Sept semaines après la signature d’un accord pour une transition politique, sa mise en application, retardée par la mort de l’opposant Etienne Tshisekedi, est toujours au point mort. Une impasse dont sont désormais comptables majorité et opposition.
Faute de volonté politique, la présidentielle de 2016 a été reportée, permettant à Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de la fin de son mandat, le 19 décembre dernier. Deux dialogues consécutifs sont parvenus à un accord in-extremis le 31 décembre 2016 après des manifestations anti-Kabila fortement réprimées par la police et un bilan « d’au moins 50 morts ». Depuis le fragile accord de la Saint-Sylvestre, l’impasse est totale pour régler la transition politique jusqu’aux nouvelles élections fixées, désormais en décembre 2017. Le temps passe et les points de blocage s’accumulent quand à la mise en application de l’accord. Et le décès de l’opposant Etienne Tshisekedi en Belgique le 1er février dernier n’arrange rien. Il va falloir trouver un successeur à la figure emblématique de l’opposition congolaise, qui devait présider le Conseil national de suivi de l’accord (CNSA). Quand au poste de Premier ministre, qui doit être désigné par le Rassemblement de l’opposition de Tshisekedi, le président Kabila veut pouvoir choisir entre deux ou trois noms alors que la plateforme exige que ce soit le fils d’Etienne Tshisekedi, Félix, qui occupe le poste. Joseph Kabila pourrait être tenté par un plan B en nommant une autre personnalité du Rassemblement, fragilisant un peu plus une opposition au bord de l’implosion. Autre source d’inquiétude : le financement des élections, estimé maintenant par la Commission électorale (CENI) à 1,3 milliard de dollars. Le ministre du Budget estime qu’il sera difficile de mobiliser une telle somme. Enfin, la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader au Congo central avec la secte Bundi dia Kongo, dans les Kasaï avec les adeptes du mouvement de Kamwani Nsapu, dans les Kivu avec le retour des rebelles de l’ex-M23 et les massacres imputés aux miliciens ougandais des ADF dans la région de Beni.
Pas d’élections en 2017 ?
Un tel cocktail explosif rend de plus en plus théorique la tenue des élections dans les délais. Et sans être grand clerc, on peut déjà affirmer que les élections de 2017 sont déjà à mettre aux oubliettes. Ce statu quo est d’autant plus inquiétant qu’opposition et majorité sont désormais dans la même barque du « glissement » du calendrier électoral, laissant aux Congolais peu d’espoir d’une alternance à court terme en RDC. Car on voit bien la stratégie que le président Joseph Kabila est en train d’esquisser pour continuer à se maintenir au pouvoir au-delà de son dernier mandat. Le président Congolais peut encore jouer sur trois tableaux pour gagner du temps : l’élasticité du calendrier électoral par manque de moyens financiers, la division de l’opposition qui risque de se morceler un peu plus après la mort de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, et enfin l’instabilité dans les provinces, avec le retour des mouvements contestataires (Congo central et Kasaï) et des ex-M23 à l’Est. C’est trois facteurs risquent de permettre au président Kabila de jouer la carte « moi ou le chaos », jusqu’à proposer la tenue d’un référendum si les retards s’accumulent pour organiser les élections. Le danger réside désormais dans le fait que le pouvoir a embarqué avec lui la majeure partie de l’opposition dans un interminable processus de négociation à l’infini qui empêche toute sortie de crise dans les prochains mois.
Félix pourrait subir le même sort que Vital
La succession d’Etienne Tshisekedi au sein du Rassemblement, et donc du CNSA, ainsi que la nomination du futur Premier ministre issu de l’accord de la Saint-Sylvestre, constitue le point de fixation de l’impossible consensus entre majorité et opposition. Au coeur de ce compromis : l’avenir de Félix Tshisekedi, « dauphin naturel » de l’emblématique opposant. Promis à la Primature par le Rassemblement, le président Kabila s’apprête à rejouer l’épisode du premier dialogue d’octobre avec une partie de l’opposition. Tout le monde attendait Vital Kamerhe pour occuper la tête de l’exécutif congolais, mais Joseph Kabila a préféré jouer la division en nommant un ex-membre de l’UDPS de Tshisekedi, Samy Badibanga, pour semer le trouble dans les rangs du Rassemblement, en même temps que de se débarrasser de Vital Kamerhe qu’il considérait comme trop encombrant. Avec Félix Tshisekedi, le scénario pourrait bien se reproduire. Joseph Kabila pourrait bien être tenté de nommer un autre membre du Rassemblement pour empêcher au fils d’Etienne Tshisekedi d’occuper la Primature (un poste que le président voudrait encore garder « sous contrôle »). Le plan B s’est proposé de lui-même, il s’agit de Raphaël Katebe Katoto. Le propre frère de Moïse Katumbi, candidat déclaré à la prochaine présidentielle, s’est en effet proposé pour occuper le poste de Premier ministre. Joseph Kabila a en effet demandé au Rassemblement de ne pas lui présenter un seul nom pour la Primature, mais « deux ou trois noms », ce qui lui permettrait de contourner la nomination de Félix. A Kinshasa, on évoque également un autre scénario qui serait de conserver Samy Badibanga au poste à la Primature, puisque, normalement, la présidentielle doit se tenir dans moins de 10 mois.
