Expulsions forcées, villages brûlés… Quatre entreprises minières qui exploitent le cuivre et le cobalt en République démocratique du Congo (RDC) sont accusées par Amnesty International de graves atteintes aux droits humains. Une enquête dénonce les mauvaises pratiques des multinationales qui font face à une forte demande de minerais pour produire les batteries des véhicules électriques.
« Décarboner l’économie mondiale ne doit pas engendrer de nouvelles violations des droits humains ». Un rapport d’Amnesty International et de l’Initiative pour la bonne gouvernance et les droits humains (IBGDH), une organisation installée en RDC, jette une lumière crue sur les dérives de l’exploitation minière dans l’ex-province du Katanga, au Sud de la République démocratique du Congo (RDC). La course au tout électrique pour entamer la transition énergétique a fait exploser la demande en cuivre et en cobalt, deux métaux indispensables à la fabrication de batteries rechargeables pour les véhicules électroniques ou les téléphones portables. Le Congo possède à lui seul 70% du cobalt mondial, dont la demande a triplé depuis 2010. Cette aubaine économique pour les grands groupes miniers les pousse à étendre leurs sites d’extraction. Mais les conséquences pour les populations locales sont le plus souvent désastreuses.
« Des personnes expulsées de force »
Les enquêteurs d’Amnesty et de l’IBGH se sont penchés sur quatre projets miniers de la région de Kolwezi, dans la province du Lualaba (ex-Katanga) : la mine de Mutoshi, Metalkol RTR, ainsi que la mine de Kamoa-Kakula et celle de Kolwezi. 130 témoins ont été interviewés pour l’occasion, des photos, des vidéos et des images satellites ont été analysées. Selon Donat Kambola, coordinateur de l’IBGDH, « des personnes sont expulsées de force ou victimes de menaces et d’actes d’intimidation pour les forcer à quitter leur domicile, ou encore poussées par la tromperie à accepter des accords d’indemnisation dérisoires. Bien souvent, il n’existe aucun mécanisme de plainte, d’obligation de rendre des comptes ou d’accès à la justice. »
« Des croix rouges dessinées sur les maisons »
Sur le site minier de Kolwezi, le projet est géré par la Compagnie Minière de Musonoie Global SAS (COMMUS), une filiale commune de l’entreprise chinoise Zijin Mining Group Ltd. et la très puissante Gécamines, l’entreprise minière d’État. « Depuis la reprise des activités minières, des centaines d’habitants ont reçu l’ordre de partir ou ont déjà dû partir (…). Certains habitants n’ont appris que leur logement allait être démoli que quand des croix rouges ont été dessinées sur leurs propriétés » explique Amnesty. Edmond Musans, 62 ans, raconte qu’il « n’a pas demandé à être délocalisé, c’est la société et le gouvernement qui sont venus nous dire : “Il y a des minerais ici.” »
Les autorités provinciales aux abonnés absents
Les témoignages recueillis indiquent que les indemnisations accordées par la COMMUS « ne leur permettaient pas d’acheter un logement équivalent. En conséquence, de nombreuses personnes ont dû déménager vers des logements sans eau courante et sans source d’électricité fiable, en banlieue de Kolwezi, et ont vu leur niveau de vie se dégrader considérablement ». Un comité a été créé par les habitants pour exiger une meilleure indemnisation. Pour l’instant, « le comité a fait part de ses doléances aux autorités provinciales, en vain »
« On a passé des nuits et des nuits dans la brousse »
Sur le site de Mutoshi, géré par Chemical of Africa SA (Chemaf), « des personnes interrogées ont déclaré que des militaires avaient brûlé une agglomération informelle nommée Mukumbi ». Les témoins racontent que ce sont les soldats de la Garde républicaine (GR) qui ont commencé à brûler les habitations et frapper les habitants. « Nous n’avons rien pu récupérer », raconte Kanini Maska, 57 ans. « On n’avait rien pour survivre. On a passé des nuits et des nuits dans la brousse. » Les faits, qui se sont déroulés en 2016, ont également été documentés par des images satellites « 400 structures, dont une école, un établissement de santé et une église, ont été détruit ». Chemaf a accepté en 2019 de verser 1,5 million de dollars par l’intermédiaire des autorités locales, « mais certaines personnes n’ont reçu que 300 dollars » dénonce le rapport
Une femme enceinte violée
En février 2020, les agriculteurs du village de Tshamundenda ont également été expulsés de leurs champs qui se trouvaient à proximité du projet minier Metalkol Roan Tailings Reclamation (Metalkol RTR), une filiale d’Eurasian Resources Group SARL (ERG). Des militaires ont occupé leurs champs « tandis que des bulldozers rasaient leurs cultures ». Une femme, enceinte de deux mois, raconte qu’elle a été violée par trois soldats alors qu’elle travaillait dans son champ avant qu’il ne soit détruit. « À ce jour, je n’ai pas d’emploi ni d’autres sources de revenus. Je vais de maison en maison afin de trouver de quoi manger pour mes enfants ». Là encore, les agriculteurs ont tenté de réclamer une indemnisation… qui ne viendra jamais.
Faire appliquer les lois
Après cette enquête non-exhaustive sur les mauvaises pratiques du secteur minier en RDC, Amnesty estime que « les déclarations des entreprises selon lesquelles elles adhèrent à des normes éthiques strictes sonnent bien creux ». Pour Donat Kambola, le coordinateur de l’IBGDH, « les entreprises minières internationales impliquées ont largement les moyens de procéder aux changements nécessaires pour protéger les droits humains, de mettre en place des procédures qui améliorent la vie des personnes dans la région et de fournir des réparations pour les préjudices causés. » Amnesty fustige également l’apathie des autorités congolaises pour mettre fin aux expulsions forcées. L’ONG demande la création d’une commission d’enquête impartiale, et surtout, « de faire appliquer les lois nationales relatives aux activités minières et aux expulsions conformément aux normes internationales relatives aux droits humains ».
Christophe Rigaud – Afrikarabia