Une enquête de Human Rights Watch révèle que l’opération anti-criminalité, réalisée il y a un an par la police de Kinshasa, a fait 51 morts et 33 disparitions.
L’opération de police anti-délinquance « Likofi » se retrouve une nouvelle fois sous le feu des critiques. En octobre dernier, le bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’Homme (BCNUDH) avait déjà publié un rapport accablant sur les exactions de la police congolaise. L’ONU avait relevé 9 exécutions sommaires et 32 disparitions pendant les 3 mois de l’opération entre novembre 2013 et février 2014 – voir notre article. Un rapport qui avait fortement déplu aux autorités congolaises, qui avaient fini par expulser le responsable du bureau des Nations unies de Kinshasa, Scott Campbell. Une décision très critiquée par la communauté internationale. Aujourd’hui, c’est Human Rights Watch (HRW) qui revient à la charge avec un nouveau rapport très circonstancié de 63 pages sur « Likofi » (1). Selon les preuves recueillis par l’ONG : « 51 jeunes hommes et garçons ont été sommairement tués pendant la campagne anti-criminalité et 33 autres ont disparu ». Après lecture des 107 témoignages de l’enquête, le « nettoyage » des bandes de « Kulunas », ces gangs qui terrorisent Kinshasa, s’est visiblement transformé en véritable carnage, en dehors de toutes légalité.
Meurtres, tabassages et humiliation publiques
Le rapport de HRW affirme que pendant l’opération « Likofi », la police a conduit de nombreux raids « prenant pour cible plusieurs personnes qui n’avaient rien à voir avec les Kulunas ». Les témoins racontent qu’il s’agissait pour la plupart d’enfants des rues, « de jeunes accusés à tort par leur voisins ou tout simplement de personnes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment ». Selon Human Rights Watch, « les personnes qui ont été tuées ne représentaient aucune menace imminente à la vie qui aurait justifié l’utilisation de la force létale par la police ». Pour les autres victimes, celles qui ont échappé à la mort : tabassage en règle et humiliation devant la foule, en pleine rue. L’ONG révèle ensuite qu’après les inquiétudes formulée par les Nations unies et les organisations des droits de l’homme, les forces de sécurité congolaises « ont changé de tactique ». « Au lieu d’exécuter les suspects publiquement, ils ont emmené les personnes arrêtées dans un camp de la police ou dans un lieu inconnu ». L’enquête explique également que selon un rapport confidentiel rédigé par un gouvernement étranger, « certains des Kulunas présumés enlevés par la police ont fini par être secrètement tués ».
Qui est responsable ?
Daniel Bekele, le directeur de la division Afrique de Human Rights Watch est très clair sur la responsabilité des différents « dérapages » de l’opération « Likofi ». « Les éléments de preuve recueillis impliquent des officiers congolais de haut rang dans les meurtres et les disparitions, ainsi que dans les dissimulations qui ont suivi » explique-t-il. Deux généraux congolais ont successivement dirigé la campagne anti-criminalité : le Général Célestin Kanyama et le Général Ngoy Sengelwa. Des policiers et un cadre de haut rang ayant participé à « Likofi » ont déclaré à Human Rights Watch que « dans la pratique, Kanyama était le principal commandant de l’opération ». Des policiers ont même affirmé que « Kanyama a donné l’ordre de tuer certains Kulunas présumés et qu’il était présent lors de certaines de ces attaques ». Des accusations récusées par Célestin Kanyama dans un entretien avec HRW.
Permis de tuer
Très vite après le début de l’opération « Likofi », les autorités congolaises, au vue des « dérapages » fréquents de la police, ont reconnu « des exactions commises par des policiers et notamment des homicides » explique HRW. Une reconnaissance apparemment sans conséquence : aucun des policiers de l’opération n’a pour le moment été interpellé. Dans son rapport, Human Rights Watch demande aux autorités de « suspendre le Général Kanyama de ses fonctions » et d’ouvrir une enquête judiciaire. Sans arrestation, ni condamnation des auteurs des exactions, l’opération « Likofi » a conforté l’idée d’impunité dont jouissent les forces de sécurité congolaises. Au lieu de renforcer la sécurité dans la capitale congolaise, l’objectif premier de cette opération de police voulue par le président Joseh Kabila lui-même, « elle a renforcé un climat de peur à Kinshasa » dénonce le rapport. « Une ville où les agents chargés de l’application de la loi ont été autorisés à tuer, enlever, voler et intimider les habitants » conclut Human Rights Watch. Le 14 novembre 2014, le ministre de l’Intérieur congolais , Richard Muyej a déclaré vouloir relancer une nouvelle opération « Likofi », en tenant compte des « dérapages » des opérations précédentes. Un rapport de la police congolaise est actuellement en cours d’écriture afin de « déterminer les responsabilités et de sanctionner rigoureusement ».
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
(1) Le rapport d’Human Rights Watch est téléchargeable ici