Un rapport de l’ONU s’alarme du retard pris pour rapatrier les anciens rebelles au Congo alors que le M23 accuse le gouvernement de ne pas tenir ses promesses.
Un rapport intermédiaire du groupe d’experts de l’ONU sur la République démocratique du Congo s’inquiète « des progrès trop lents pour régler le problème des ex-M23 qui se trouvent réfugiés au Rwanda et en Ouganda ». De nombreux retards ont été pris dans la mise en oeuvre des déclarations de Nairobi signées entre le M23 et le gouvernement congolais le 12 décembre 2013. Le processus d’identification des ex-combattants, le désarmement et le rapatriement, qui étaient censés avoir débuté en avril, est toujours au point mort. Des retards qui repoussent le rapatriement des anciens M23 vers la République démocratique du Congo… et inquiète les Nations-unis. Le groupe d’experts craint de voir ainsi l’ancienne rébellion se réorganiser.
M23 en fuite
Autre inquiétude avancée par les Nations-unis : l’évasion de plusieurs rebelles du camp de Ngoma au Rwanda. Le groupe d’experts estime « qu’au moins 48 ex-combattants » se sont échappés du camp, entre fin 2013 et début 2014. L’ONU ne connait pas non plus le nombre exact des anciens M23 en Ouganda et au Rwanda. « Leur nombre a fluctué » selon le rapport. Le gouvernement ougandais aurait déclaré avoir 1445 ex-rebelles sur son sol fin novembre 2013. Selon le mécanisme conjoint de vérification, ils seraient en fait 1375. Le M23 aurait en fait déclaré deux listes différentes sur la composition de la rébellion. Entre la liste composée en février et celle d’avril, 18 noms auraient été rajoutés par l’ancien M23. Selon les experts de l’ONU, « le M23 a réorganisé et déplacé certains de ses soldats et de ses officiers » et notamment au niveau de l’Etat-major. L’ONU se demande « qui a donné ces ordres » et quel était le but d’un tel remaniement « dans le contexte imminent du rapatriement des anciens M23 au Congo ». Dans les documents fournit par le M23, l’ex-rébellion se composerait de trois bataillons et d’un Quartier général.
Des proches de Makenga se déplacent librement en Ouganda
Pour le moment, les anciens rebelles ont été déplacés fin décembre 2013 par les autorités ougandaises dans un centre de formation de l’armée à Bihanga. Un site dans lequel les ex-M23 peuvent se déplacer « librement dans et en dehors du camp » selon les experts onusiens. Par ailleurs, si la plupart des anciens combattants sont bien regroupés à Bihanga, d’autres se trouvent dans un hôpital militaire à Bombo alors que « les cadres politiques du mouvement vivent à Kampala ». Concernant, les chefs militaires de l’ex-M23, Sultani Makenga et Innoncent Kaina, que la RDC a exclu de la loi d’amnistie, le rapport de l’ONU explique que les autorités ougandaises les ont « déplacé loin de leurs troupes » afin d’empêcher toute influence sur les anciens combattants. Kampala affirme que Makenga et Kaina, contrairement aux cadres politiques « n’ont pas de liberté de mouvement ». Cependant, les experts notent que certains proches de Makenga, comme Castro Mberagabo Mbera, se déplace librement… ce qui préoccupe bien évidemment l’ONU.
« Le M23 a réalisé 100% de ses engagements »
Quelques jours avant la diffusion dans la presse de ce rapport préliminaire de l’ONU, le M23 avait produit un premier « bilan d’évaluation des accords de Nairobi« . L’analyse de René Abandi, le patron de l’aile politique de l’ex-rébellion, partage une partie des critiques de l’ONU sur la lenteur du processus de Nairobi. « La mise en oeuvre des engagements a du plomb dans l’aile » déclare René Abandi, qui estime que « la responsabilité du gouvernement est pleinement engagée et sa bonne foi sérieusement mise en cause« . Dans ce document à charge contre les autorités congolaises, l’ex-M23 affirme avoir réalisé « 100% » des promesses de Nairobi, alors que le gouvernement n’avait tenu « qu’un seul de ses engagements : la promulgation de la loi d’amnistie« . Selon René Abandi, plusieurs promesses manquent à l’appel : « libération des prisonniers, transformation du M23 en parti politique, mise en place d’une commission démobilisation et réinsertion, le retour et la réinstallation des réfugiés et déplacés internes, la mise en place de la Commission réconciliation nationale…« .
Amnistie totale ?
Le M23 dénonce également l’exclusion de l’amnistie de certains membres du M23, notamment les principaux chefs militaires. René Abandi précise que dans les déclarations signées avec le gouvernement « aucune exception n’était prévue« . Et de considéré que « 6 mois après la signature de Nairobi, la question de l’amnistie n’est pas réglée car, même les membres du M23 qui ont rempli les fiches d’engagement continuent à être arrêtés« . Le M23 avait en effet toujours revendiqué une amnistie complète de ses membres.
Les germes d’une nouvelle contestation ?
Dans ce contexte de tensions entre les autorités congolaises et les ex-rebelles, les « anomalies » et les « retards » pointés par le rapport des experts de l’ONU ne laissent rien présager de bon pour l’avenir des Kivus. Pendant ce temps, le grand dispositif DDR III de démobilisation, désarmement et réintégration peine lui aussi à se mettre en place. Les conflits récents et à répétition dans la région des Grands Lacs ont toujours eu pour principale cause la mauvaise (ou la non-application) des accords de paix entre belligérants. Les rébellions passées : RCD, CNDP et aujourd’hui M23 sont toujours nées des errements, des atermoiements et de la mauvaise foi du gouvernement et des rebelles (avec des responsabilités souvent partagées). Cette fois-ci, la victoire militaire sur le M23 pourrait se transformer en défaite politique si Kinshasa ne prenait pas la mesure de l’urgence à régler une bonne fois pour toute les différents avec l’ex-rébellion. Au risque de voir naître une nouvelle contestation depuis les camps de l’Ouganda et du Rwanda voisin.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia