La mort mystérieuse de l’ancien patron du renseignement militaire, Delphin Kahimbi, après sa suspension, jette le trouble sur la délicate tentative de reprise en main de l’armée congolaise par le président Félix Tshisekedi.
Delphin Kahimbi, le très puissant responsable du renseignement militaire serait-il la première victime du bras de fer entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila pour le contrôle de l’armée congolaise ? Sans relais au sein des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), encore largement fidèles à Joseph Kabila, le nouveau président tente depuis plusieurs mois de remettre de l’ordre dans l’armée. Dernier épisode en date, l’audition par la Conseil national de sécurité (CNS) et la suspension du chef d’Etat-major adjoint des FARDC en charge du renseignement, Delphin Kahimbi. Problème (et non des moindres) : le redouté patron des renseignements a été retrouvé mort à son domicile le 28 février dernier, quelques heures avant sa troisième audition devant le CNS.
Reprise en main de l’appareil militaire
Cacique du système Kabila père et fils depuis plus de 20 ans, Delphin Kahimbi avait gardé son poste après l’arrivée surprise de Félix Tshisekedi à la présidence en janvier 2019. Dans les premiers mois de son mandat, le nouveau président n’a pas touché à l’organigramme de l’armée congolaise. Félix Tshisekedi et Joseph Kabila ont noué une alliance de circonstance dans une coalition politique insolite qui se partage le pouvoir : la présidence pour Tshisekedi, l’Assemblée nationale, le Sénat et les Assemblées provinciale pour Kabila. Une ligne rouge toute virtuelle semblait avoir été tracée entre les deux coalisés pour ne pas toucher au fragile équilibre des pouvoirs. Mais avec le temps, et sous la pression des bailleurs internationaux qui souhaitent voir le nouveau président se détacher de son encombrant allié, Félix Tshisekedi s’est lancé dans une reprise en main de l’appareil militaire.
Première cible : Kahimbi
Pour reprendre le contrôle et effectuer son délicat “ménage” au sein de l’armée, encore largement dirigée par des officiers pro-Kabila, Félix Tshisekedi a rapidement choisi ses armes : la justice militaire et sa lutte affichée contre la corruption et l’impunité. Les généraux sous sanctions européennes et américaines pour atteintes aux droits de l’homme sont légions dans l’armée congolaise. Autant dire que l’essentiel de l’Etat-major et des “grosses légumes” des FARDC sont concernés. La première cible importante à être visé a été le général Delphin Kahimbi. Empêché de rendre en Afrique du Sud par la Direction générale des migrations (DGM) à l’aéroport de Kinshasa le 20 février, le chef des renseignements militaires a été convoqué à deux reprises par le Conseil national de sécurité pour s’expliquer sur son voyage. Au coeur des auditions : du matériel d’écoute, commandée il y a de nombreux mois sous la présidence Kabila.
Un proche de Numbi pour mener l’enquête
A quelques heures de sa troisième audition, le vendredi 28 février, le général Kahimbi est retrouvé mort à son domicile. Son épouse, contactée par la presse sur le téléphone de son mari, parle de “crise cardiaque”, puis la thèse du suicide circule, relayée par le président Tshisekedi lui-même, qui évoque une mort par “pendaison”. Une enquête doit être menée par l’armée congolaise avec le concours de la Monusco. Mais plusieurs voix au sein de la société civile s’étonnent déjà du choix du président de la Commission d’enquête, assurée par le général Marcel Mbangu Mashita, un proche du général John Numbi, dans le viseur des ONG des droits de l’homme pour le meurtre de Floribert Chebeya, et sous sanctions internationales.
Kahimbi, témoin du deal Kabila-Tshisekedi
Plusieurs sources au sein du renseignement congolais doutent fortement de la thèse du suicide. Certains, en contact avec Kahimbi jusqu’à la veille de sa mort, nous expliquent que la convocation du patron du renseignement militaire était “politique”, dans le seul but “de le contraindre de partir en exil jusqu’aux prochaines élections”. Ce que le général aurait refusé. “Professionnellement, ils n’ont rien à lui reprocher” nous confie-t-on. Mais Delphin Kahimbi en sait beaucoup (trop) sur Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, et notamment sur l’accord secret de partage du pouvoir conclu entre les deux hommes pendant les élections de décembre 2018, parrainé par l’Afrique du sud. Autant dire que les coalitions FCC de Joseph Kabila et CACH de Félix Tshisekedi n’ont aucun intérêt à ce que ce témoin des tractations de décembre 2018 parle. Dans ce contexte de tensions politiques entre les deux coalisés, la disparition de Delphin Kahimbi “arrange tout le monde” poursuit une source sécuritaire. “Toutes ces larmes, venant du FCC ou de la présidence, sont des larmes de crocodiles” conclut-il.
Mundos et Sikabwe dans le viseur
Le grand ménage a-t-il commencé dans l’armée congolaise ? Fort possible. D’autant que Kahimbi n’est pas le seul à avoir été convoqué par le Conseil national de sécurité. Le très redouté général Akili Mundos, que les ONG des droits de l’homme accusent de collusion avec les rebelles ADF dans la région de Beni, a lui aussi été rappelé à Kinshasa pour “consultations”. Dans le viseur également, le général Fall Sikabwe, dont Afrikarabia révélait sa mise en cause dans le probable détournement de la prime de fin d’année des militaires en poste dans les Kivu – voir notre article. Le général a été suspendu de ses fonctions, en attendant le verdict de la justice militaire.
Kalev, Ramazani, Yuma
D’autres caciques de l’ère Kabila ont aussi été visés par le nouveau pouvoir. L’ancien patron des services de renseignements (ANR), Kalev Mutond, écarté de la “police politique” du l’ancien président, a été brièvement interpellé à sa descente d’avion de retour de l’étranger, officiellement pour avoir voyagé avec un passeport diplomatique qu’il n’a plus le droit d’utiliser. L’ex-ministre de l’Intérieur et chef du parti de Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary, a été aussi empêché de se rendre au Burundi fin janvier. Et le patron de la Gécamines, le géant minier congolais, Albert Yuma, serait toujours retenu à Kinshasa, suite à l’affaire d’un prêt douteux consenti à un proche de Joseph Kabila.
La fin des généraux « intouchables »
Un coup de balai dans l’armée reste pourtant la priorité du président Tshisekedi. Le nouveau chef de l’Etat doit trouver très rapidement les fonds nécessaires pour financer son ambitieux programme d’urgence pour la RDC. Mais les caisses sont vides. Et seuls les bailleurs internationaux, Europe et Etats-unis en tête, sont en mesure de débloquer l’aide financière nécessaire pour commencer à mettre en oeuvre ses promesses électorales. Alors, dans l’armée, de nouvelles nominations sont sur la table. Avec Kahimbi, Mundos et Sikabwe, le message de Tshisekedi est clair et siffle la fin des généraux tout-puissants et intouchables. Les nouveaux promus seront à chercher du côté d’officiers “de seconde zone” qui n’avaient pas trouver leur place sous Kabila. Avec ces nouvelles promotion, ces officiers seront alors redevables (et fidèles ?) au président Tshisekedi… un clientélisme qui avait très bien fonctionné sous Joseph Kabila.
Feu vert de Washington ?
Reste à savoir comment réagira l’ancien président lorsque des généraux comme Gabriel Amisi “Tango Four”, ou John Numbi seront inquiétés par le nouveau pouvoir de Kinshasa ? Difficile de le dire, mais Félix Tshisekedi semble ne plus pouvoir reculer. Le président congolais doit urgemment trouver de nouvelles ressources, et donc contenter ses futurs bailleurs de fonds. Avec la disparition de Delphin Kahimbi, le président congolais pourrait être tenté d’accélérer. L’ambassadeur américain à Kinshasa, Mike Hammer, a d’ailleurs suggéré la suite des hostilités sur Twitter après la suspension de Kahimbi: “Comme nous l’avons toujours dit : ceux qui sont corrompus, commettent des violations des droits de l’Homme ou perturbent le processus démocratique, devraient rendre des comptes”… le grand ménage risque donc de continuer.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia