L’ancienne journaliste de RFI, Sonia Rolley, a été expulsée de République démocratique du Congo (RDC). Elle attendait une accréditation afin de coordonner l’agence Reuters à Kinshasa. « Depuis la reprise des hostilités à l’Est les autorités ne cachent pas leur volonté de museler la presse » dénonce Tshivis Tshivuadi, secrétaire général de Journalistes en danger (JED).

Sale temps pour les journalistes en République démocratique du Congo (RDC). La mise en place de l’état de siège à l’Est du pays, le retour des rebelles du M23 et un climat politique tendu, à un an de l’élection présidentielle, ont placé les journalistes dans le viseur des autorités congolaises. Dernier épisode en date, l’expulsion de la journaliste Sonia Rolley, bien connue des auditeurs Congolais pour avoir longtemps été la correspondante permanente de RFI à Kinshasa. La journaliste, qui travaille maintenant pour l’agence de presse internationale Reuters, a été convoquée mardi 8 novembre par la Direction générale de migration (DGM). Son passeport lui a été confisqué et les services congolais l’ont conduite à l’aéroport international de N’djili, où elle a quitté la RDC sans ses effets personnels.
Refus d’accréditation
L’Association des correspondants de la presse internationale en République démocratique du Congo (ACPI RDC) indique que cette expulsion intervient après plusieurs mois de refus d’accréditation de Sonia Rolley par le ministère de la Communication et des médias, « en dépit du paiement effectué par le nouvel employeur de la journaliste ». L’agence Reuters explique de son côté « qu’elle n’a pas pu joindre le porte-parole du ministère de l’Intérieur mardi soir et que ses appels aux responsables du ministère des Communications et des médias sont restés sans réponse ». Reuters souligne « qu’elle continuera à faire des reportages depuis le Congo de manière indépendante et impartiale, comme nous le faisons partout dans le monde ».
« Menaces, pressions… »
Le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme en RDC (BCNUDH) s’est « inquiété » de cette expulsion « manu militari », décidée par les autorités, alors que la journaliste « disposait d’un visa de séjour temporaire en attente de son accréditation ». Human Rights Watch et Amnesty International ont dénoncé cette expulsion et demandent à Kinshasa de « revenir sur leur décision et à permettre à Sonia Rolley de continuer à faire son travail ». Pour l’Association des correspondants de la presse internationale en RDC, l’expulsion de Sonia Rolley « illustre le climat dangereux dans lequel évoluent actuellement les médias en RDC où d’autres journalistes étrangers peinent à obtenir leur accréditation, alors que le montant à payer pour ce faire a été sensiblement augmenté et la validité réduite ». L’Association explique que « des correspondants des médias étrangers en RDC font l’objet des menaces et de pressions des autorités et des services de sécurité, ou même des personnes se présentant comme proche du régime ».
Une décision « administrative »
Le ministère de la Communication a réagi mercredi soir, en indiquant que Sonia Rolley était en situation irrégulière et que son expulsion s’était déroulée « dignement ». La décision est « administrative » et ne constitue pas « une atteinte à la liberté de la presse ». Des accréditations sont délivrées « en ce moment même à des journalistes étrangers », se défend le ministère de la Communication. Pourtant, l’année 2022 a été particulièrement difficile pour les journalistes exerçant au Congo. Depuis janvier, Journalistes en danger (JED), une ONG spécialisée dans la défense des journalistes, a recensé 124 atteintes à la liberté de la presse, 1 journaliste tué, 2 kidnappés, 49 menacés et 35 arrêtés.
Le « devoir patriotique » de la presse
Depuis l’instauration de l’état de siège dans l’Est du pays et la résurgence de la rébellion du M23 qui s’est emparée de nombreuses localités dans le Rutshuru, les autorités congolaises se sont montrées particulièrement directives dans ses instructions à la presse congolaise. « Votre métier ne vous exonère pas de votre devoir patriotique de soutenir nos forces armées et nos éléments de la police » avait déclaré le ministre de la Communication et des médias, Patrick Muyaya en mai 2021, en plein état de siège. Le ton était donné. Le maigre bilan de 19 mois d’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu, et la prise de Bunagana par les rebelles du M23 depuis juin dernier ont rendu le gouvernement congolais peu enclin à laisser la presse critiquer son action. « Les autorités ne cachent pas leur volonté de museler la presse libre et indépendante, accusée de jouer le jeu de l’ennemi » s’inquiète Tshivis Tshivuadi, le secrétaire général de Journalistes en danger.
L’affaire Wembi
Le journaliste Steve Wembi, accusé sur les réseaux sociaux « de rouler pour le M23 » avait mystérieusement disparu le 24 octobre dernier. Selon des témoins, et l’Association des correspondants de la presse internationale en RDC, « des membres supposés de l’Agence nationale des renseignements (ANR) l’avaient arrêté et embarqué dans un véhicule de couleur blanche ». Le ministre de la Communication a démenti son arrestation après un contact téléphonique avec Steve Wembi. Le journaliste est tout aussi mystérieusement réapparu sur Twitter depuis quelques jours… sans explication sur sa « disparition ». Le correspondant de RFI, Pascal Mulegwa qui s’était rendu devant l’hôtel où avait disparu Steve Wembi a été brièvement interpellé par des agents de l’ANR. « J’ai même été dépossédé d’une importante somme d’argent dans leurs locaux où ils m’ont amené » a-t-il témoigné à Reporter sans Frontière.
Des médias coupables
Pour de nombreux journalistes, le pouvoir en place cherche clairement à intimider la profession. En guerre contre le M23, le gouvernement congolais livre également une guerre médiatique contre tous ceux qui critiquent l’action du gouvernement et du chef de l’Etat, ou relaient les propos et les communiqués de « l’ennemi ». La mise au pas de la presse congolaise, pourtant l’une des plus libres de la région, augmente au fur et à mesure des errements militaires, diplomatiques et politiques du régime de Félix Tshisekedi. Ce ne sont pas les médias qui font l’échec de l’état de siège. Ce ne sont pas les médias qui ont fait tomber Bunagana dans les mains de la rébellion. Et ce ne sont pas les médias qui vaincront le M23.
« Abasourdie »
Le durcissement du régime envers la presse est d’autant plus étonnant venant d’un président issu de l’opposition et de membres du gouvernement qui n’ont eu de cesse de critiquer les atteintes à la liberté de la presse commises sous Joseph Kabila. Sonia Rolley, qui a notamment travaillé sur l’affaire Congo Hold up, révélant la corruption à grande échelle en RDC, s’étonne de sa mésaventure sur Twitter : « C’est la première fois en 20 ans de carrière que je me fais formellement expulser. Je reste abasourdie de l’être aujourd’hui au Congo, de cette manière après toutes ces années de reportages, d’enquêtes… » Abasourdie, c’est bien le mot.
Christophe Rigaud – Afrikarabia