayant pour les combattants étrangers », même si la nature des liens entre les ADF et l’EI restent encore à déterminer.
La menace de l’Etat islamique en République démocratique du Congo (RDC) se précise. Du moins pour le gouvernement américain. Les Etats-Unis ont placé, jeudi 11 mars, la milice des Forces démocratiques alliées (ADF) et un mouvement djihadiste au Mozambique parmi les groupes terroristes affiliés à l’Etat islamique. Dans son communiqué, le département d’Etat estime que « Daesh RDC » et son chef Seka Musa Baluku ont fait plus de 849 victimes civiles en 2020 dans l’Est de la RDC.
La RDC, « province officielle de l’Etat islamique »
Cette reconnaissance par les Etats-Unis d’une connexion entre le groupe rebelle d’origine ougandaise et l’Etat islamique, remet en lumière les ADF, installés depuis 1995 en RDC, mais qui se sont largement « congolisés » avec le temps. Les ADF sont tenus pour responsable de nombreux massacres au Nord-Kivu depuis 2014, avec plus d’un millier de morts dans la seule zone de Beni. Un rapport du programme sur l’extrémisme de l’Université George Washington a remonté la piste des premiers contacts entre les ADF et l’Etat islamique. C’est en 2018 que la branche de l’État islamique dans la Province de l’Afrique centrale (ISCAP) en République démocratique du Congo « a été reconnue comme une province officielle de l’État islamique et, en avril 2019, les attaques de l’ISCAP en RDC ont été officiellement revendiquées par les unités médiatiques centrales de l’État islamique.«
« Aucun lien direct avec l’Etat islamique »
Dès 2018, de nombreux chercheurs, ainsi que le groupe des experts de l’ONU pour la RDC s’étaient penchés sur les relations entre le groupe rebelle et la centrale islamiste. Dans le dernier rapport de l’ONU de décembre 2020 sur le Congo, les experts n’ont pu établir « aucun lien direct entre l’EI et les ADF. » Même son de cloche pour les chercheurs de l’Université George Washington qui notent qu’il n’y a actuellement « aucune preuve d’ordres de commandement et de contrôle directs de l’État islamique sur les ADF. » Pourtant, depuis 2019, l’influence de l’EI sur le groupe armé a été réelle. Notamment dans la communication. La milice était très discrète avant 2018, et ne revendiquait jamais ses attaques. L’allégeance à Daesh a bouleversé les méthodes de communications des ADF.
Les méthodes dupliquées de l’Etat islamique
Au fil du temps, la qualité médiocre des vidéos des ADF s’est rapidement améliorée, en reproduisant les codes visuels de l’EI. À partir de 2019, l’État islamique a assuré une couverture régulière des opérations des ADF en RDC, notamment grâce à l’agence Amaq News, le canal officiel de Daesh en ligne. Le dernier coup d’éclat médiatique des ADF-EI : l’évasion de la prison de Kangbayi à Beni, le 20 octobre 2020, de 1.337 détenus lors d’une attaque rapidement revendiquée par les ADF, mais aussi par l’État islamique. Dans le rapport des chercheurs de l’Université George Washington, les liens établis entre les ADF et l’EI se concentrent essentiellement sur la propagande et la communication. Aucun appui opérationnel, financier ou logistique important n’a pu être prouvé. Cependant, les chercheurs tirent la sonnette d’alarme : « l’évolution des activités opérationnelles et stratégiques des ADF sous la direction de Baluku suggère que le groupe cherche à mettre en œuvre la croyance et les méthodes de l’État islamique.«
« Un amplificateur et un bienfaiteur » pour les ADF
L’arrivée de l’Etat islamique en Afrique centrale coïncide avec ses défaites en Syrie et en Irak. Pour assurer sa survie et son extension, le groupe terroriste créé des branches extérieures au Sahel, en Somalie, aux Philippines, mais aussi en Afrique centrale. Un partenariat qui s’avère médiatiquement gagnant-gagnant : l’EI prouve qu’il n’est pas mort et qu’il s’internationalise et les ADF ont trouvé « un amplificateur et un bienfaiteur » à leur rébellion. Le rapport de l’Université George Washington s’inquiète de l’influence que peut avoir, à terme, l’Etat islamique sur les ADF. « La RDC pourrait devenir un lieu de plus en plus attrayant pour les combattants de toute l’Afrique orientale et centrale.«
Une plaque tournante pour tous les djihadistes
Ce rapport met en évidence « plusieurs cas de combattants étrangers qui ont participé aux opérations des ADF. La RDC pourrait devenir la prochaine plaque tournante des combattants étrangers djihadistes du monde entier. » En cause, « ses frontières poreuses et son instabilité générale qui en font une destination relativement facile à atteindre pour les futurs djihadistes. » Une situation préoccupante pour la RDC, ses voisins, mais aussi pour la communauté internationale. Car, souligne les chercheurs de l’Université américaine, « ce n’est pas un hasard si, à mesure que les relations avec l’État islamique se sont renforcées et officialisées, les campagnes de torture et de massacres dans le Nord-Kivu et en Ituri ont augmenté.«
Vers une intervention militaire internationale ?
Si les relations sont encore troubles entre l’Etat islamique et les ADF, les preuves d’une collusion étroite commencent à se dessiner. Grâce à Daesh, les ADF se structurent davantage, reçoivent de l’argent, des combattants et des conseils stratégiques. Pour le moment de manière limitée. Mais « l’absence de réponse devient coûteuse, s’alarment le rapport de l’Université George Washington, et les perspectives de propagation des ADF dans la région augmentent. » Le communiqué américain, qui reconnaît la connexion entre les ADF et l’Etat islamique, peut-il changer la donne sécuritaire dans la région ? En d’autres termes, les Etats-Unis vont-ils s’impliquer militairement dans la lutte contre Daesh au Congo ? Rien n’est moins sûr. Une intervention militaire semble assez peu probable pour le moment, mais une aide logistique américaine, l’envoi de drones ou l’échange de renseignements pourraient voir le jour rapidement. L’ambassadeur américain à Kinshasa, Mike Hammer, a promis « d’appuyer les efforts du président Tshisekedi et du gouvernement congolais à faire face aux groupes armés et aux groupes terroristes. » Pour le moment, les Etats-Unis se sont engagés « à supprimer le financement de ces groupes. »
Christophe Rigaud – Afrikarabia