Pas d’argent… pas d’élections
Dans ce maelström politique sans fin, Joseph Kabila peut enfin compter sur le budget lilliputien de la RDC (environ 4,5 milliards de dollars) pour contrer toutes les velléités de la Commission électorale (CENI) d’organiser un scrutin digne de ce nom dans ce pays-continent grand comme 4 fois la France et dépourvu de toute infrastructure de communication. Estimé à 1,3 milliard de dollars, le coût des élections de 2017 paraît incompatible avec le budget national. Le ministre Pierre Kangudia a d’ailleurs récemment estimé qu’il serait difficile de mobiliser une telle somme : « Nous avons trouvé une casserole vide et trouée, je dis bien trouée ». Selon lui, il est « possible de financer certaines élections avec moins d’argent si les politiques s’entendent sur la séquence à financer ». On peut donc penser qu’en janvier 2018, le président Joseph Kabila sera toujours accroché, et bien accroché à son fauteuil, faute d’élections. Désormais, la seule question qui vaille n’est pas de savoir quand auront lieu les prochaines élections ? Mais combien de temps peut encore tenir Joseph Kabila sans organiser de scrutin ? La réponse est à chercher du côté des Congolais eux-mêmes, qui finiront (peut-être) par se lasser de cette cuisine congolaise dans laquelle majorité et opposition sont désormais plongées dans ce même plat…. plutôt indigeste.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Je suis de ceux que ce dialogue médié par la Cenco a tentés et tente, c’est pour moi une possible opportunité à même de débloquer la « crise » aussi bien en « désarmant » l’imposture démagogique d’un pouvoir qui se veut plus blanc qu’il l’est qu’en permettant à l’opposition et toutes les forces vives de la Nation de mieux exercer leurs pleins droits en vue d’une gestion plus démocratique du pays…
Hélas aujourd’hui sa finalisation et sa mise en œuvre sont torpillées de tous côtés, de la part du pouvoir, même acculé à l’adopter on ne peut en attendre des « cadeaux », mais aussi de la part de l’opposition qui à mon avis s’y montre plus militante que réaliste et se cramponne divisée à des postes, sans oublier la part de la Cenco dont la bonne foi tourne parfois à l’angélisme nocif…
N’empêche que si je crois toujours à la bonne fortune de cet accord que « la bonne foi et l’intérêt supérieur du pays » se doivent de sauver, je ne peux non plus m’illusionner que parfois « à l’impossible nul n’est tenu » et que s’il se maintient ainsi à l’arrêt à cause des contrecoups des uns et malgré les efforts des autres il faudra bien se rendre à l’évidence qu’il ne restera alors qu’une voie extrême mais pas inutile à l’Opposition comme à la Cenco, c’est d’abandonner la mort dans l’âme cette entreprise de dialogue et laisser ainsi le pouvoir assumer pleinement les conséquences de cet échec !
Une dernière occasion de dévoiler plus clairement les machinations diaboliques du pouvoir et d’engager sa pleine responsabilité dans un avenir du pays qui, loin de là, ne lui servira pas que d’heureux bénéfices quoi qu’en pense ‘JK’ ?
J’apprécie pertinemment l’analyse de Christophe Rigaud qui autopsie la réalité politique congolaise. Chapeau bas à Monsieur Nsumbu qui ajoute des ingrédients à la sauce. Je me passe d’en rajouter.
Cher confrère, merci de votre humble analyse de la situation politique en RDC. Vraiment, nos politiciens je parle ceux de l’opposition se sont montré immatures quant à ce qu’ils refusaient hier « le glissement de Kabila ». Ils viennent de l’aider à glisser sans le savoir et sans le vouloir compte tenu de leurs atermoiements à se bousculer sur leurs positionnement au poste au lieu de faire diligence quant aux processus qui peuvent les aider à aller vite aux élections prévues à la fin de cette année 2017 qui, du reste, restent présentement utopiques. Kabila sait calculer les aspirations profondes de nos leaders: chercher l’argent et le pouvoir et non le bien être de la population. c’est ce qu’il leurs avait tendu ! Et ils y sont pris bras et pieds liés.