Depuis une semaine la toile s’enflamme pour traquer et arrêter Joseph Kony, un chef rebelle ougandais de la LRA, recherché par la Cour pénale internationale. Un clip d’une ONG a mobilisé près de 70 millions d’internautes et la page Facebook de la campagne compte déjà 2,5 millions de fans. Unique par son succès, la vidéo « Kony 2012 » constitue une première du genre pour un chef de guerre africain encore inconnu du grand public il y a quelques jours. Pourtant, cette « vidéo virale » humanitaire est très controversée et suscite scepticisme et railleries.
LRA. Depuis 2007, ces 3 lettres sèment la terreur au Nord et à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Considérée comme l’une des milices les plus violentes du monde, l’Armée de résistance du seigneur (LRA), qui organise une rébellion contre le pouvoir ougandais, est accusée de perpétrer des massacres, des viols de masse, des pillages auprès des populations civiles congolaises. La LRA est aussi tristement connu pour être composée à 80% d’enfants soldats. A sa tête depuis 1988, Joseph Kony est recherché depuis 2005 par la Cour pénale internationale. De nombreuses opérations militaires, ougandaises, congolaises et américaines ont été montées pour sa capture… sans succès. La jungle est immense et les troupes de Kony passent allègrement d’une frontière à l’autre, entre Congo (RDC) et Centrafrique.
Depuis une semaine, une vidéo de l’association Invisible Children fait le buzz sur internet. Ce clip de 30 minutes vise à mobiliser la communauté internationale afin d’arrêterJoseph Kony. En quelques jours, la vidéo a été vue par plus de 70 millions d’internautes. La page Facebook de la campagne est prise d’assaut et compte plus de 2,5 millions de fans. Sur Twitter, « Kony 2012 » a été le sujet le plus partagé sur le réseau social. Des célébrités comme Oprah Winfrey, Puff Diddy, Justin Bieber ou Rihanna ont relayé le message à leurs millions de « followers » … le succès est immédiat… et c’est une première pour une vidéo humanitaire.
Mais très vite, les critiques fusent. Il faut dire que le clip (30 minutes tout de même) ressemble plutôt à une mauvaise bande annonce de film américain (voix off, musiques et effets spéciaux à gogo). Le propos est ensuite tellement manichéen qu’il s’apparente aux pires films de propagande de la période soviétique. Enfin, l’objectif de la campagne (capturer Joseph Kony) cadre mal avec la mobilisation proposée par l’ONG et un appel au don. En effet, Kony est déjà recherché depuis plusieurs années par les armées d’un moins quatre pays : l’Ouganda, la RDC, la Centrafrique et les Etats-Unis. On voit mal comment la mobilisation de millions d’internautes pourraient accélérer sa capture et surtout, à quoi servirait l’argent récolté ? L’échec de son arrestation n’est pas dû à un manque de moyens financiers, mais bien plus prosaïque : la zone dans laquelle se déplace les troupes de Kony est grande comme 2 fois la France et couverte d’une forêt tropicale très dense. Le chef rebelle joue donc à cache-cache avec les différentes armées à sa poursuite.
La controverse ne s’arrêta pas là. Un étudiant canadien (relevé par le site du Nouvel Observateur) affirme qu’Invisible Children « est en faveur d’une intervention militaire directe, et leur argent soutient l’armée du gouvernement ougandais et divers autres forces militaires. » Une photo des fondateurs de l’ONG, posant les armes à la main avec des militaires de la SPLA (milice soudanaise soutenue par l’Ouganda) a fini par jeté le trouble sur les bonnes intentions d’Invisible Children. Pour couronner le tout, l’ONG a été plutôt mal noté par Charity Navigator, censé évaluer la transparence financière d’Invisible Children, l’association ayant refusé l’accès à ses comptes.
Invisible Children donne peu d’explications convaincantes sur son site internet. La photo ? « une erreur de jeunesse ». Le financement ? « aucun don n’est versé à des gouvernements ». Comment cette campagne aiderait-elle l’arrestation de Joseph Kony ? « en déployant des conseillers américains sur place (??), en fournissant des renseignements (??) et d’autres aides (lesquelles ??) pour localiser Joseph Kony ».
Si arrêté Joseph Kony est une nécessité pour la sécurité de milliers de civils vivant dans la région, la campagne d’Invisible Children « sonne faux ». Car si la cause est bonne, les moyens sont douteux. D’ailleurs de nombreux internautes ont immédiatement détourner la campagne en se demandant comment cette vidéo de 30 minutes pouvait changer quelque chose dans l’arrestation de Joseph Kony.
Un seul point positif tout de même : la puissance d’internet peut accélérer la mobilisation de l’opinion (on le savait déjà avec les révoltes arabes) et maintenant, tout le monde connaît Joseph Kony… ou presque.
Christophe RIGAUD