Après les violences de décembre, les prochains scrutins locaux de septembre pourraient raviver les tensions à Yumbi selon Thijs Van Laer, directeur de programme Prévention et résolution des déplacements de l’Initiative internationale pour les droits des réfugiés (IRRI).

En décembre 2018, à quelques semaines de l’élection présidentielle, la région de Yumbi, au nord-ouest de la RDC, a été le théâtre d’affrontements inter-communautaires qui ont coûté la vie à plus de 500 personnes et en ont déplacé 30.000 autres. Selon l’ONU, ces attaques ont été organisées et planifiées par des membres de la communauté tende contre des membres de la communauté nunu. D’une extrême violence, ces affrontements ont duré moins de 48 heures.
Pour essayer de comprendre les raisons du massacre, l’Initiative internationale pour les droits des réfugiés (IRRI) a mené ses propres enquêtes à Yumbi, interrogeant 35 victimes et d’autres témoins « bien informés sur les événements ». Dans un article publié par le Groupe d’études sur le Congo (GEC), Thijs Van Laer revient sur l’élément déclencheur du conflit : l’enterrement du chef coutumier des Nunu, décédé dans la ville de Yumbi dans la nuit du 14 décembre.
Violences planifiées ?
« Des membres de la communauté des Tende avaient averti les Nunu de ne pas inhumer leur chef dans le centre-ville, explique le responsable de l’ONG. Les autorités l’avaient également interdit, mais les Nunu ont décidé de passer outre et ont enterré leur chef aux côtés de ses prédécesseurs, comme l’exige leur coutume. Ils sont allés ensuite dans les rues pour célébrer leur succès par des chansons. Et ils auraient attaqué des maisons occupées par des membres de la communauté tende. Ces derniers ont considéré cela comme de la provocation ».
Les Tende ont alors lancé des attaques, les 16 et 17 décembre, à Yumb et près des villages de Bongende et de Nkolo-Yoka. Selon l’IRRI, la rapidité et la violence des attaques ne peuvent s’expliquer que par une planification des assauts, « un plan préconçu »… avec préparation des armes et barrages routiers. Un témoin a déclaré à l’ONG avoir entendu des hommes en uniforme militaire dire : « Notre mission est de tuer les Nunu. Si nous leur tirons dessus et qu’ils ne sont pas encore morts, vous devez les achever avec des machettes. » Toujours selon l’IRRI, des témoins ont déclaré avoir vu des policiers et des personnes en tenus militaires participer aux attaques.
Complicité des autorités ?
Les témoignages recueillis dénoncent « une réaction tardive et limitée » des autorités provinciales. Même si les preuves manquent, plusieurs témoins « accusent le gouverneur sortant, Gentiny Ngobila, mais aussi le chef coutumier et le commandant de la police, tous des Tende, d’être à l’origine des attaques ». Ironie du sort, le gouverneur a été réélu en avril. L’ONG explique ensuite que « les autorités militaires et civiles ont fait pression sur les populations pour qu’elles regagnent Yumbi ». Un appel partiellement entendu au vu des conditions précaires de sécurité et au nombre de maisons et d’écoles détruites.
Ces violences à Yumbi ont eu un impact important sur les élections générales (présidentielle et législatives) de décembre 2018 qui ont vu l’élection controversée de Félix Tshisekedi. Le scrutin a en effet été reporté en mars dans cette région, avec un très faible taux de participation et une victoire des candidats pro-Kabila à l’Assemblée nationale et provinciale. « Étant donné le moment choisi pour les attaques, nombre de personnes soupçonnent bien entendu un lien avec le processus électoral, comme ce fut le cas pour les violences qui avaient précédé des échéances électorales de 2006 et de 2011 » s’interroge l’IRRI. Difficile d’apporter une réponse claire à cette question, mais les prochaines élections locales prévues en septembre, « pourraient constituer le prochain rendez-vous de tensions ».
Tensions politiques à venir ?
Les élections de septembre sont à haut risque. « La campagne électorale sur les thèmes de l’identité, du pouvoir et des ressources pourrait entraîner à nouveau des violences à Yumbi et ailleurs, surtout si les résultats des élections sont par la suite manipulés et des différends électoraux mal gérés », prévient Thijs Van Laer. Pour cette ONG, il faut à tout prix promouvoir « la réconciliation et la responsabilisation ». Des efforts ont été faits dans ce sens : une délégation gouvernementale s’est rendue à Yumbi et les deux communautés ont été invités à dialoguer à Kinshasa.
Si 21 suspects ont été interpelés, le besoin de justice reste primordiale selon l’IRRI. « Nous avons besoin de réconciliation. Mais les gens ont aussi besoin de justice, de vraie justice. Sinon, il n’y aura jamais de réconciliation » estime une religieuse interrogée. Plusieurs facteurs pourraient raviver le conflit : « les retours précipités des personnes déplacées, les réponses inappropriées des forces de sécurité, mais aussi et les traumatismes non traités ». Les efforts de réconciliation doivent être conséquents, de même que les enquêtes et les poursuites de l’ONU, au risque de voir les vieux démons de la violence ressurgir à la moindre tension politique.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia