Du 12 novembre au 19 décembre, la justice française va devoir se prononcer sur la culpabilité de Roger Lumbala, accusé de « complicité de crimes contre l’humanité », commis entre 2002 et 2003 à l’Est du Congo. Une première pour la France, qui jugera un ressortissant congolais en vertu de la compétence universelle. Explications.

Dans le maelstöm de groupes armés qui pullulent à l’Est du Congo, et à l’heure où les rebelles de l’AFC/M23 occupent une grande partie du Nord et du Sud-Kivu, la justice française va juger Roger Lumbala à partir du 12 novembre prochain, pour une durée de six semaines. Lumbala était à la tête du Rassemblement congolais pour la démocratie nationale (RCD-N), un groupe armé actif au début des années 2000, pendant la deuxième guerre du Congo. Interpellé à Paris en 2021, Roger Lumbala a été mis en accusation en 2023 par les juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris. Les chefs d’inculpation sont graves. Le patron du RCD-N est accusé de « complicité de crimes contre l’humanité, meurtre, torture, viol et esclavage ». Le RCD-N, et ses alliés, auraient commis ces atrocités au cours d’une opération militaire, cyniquement appelée « Effacer le tableau », menée au Nord-Kivu et en Ituri entre 2002 et 2003 – voir notre article. Les combats opposaient alors le RCD-N à son rival de l’époque, issu d’une scission, le RCD-ML d’Antipas Mbusa Nyamwisi. Une lutte pour le contrôle de la région de Mambasa, Beni et Butembo, riche en ressources naturelles, qui se déroule aux côtés d’une autre milice, l’Armée de libération du Congo (ALC), le bras armé du Mouvement de libération du Congo (MLC) de l’actuel ministre des Transports Jean-Pierre Bemba, allié politique de poids de l’actuel président congolais, Félix Tshisekedi.
Des personnalités congolaises appelées à témoigner
Le nombre exact des victimes de l’opération « Effacer le tableau » n’est pas connu. Mais pour le seul mois d’octobre 2002, les Nations unies ont documenté 173 meurtres sur 17 jours, mais aussi des viols, des cas de « traitements cruels et inhumain, des disparitions forcées, et des pillages systématiques ». Un collectif d’ONG des droits humains (1), a recueilli des témoignages de victimes et s’est constitué partie civile. Ce procès est « une étape historique pour briser ce cycle d’impunité » estime Daniele Perissi, responsable du programme RDC de TRIAL International. « Pendant trop longtemps, les auteurs de ces crimes ont échappé à la justice, certains accédant même à des postes de pouvoir ». Le nom de Roger Lumbala est présent dans le fameux rapport Mapping, un document de l’ONU qui recense les exactions et les crimes commis entre 1993 et 2003 au Congo. Mais il n’est pas le seul. Les troupes du MLC de Jean-Pierre Bemba sont elles aussi impliquées dans l’opération « Effacer le tableau ». Et son aile militaire, l’ALC, était commandée par un certain Constant Ndima, ex-gouverneur du Nord-Kivu, nommé en 2021 par Félix Tshisekedi pour assurer l’état de siège dans la province. Il a été écarté après un massacre commis par des membres de la garde présidentielle lors d’une manifestation en août 2023, qui avait fait plus de 50 morts. Des personnalités congolaises de premiers plans pourraient donc être amenées à témoigner aux assises de Paris – voir notre article.
Une demande d’extradition ignorée par Paris
Le procès de Roger Lumbala se déroulera à Paris, en vertu de la compétence universelle. Un principe qui permet de poursuivre des personnes indépendamment du lieu où les crimes ont été commis, de la nationalité de leurs auteurs ou de celle des victimes. Une première en France pour un ressortissant congolais. Cependant, cette compétence extraterritoriale ne peut s’appliquer qu’en l’absence de poursuites engagées par la Cour pénale internationale (CPI) ou par la justice de la République démocratique du Congo (RDC). Selon maître Philippe Zeller, l’avocat de Roger Lumbala, contacté par Afrikarabia, « la RDC avait adressé une demande d’extradition en 2013 pour les mêmes chefs d’inculpation pour lesquels il est poursuivi à Paris ». Cette demande d’extradition a été renouvelée par voie diplomatique en 2024 aux autorités françaises, puis par trois fois en 2025. Pour l’avocat de Roger Lumbala, « ces demandes ont été préalables aux poursuites en France et font donc écran avec la compétence universelle ». L’avocat n’explique pas pourquoi la justice française n’en a pas tenu compte. Selon une autre source, l’état dégradée de la justice congolaise et l’application de la peine de mort pourraient être les raisons avancées. A l’ouverture du procès, Me Zeller compte soulever l’incompétence de la juridiction française pour juger son client. Accusé de « complicité de crimes contre l’humanité », Roger Lumbala encourt la réclusion à perpétuité.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
(1) TRIAL International, Minority Rights Group, The Clooney Foundation For Justice et Justice Plus.


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